« Debout congolais ; unis par le sort (…) ». C’est par ces vers que commence notre hymne national. Dans tous les pays, l’hymne national est probablement le chant le plus connu, le plus solennel et le plus commun aux citoyens de tous âges, de toutes conditions, de toutes tribus et de toutes régions. Le premier qu’apprend joyeusement l’écolier au seuil de son voyage sur les sentiers du savoir ; celui qu’entonne avec frénésie le soldat dans l’imminence du sacrifice suprême pour dompter les peurs, ou comme ultime récompense ; celui que tout athlète rêve de faire retentir fièrement dans les stades, parmi d’autres nations. Bref, il est, avec le drapeau et les emblèmes, le symbole par excellence de la patrie, non seulement pour l’identifier, mais aussi pour édifier et témoigner à la fois de l’attachement et de la dévotion, de l’histoire et de l’idéal partagés de ses citoyens.
A l’école primaire, nous chantions « La Zaïroise ».
A l’époque, j’étais bien trop petit et trop…insouciant pour chercher à saisir
le sens des mots. Je peux juste me rappeler que le rythme auquel nous en
scandions chacun des mots était tellement envoûtant que j’eusse voulu qu’il fût
deux fois plus long. Première année du Secondaire : nous apprenons malgré
nous que notre Maréchal Mobutu Sese-Seko Kuku Ngbendo wa-Zabanga s’appellerait
dorénavant Laurent-Désiré Kabila ; que notre cher Zaïre se rebaptisait
République Démocratique du Congo ; que notre drapeau vert au flambeau brûlant
cédait la place à une bannière bleue garnie d’étoiles jaunes ; et, comble de tout, l’on nous signifia que notre nouvel hymne
serait le « Debout Congolais », que nous fûmes au passage obligés
d’apprendre par cœur en un temps record.
Depuis, je le connais par cœur ce « Debout
Congolais ». J’en ai même presqu’oublié mon « La Zaïroise ». Et
j’ai grandi entre temps. En âge et aussi en capacité de compréhension et de
jugement. Pourtant…pourtant je continue de m’interroger sur le sens (ou le
non-sens) de cet hymne. Enfin, de quelques-uns de ses vers, de ses mots. A
commencer par le tout premier, qui fait aussi office de titre : « Debout
Congolais ». Ce « debout », est-ce un ordre impératif, une
exhortation, ou plutôt une situation ? Il me semble bien que c’est un ordre
ou une exhortation, compte tenu de la suite du poème – pardon, de l’hymne. Mais
bon sang, les Congolais se mettront-ils jamais debout une fois pour toutes pour
bâtir leur pays ! N’est-ce pas évident qu’à peine l’hymne terminé, ils se rendorment
ou se rassoient, pour se réveiller le lendemain avec cette exhortation aussi
perpétuelle qu’éphémère de « debout congolais »!
Une fois debout, les congolais proclament quotidiennement :
« Dressons nos fronts longtemps courbés ; Et pour de bon prenons
le plus bel élan […]». Non, des fronts toujours courbés, en réalité :
on les redresse juste le temps que dure l’hymne et ouf, ils sont à nouveau
courbés. On revient le lendemain pour les redresser de nouveau, et ainsi de
suite… Même chose pour ce qui est de l’élan, d’ailleurs. Pas étonnant que nous
allions de Conférence Nationale Souveraine en dialogues inter-congolais ;
d’accords de paix en pourparlers (suivez mon regard), à la recherche chaque
jour renouvelée d’un « plus bel élan » ! En vain, par trop de
tâtonnements et de recommencements…
Mais il y a aussi cette
phrase extraordinaire : « unis par le sort ». Le sort,
qu’est-ce ? Pas besoin d’aller trouver l’étymologie dans un dictionnaire.
