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dimanche 30 décembre 2012

Nord-Kivu : le territoire de Masisi se vide de ses...Tutsis

Des personnes fuyant des combats à l'Est de la RDC
"Notre voisine est arrivée chez nous ce matin et elle nous a dit : "Maman Kabibi, adieu, nous partons pour le Rwanda". Je lui ai demandé pourquoi ils partaient, mais elle n'a rien voulu me répondre. Elle nous a embrassé, et elle est partie. Quelques instants plus tard, nous les avons vus, sa famille et elle, monter sur des moto en direction de Goma, avec tout ce qu'ils pouvaient emporter".

C'est en ces termes que Mariya, la cinquantaine révolue, me parlait avec beaucoup d'anxiété dans la voix, de la situation qui s'observe dans son village situé près de Rushebere, dans le territoire de Masisi. Depuis quelque trois semaines en effet, des mouvements assez importants de civils de l'ethnie Tutsi qui quittent leurs villages dans ce territoire pour aller se réfugier au Rwanda inquiètent les membres d'autres communautés, et les spéculations vont bon train sur les raisons de cet exode mono ethnique. 

Préparation du "pire" ? 

Corroborant le témoignage de Mariya, Célestin, un habitant de Mushaki m'a confié : "Ce sont surtout les femmes, les vieillards et les enfants qui partent. Les jeunes et les hommes restent. C'est notamment eux qui continuent de garder leurs nombreuses vaches. Tout le monde se demande pourquoi. Nous craignons qu'ils ne soient entrain de mettre leurs femmes et leurs enfants à l'abri en préparation de quelque chose d'horrible. Comme cela, ils pourront tuer tout celui qu'ils trouveront sans réfléchir deux fois". En tout cas, à Masisi, tout le monde y va de son analyse. Ce qui est certain, c'est que tout le monde parmi les Hunde et les Hutu est inquiet par cette situation. D'autant plus que d'après les mêmes témoignages, les raisons selon lesquelles les Tutsis fuiraient la persécution dont ils seraient victimes de la part des miliciens FDLR, Ntatura et autres Maï-Maï sont infondées. "Il n'y a pas eu la moindre attaque des milices contre notre village depuis des mois, pourtant la majorité des Tustis en sont partis ces derniers jours", a attesté Gahungu, un jeune étudiant originaire de Rubaya. Et de renchérir : "la sécurité n'est pas totale, certes, mais il est erroné de dire que les Tustis seraient spécialement visés ou pourchassés". 

Les médias rwandais proches du pouvoir de Kigali ont relayé la nouvelle de cette arrivée massive de nouveaux réfugiés congolais sur leur territoire, arguant qu'ils fuiraient des persécutions dont ils seraient l'objet de la part des militaires FARDC et de "leurs complices FDLR et Maï-Maï" qui les accuseraient d'être de connivence avec le M23. Certains seraient pourchassés du fait simplement de leur tribu et de leur langue. Quelque 500 à 1000 familles auraient ainsi atteint le Rwanda depuis le début du mois de décembre. Un campement a été installé à un pas de la frontière rwandaise de Gisenyi (la Corniche, dite aussi Grande Barrière) pour recevoir ces réfugiés. Par la suite, des camions du HCR font plusieurs rotations par jour pour les acheminer vers le camp de transit de Nkamira, situé à une trentaine de kilomètres de la frontière, sur la route de Kigali. 

Côté congolais, ces réfugiés sont enregistrés par deux agents avant de pouvoir passer la barrière. Chaque jour, ce sont plusieurs dizaines de réfugiés qui arrivent, par moto ou par véhicule, avec matelas, valises, ustensiles de cuisine et autres biens sur le dos.

Silence radio côté congolais 

La situation a beau être préoccupante, personne n'en a encore rien dit côté congolais, que ce soit les autorités politico-administratives ou les acteurs de la société civile. On fait comme si de rien n'était. Pourtant les inquiétudes des autres habitants de Masisi sont à mon sens fondées. De fait, le départ de leurs voisins Tutsis n'est pas une bonne chose, surtout si réellement les raisons avancées pour justifier ces départs sont fausses. Quiconque connaît les horreurs qui ont déjà eu lieu dans ce territoire et qui ont toujours eu un caractère ethnique ne peut pas juger excessive la crainte que ces départs aient pour conséquence de permettre dans les prochains jours des attaques indiscriminées contre les populations civiles restantes. 

L'on se rappellera qu'au mois de février 2012, lors de la défection du général Bosco Ntaganda et ses fidèles et de leur retrait dans les hauteurs de Mushaki, alors que la plupart des membres d'autres communautés qui fuyaient les combats s'étaient contentés de s'installer à Mugunga, près de Goma, la communauté Tutsie avait elle choisi de se réfugier directement au Rwanda, prétextant que leur sécurité dans le camp de Goma ne serait pas assurée. De manière presque systématique, des véhicules allaient les chercher à Sake et les acheminer tout droit vers la grande barrière. Ils sont par la suite allés gonfler le chiffre des réfugiés congolais qui se trouvent dans le camp de Kihembe au sud du Rwanda depuis plusieurs années. 

