L’état-major général des forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) ont publié hier dimanche 6 mai 2012, un communiqué annonçant la suspension depuis vendredi 4 mai, des opérations militaires qui étaient menées depuis près de dix jours dans le territoire de Masisi contre les insurgés proches du Général Bosco Ntaganda. Le communique laconique explique que les FARDC ont repris « le contrôle de la situation dans ce territoire », et que le haut commandement militaire a donné un ultimatum de cinq jours aux militaires dissidents pour se rendre, sans nullement faire allusion à ce qu’il se passera à l’expiration de ce délai si les concernés refusaient toujours de se rendre.
Au milieu de la semaine dernière, plusieurs sources, dont la société civile du Nord-Kivu, confirmaient la reprise par les FARDC de tous les villages qui étaient tombés sous le contrôle des insurgés, à l’exception notable de la colline de Mushaki, où le Général dissident a admis se trouver, Mushaki où les combats faisaient encore rage jeudi.
Mardi dernier pourtant, le Gouverneur du Nord-Kivu, Monsieur Julien Paluku Kahongya qui avait pour la première fois mis officiellement en cause le Général Bosco Ntaganda « dans ce qui se passe à Masisi », avait semblé indiqué que ce dernier était devenu la cible des FARDC en vue de son arrestation et de sa présentation devant la justice.
Et voici que les FARDC suspendent brusquement leurs opérations sans dire à l’opinion, ni si le fief de Mushaki est aussi rentré sous leur contrôle, ni si le Général Ntaganda a été arrêté ou s’il s’est rendu. C’est donc une fois encore la confusion qui s’installe dans le chef de la population qui a cru, peut-être trop naïvement, que le gouvernement congolais, ou plutôt que Monsieur Kabila avait (enfin) résolu d’en finir avec Ntaganda et de le traduire devant la justice. Des rumeurs font état du déplacement de Bosco Ntaganda vers le territoire voisin de Rutshuru, limitrophe avec le Rwanda. A ce propos d’ailleurs, des combats ont été signalés dimanche dans le parc des Virunga, entre des insurgés en provenance de Masisi et les FARDC, les premiers ayant, voulu, semble-t-il, reprendre la colline de Runyoni (territoire de Rutshuru), lieu stratégique d’où partaient toutes les grandes campagnes de leur « ancien » mouvement, le CNDP, il y a de cela quelque trois ans.
A quoi joue donc Kabila ?
Il est à se demander si Kabila veut vraiment arrêter et faire juger son B. Ntaganda, contre qui il existe depuis plusieurs années un mandat d’arrêt émis par la Cour pénale internationale. L’on se reppelera que durant son premier mandat, Kabila a toujours soutenu qu’exécuter le mandat de la CPI n’était pas sa priorité, qu’il tenait à préserver la paix, et que Ntaganda en était un élément clé. A l’époque, Kabila jouissait d’une importante légitimité sur les plans interne et international, à la suite des élections – moins contestables – de 2006. Mais depuis novembre 2011 et sa réélection très contestée, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, la donne a changée, et Kabila est conscient qu’il n’a plus toutes les cartes en main ; il est plus vulnérable aux pressions internationales. C’est sans doute ce qui explique ce que j’appellerais un changement de stratégie de sa part dans la gestion de ce dossier ö combien sensible.
De mon analyse, l’intention du Président Kabila de protéger Bosco Ntaganda n’a pas évolué d’un iota, comme on a voulu le croire, à la suite de ses récentes déclarations et de l’insurrection des officiers des FARDC issus de l’ancienne rébellion du CNDP. Sa nouvelle stratégie protectionniste s’analyse en deux hypothèses :
1. Soit simuler une ferme résolution de se plier aux pressions pour arrêter Bosco Ntaganda, puis démontrer que ce fait est susceptible de (re)mettre la poudre sur le feu dans cette région, et en définitive amener ceux qui font pression sur lui à déduire d’eux-même que l’on ne peut mettre la main sur Bosco Ntaganda sans gravement compromettre les maigres progrès réalisés au Kivu en termes de paix et de stabilisation ;
2. Soit alors créer une situation telle que Ntaganda soit errêté, mais jugé par la justice militaire congolaise, au lieu qu’il ait à être transféré à la Haye. C’est cette dernière hypothèse qu’il a clairement évoqué lors de son entretien avec la société civile de Goma il y a trois semaines, lorsqu’il expliquait qu’il n’était pas fonctionnaire de « cette communauté internationale », et que si Ntaganda devait être jugé, la justice congolaise ne manque pas de reproche à lui faire.
