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dimanche 13 mai 2012

Nord-Kivu : Le M23 lève le voile sur ses liens avec le Général Bosco Ntaganda


Dans un communiqué en réaction à l’annonce, dimanche 6 mai 2012, de la création du « Mouvement du 23 mars (M23) », le « Congrès National pour la Défense du Peuple » s’est empressé de nier tout lien avec le M23 et tous les militaires mutins, y compris le plus célèbre (et le plus redoutable ?) d’entre eux, le Général Bosco Ntaganda.

Dans le même temps, le CNDP n’a pas manqué d’appeler le gouvernement congolais et les militaires insurgés à des négociations, sans préciser sur quoi devraient porter selon lui de telles négociations si jamais elles avaient lieu.  

Les déclarations du CNDP ont surpris la plupart des observateurs avertis qui savent bien que tous les militaires insurgés qui mènent la guerre contre l’armée congolaise sont d’anciens membres du CNDP et que le cordon ombilical entre ce dernier, devenu depuis 2009 – sur le papier – un parti politique et ses « anciennes » troupes n’a jamais vraiment été rompu. Les organisations de défense des droits de l’homme locales et internationales (dont Human Rights Watch) ont toujours dénoncé la tenue, dans les territoires de Masisi et de Rutshuru, d’une administration parallèle par le CNDP.

Mais au-delà de ces analyses faites par les observateurs les mieux avertis, il y a cet aveu sans appel qu’a fait samedi dernier (le 12 mai 2012) le Colonel Jean Baptiste Rudaseswa au cours d’une émission radiodiffusée sur la BBC Great Lakes. Cet officier supérieur est, d’après ses propres déclarations, un des membres fondateurs du Mouvement du 23 mars dirigé officiellement par son collègue, le Colonel Sultani Makenga. Il est à souligner que dans cette émission animée par le journaliste de la BBC Ali Yousouf M., le Colonel Rudaseswa était invité pour parler au nom du M23, et qu’il avait pour interlocuteurs le Colonel Innocent Gahizi (ancien du CNDP, lui aussi, mais qui demeure loyal aux FARDC pour le moment), Monsieur Enock Ruberangabo (notable Munyamulenge bien connu en RDC) ainsi que le député provincial élu de Masisi, Monsieur J.B. Sebishyimbo. 

A la question précise du journaliste de savoir si le Général Bosco Ntaganda était membre du M23, et si ce dernier combattait à ses côtés, la réponse du Colonel Rudaseswa a été on ne peut plus claire, tranchant nettement avec les dénégations véhiculées jusqu’ici par d’autres membres du mouvement, dont le Colonel Sultani Makenga lui-même, ou encore le porte-parole du M23 le Colonel Vianney Kazarama. Voici la réponse donnée par le Colonel Rudaseswa (dont les propos n’ont pas été démentis par qui que ce soit) : « Le Général Bosco Ntaganda est notre frère. Il a beaucoup fait pour le mouvement, et je ne peux pas dire que nous ne savons pas où il se trouve. Nous savons où il se trouve, il est avec nous, et il n’y a aucune raison pour que nous ne le protégions pas ».
 
Acculé par le journaliste pour savoir pourquoi ils avaient préféré placer Sultani Makenga à la tête du mouvement plutôt que Bosco Ntaganda, Rudaseswa a répondu : « En raison des circonstances et du contexte du moment, nous avons jugé que le Colonel Makenga était le mieux placé pour conduire le Mouvement ». 

Ces affirmations du cofondateur du M23 tranchent avec les dénis formels du porte-parole du M23, le Colonel Kazarama qui, vraisemblablement plus habile et plus stratège que son collègue d’arme, avait déclaré sur une radio de Goma il ya quelques jours que Bosco Ntaganda ne faisait pas partie du M23, et qu’ils n’étaient pas avec lui, insinuant que leurs revendications ne se rapportaient pas au statuts de Ntaganda, mais strictement à des points des accords du 23 mars 2009 qui n’auraient pas été satisfaits par la partie gouvernementale.

Les jeux sont clairs

Sous réserve de ce que le gouvernement pourrait avoir comme responsabilités dans cette affaire, je relève les points majeurs suivants :
·         Les accords du 23 mars dont se prévalent les membres du M23 ont été signés entre le CNDP (dont ils étaient membres à l’époque) et le gouvernement de la RDC. Puisque le CNDP existe toujours, et participe de surcroît à la coalition au pouvoir, n’était-il pas logique que ce soit lui (le CNDP) qui fasse les revendications par rapport à la mise en œuvre de ces accords, plutôt qu’un mouvement qui, juridiquement, est tiers à cet égard ?
·         Le M23 revendique désormais être avec le Général Ntaganda et combattre à ses côtés. Or, chacun sait, sauf hypocrisie ou mauvaise foi, que Ntaganda est, depuis la mise sur la touche de Laurent Nkunda, le maître-à-décider du CNDP. (De l’aveu même de certains des officiers issus du CNDP – dont le Colonel Innocent Gahizi – Ntaganda est celui qui a toujours « nommé » les dirigeants du CNDP depuis Gafishi jusqu’à l’actuel Mwangachuchu, en passant par le Docteur Kamanzi ; il est celui qui dicte la conduite et la position, qui propose les grades, les affectations, etc. Ce n’est un secret pour personne). Autrement dit, le M23 est avec le CNDP, s’il n’est du CNDP.
·         Le CNDP appuie implicitement les revendications du M23. Il ne s’est jamais vraiment désolidarisé d’avec les militaires « insurgés ». Au contraire, certaines indiscrétions parlent des contacts réguliers entre les dirigeants (politiques) du CNDP avec les militaires « insurgés ». 

De mon point de vue, le M23, pour peu que ce ne soit pas un montage dont il se peut que certains des architectes se trouvent à Kinshasa même, n’est que l’aile politique remodelée du CNDP pour donner du tonus à ses revendications politiques. Il faut se rappeler que le CNDP n’a gagné aucun poste lors des dernières élections contestées de novembre 2011, et que le seul endroit où il espérait en gagner quelques-uns (non sans l’aide, encore une fois, des militaires lui restés fidèles), c’est le territoire de Masisi. Or, les fraudes et les irrégularités y ont été si graves que la CENI elle-même, quoique capable de miracles, n’a pas trouvé mieux que d’annuler tous les résultats des élections dans cette contrée. 

Par ailleurs, le CNDP n’a jamais été d’accord avec le déploiement de ses militaires dans d’autres provinces, prétextant qu’ils n’y seraient pas en sécurité, de même que leurs familles qui n’auraient qu’eux pour les protéger contre les attaques des FDLR. (Je dis « ses militaires » parce que, aussi choquant que cela puisse paraître qu’un parti politique accrédité dispose de militaires qui lui sont loyaux, dans les faits c’est ainsi que ça se vit, et personne ne saurait objectivement le nier). Or, ce déploiement refusé par nombre d’officiers Tutsi des FARDC au Nord-Kivu serait l’une des causes de leur rébellion. 

Paradoxalement, le jeu du CNDP fait toujours des dupes au sein du pouvoir. Ou alors, comme on aurait raison de le penser, la confusion est entretenue à dessein, et les autorités congolaises y ont quelque intérêt ! Les milliers de gens obligés de quitter leurs biens, et qui se retrouvent sur la rue et dans la forêt en pleine période pluvieuse ; les pauvres soldats qui versent leur sang à l’autel d’un sacrifice peut-être indu… Qui est-ce qui s’en préoccupe vraiment ?  

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