En français « facile » – comme disent les autres – je crois que cela
équivaut à : « unis par (le) hasard ». Une nation unie par le
hasard, je serais curieux d’en connaitre une qui ait existé et prospéré. Mon
professeur de droit constitutionnel m’a appris – je le dis dans mes propres
mots – qu’un Etat-nation est une institution construite, mieux réalisée au
travers d’une volonté partagée d’être ensemble, de vivre ensemble, et de bâtir
un avenir ensemble. Elle est donc le fait volontaire des groupes de personnes
qui acceptent de mettre ensemble leur espace vital, leurs ressources, leur
souveraineté et leur destinée, souvent malgré leurs différences. En tout cas,
selon mon prof., ce ne peut jamais être un fait du hasard. D’où, dans le cas de
la RDC : ou bien l’auteur de l’hymne a raison, et la nation congolaise
n’est qu’une fiction ou tout au plus une création fragile car dénouée du ciment
qu’est la volonté de ceux qui peuplent l’espace RDC à former une nation. Ou
bien il a tort, et cette phrase n’a pas sa place dans l’hymne national. Ou
enfin l’Etat a précédé la volonté, et il est impérieux de constituer a posteriori cette dernière afin de lier
le physique (le territoire) – dérisoire en lui seul – au métaphysique (la
conscience) – essentiel.
Des trucs insensés et
agaçants, le « Debout Congolais » en est truffé. Je conçois qu’un
hymne se chante à la première personne (du singulier ou du pluriel, peu
importe). Mais l’hymne congolais a cette particularité – corrigez-moi si je me
trompe – d’avoir des vers chantés à la deuxième personne, un peu comme s’il y
avait ceux qui le chantent d’un côté, et ceux qu’il concerne de l’autre. Par
exemple : « Citoyens, entonnez l’hymne sacré de votre
solidarité ; Fièrement, saluez l’emblème d’or de votre
souveraineté ». Je ne sais pas si c’est moi qui suis trop stupide pour
comprendre, ou si c’est son auteur – et ceux qui ont par la suite adopté cet
hymne – qui étaient trop sots pour peser le sens des mots. N’était-il pas plus
sensé de dire, par exemple : « Citoyens, entonnons l’hymne sacré de
notre solidarité » !
Franchement, je crois que s’il y a des démons qui hantent la
RDC, les symboles en sont. Tel son hymne national, dont je viens d’étaler
quelques malheureux symptômes. La RDC est l’un des pays du monde qui a connu le
plus de changements d’appellations – elle en a eu cinq jusqu’ici – et Dieu sait
si ses mégalomanes de dirigeants successifs sont au bout de leurs
inspirations : Etat indépendant du Congo, Congo-Belge, Congo, Zaïre,
République Démocratique du Congo, rien que cela. Et presqu’à chaque nom
correspond un drapeau, des emblèmes, une devise, une monnaie différents. Chaque
nouveau maître de ce gigantesque pays a cru de cette manière lui imprimer sa
marque ; et des circonstances – comme par exemple l’existence d’un autre
Congo, côté occidental du fleuve – ont dû se charger du reste.
Je ne pense pas que l’on a besoin d’être un philosophe pour
mesurer le poids des symboles dans l’existence et la vie d’une nation. Déjà qu’ils
sont souvent essentiels rien que dans la vie d’un individu, d’une famille,
d’une petite communauté. En particulier, l’hymne national doit être quelque
chose qui rappelle, qui rassemble, qui exalte, qui émeut, qui motive, qui
mobilise. Quelque chose de sacré, dans lequel chaque citoyen s’identifie et se
ressource dans l’accomplissement de son devoir ou tout simplement dans sa vie
de tous les jours, quel qu’il soit, en tout lieu et en toutes circonstances.
Dans un pays déchiré par les violences de toutes sortes,
ruiné par les pillages et la corruption, ployant sous le poids d’une pauvreté
abjecte ; un pays sans gouvernement (l’affirmation n’est pas gratuite),
sans armée, sans administration, sans repères, sans idéal ; bref un
territoire sans Nation, un corps sans âme, est-il si anodin qu’il y paraît de mettre
en cause les symboles ? Non ! Il se peut qu’ils cachent en leur sein
le secret de cet improbable chaos. Alors, avant d’essayer de redresser le
corps, peut-être devrait-on d’abord tâcher d’en exorciser l’âme !
Il faut ériger des symboles ayant un sens bon et juste pour
un Etat-Nation congolais voulu et accepté par toutes ses composantes dans leur
conscience profonde, et susceptibles de survivre aux péripéties du temps, aux
régimes politiques et aux générations. Je ne me fais guère d’illusion, ici. J’ai
appris il y a deux semaines que le président avait « désormais »
comme priorité la défense nationale. Autrement, il aurait peut-être pu prêter
attention à ma futile préoccupation !
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