Pour vous en convaincre, je vais vous citer quelques faits qui rendent plus vraisemblables ces deux hypothèses, plutôt que tout autre cas de figure. Tenez :
- A l’occasion de la première vague d’insurrections dans le Nord et le Sud Kivu il y a de cela trois semaines, le Président Kabila, qui s’était dépêché dans la région, n’a pas pu ne pas comprendre que Bosco Ntaganda était derrière tout cela. L’on se rappellera que c’est à cette occasion-là que Kabila avait annoncé qu’il mettait fin aux opérations Amani Leo, dont le commandant n’était autre que Bosco Ntaganda, mettant ainsi ce dernier sur le banc de touche. Même si à l’époque Ntaganda n’avait pas été directement mis en cause comme la personne qui téléguidait – ou en tout cas qui était à la base de cette insurrection, ceux qui suivent la situation au Kivu savaient qu’il ne pouvait pas en être autrement, et que les revendications de solde et de conditions de vie des militaires – qui sont réellement mauvaises – n’étaient qu’un faux prétexte. Récemment encore, Bosco Ntaganda affirmait qu’il se trouvait à Mushaki au vu et au su du Gouvernement congolais et de la hiérarchie militaire.
- Kabila a toujours refusé d’arrêter Bosco Ntaganda (peut-être parce qu’il n’en a pas la capacité, peut-être aussi parce qu’il a des raisons politiques ou autres de ne pas le faire). Et lorsqu’il décide de le faire, il sonne clairon et tempête comme pour l’avertir. Et puis, brusquement, on met fin aux opérations et on en appelle à sa bonne foi (et celle de ses hommes) afin qu’ils « réintègrent leurs postes au sein des FARDC » (voir communiqué du dimanche 6 mai).
- Alors que les combats et les exactions de ces derniers jours dans le Masisi ont causé le déplacement d’une vingtaine de milliers de personnes, et que des atteintes graves ont été commises par les insurgés, selon la société civile du Nord-Kivu, le haut commandement militaire des FARDC demande aux mutins de réintégrer leurs postes au sein de l’armée, et parle de vouloir régler « quelque cas minimes d’indiscipline » dans ses rangs.
Tous ces éléments, et beaucoup d’autres encore, montrent que le Président Kabila essaie tout simplement de soustraire Bosco Ntaganda à la justice, ce qui est une opprobre pour lui, pour son gouvernement, et pour tous ceux qui croient encore en l’humanité et en la justice.
Et moi qui pensais, naïvement, que Monsieur Kabila avait enfin compris que l’impunité est ingrate ; qu’elle joue toujours des tours à ceux qui la préfèrent à la rigueur et à la justice. J’ignore si c’est du culot ou des moyens qu’il lui manque, mais je suis sûr d’une chose : tôt ou tard, le Président Kabila paiera lourd le tribut de ses actes et de ses décisions irresponsables.
Quant à la soi-disant communauté internationale, je me demande si elle prend la mesure du martyr des populations innocentes du Kivu. Sinon, pourquoi n’agit-elle pas ? Et si elle agit, pourquoi est-ce si long ? Ceux qui meurent de faim, de fatigue, de maladies, de balles, .ne peuvent pas attendre des semaines, des mois, des années. Je suis convaincu qu’il y a à travers le monde des femmes et des hommes épris de justice et de paix : je vous exhorte à interpeller vos gouvernements afin que l’on mette fin à ce qui se passe dans le Kivu (dans le Nord-Kivu spécialement). Vous pouvez faire quelque chose, alors s’il vous plaît n’attendez pas !
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