Exile, retour ou déportation ? 

Les autorités congolaises regardent cette situation avec insouciance. Pourtant elle est extrêmement dangereuse et devait être gérée avec beaucoup d'attention. En effet, ils ne sont pas rares les Congolais de Goma qui s'amusent à lancer à ces personnes : "partez, vous ne faites que retourner chez vous !". Pour ces extrémistes (ou ces ignorants, c'est presque pareil), l'explication de ce départ "facile" vers le Rwanda est simple : ils se sentent rwandais, ils sont libres d'y retourner, l'on devrait s'en féliciter, pourvu qu'ils ne reviennent pas plus tard...

D'autres analystes voient dans ce phénomène une machination du Rwanda. Thèse plus crédible à mes yeux. Si des populations rwandophones (Tutsies, plus précisément) fuient en masse le Congo pour se réfugier au Rwanda, cela prouve plusieurs choses à la fois : 
1. Qu'ils sont plus en insécurité que d'autres. La propagande qui accompagne ce mouvement s'efforce de créditer l'argument selon lequel les autorités civiles et militaires congolaises encouragent ou procèdent à la persécution des Tutsi congolais, de sorte qu'ils n'ont d'autre choix que de s'exiler. Politique discriminatoire, tentative de leur nier leur nationalité, etc. En conséquence, la lutte des mouvements d'autodéfense (comme le CNDP, le M23) est légitime et fondée. 
2. Que les milliers de réfugiés congolais (Tutsis) établis au Rwanda est impossible : ceux qui ont osé rester ou retourner au Kivu reviennent au Rwanda, donc les autres ne peuvent pas y retourner. Leur sécurité n'est pas garantie. 
3. Les FDLR sont toujours actifs : non seulement nuisibles - ils visent les Tutsis congolais et poursuivent leur oeuvre génocidaire entamée en 1994 au Rwanda - mais aussi ils ont le soutien (ou la tolérance) des autorités congolaises. 

Tous ces éléments renforcent les calculs du Rwanda et affaiblissent le gouvernement congolais, qui pourtant peine à s'en rendre compte. 

D'une part, les revendications des mouvements qui proclament l'autodéfense des Tutsis ou des populations rwandophones du Kivu sont légitimées aux yeux de la communauté internationale. Mais d'autre part, le Rwanda se maintient dans le jeu, comme l'hôte généreux de tous les persécutés avec qui il entretient des liens  culturels évidents. Et si l'on y ajoute l'élément "génocide", tout pays a le devoir d'intervenir pour l'empêcher. Tout pays, y compris le Rwanda, qui en a en plus fait la douloureuse expérience.

Par ailleurs, le départ massif de personnes appartenant à une certaine communauté, sans motif valable comme les témoignages laissent penser, complique à coup sûr l'équation du retour de la paix dans le territoire de Masisi. Si certains peuvent penser que les Tustis, en allant au Rwanda, ne font que retourner chez eux, l'on peut comprendre les difficultés qu'ils éprouvent à retourner ensuite. Parfois leurs champs sont vites repris par d'autres personnes et leurs vaches égorgées. 

D'autres personnes soupçonnent le Rwanda de faire partir ces gens pour pouvoir insérer massivement ses propres citoyens dans les rangs des réfugiés lorsqu'ils devront retourner. Ainsi il pourrait assurer le peuplement du Kivu par des rwandais dont le pays serait de plus en plus débordé avec l'accroissement de sa population. La méfiance à l'égard des Tutsi augmente de manière exponentielle. Et sur ce point-ci, ceux qui pourraient être entrain de faire un certain calcul avec ces déplacement manipulés de populations font erreur, car à long terme les choses pourraient se retourner contre eux et, malheureusement, contre des innocents qui ne savent pas vraiment en quoi on les entraîne.

Contrairement à ceux qui ne voient dans ce phénomène une manipulation rwandaise, je pense que les Tutsis du Masisi ont, comme d'autres habitants de ce territoire, de vrais problèmes sur lesquels les autorités devraient se pencher sérieusement. L'activisme des milices est une chose réelle. Les violences contre les femmes et les enfants, les pillages des biens, les conflits fonciers, ..., ce n'est pas de la fiction. Sauf que chaque communauté en est victime, et qu'un départ systématique vers le Rwanda n'est pas forcément la meilleure chose à faire. Encore que personne n'a encore été attaquée à Mugunga ou ailleurs du fait qu'elle était de telle ou telle ethnie. 

Le manque de réaction des autorités congolaises prouve encore combien la RDC est un pays sans gouvernement, sans politique, sans stratégie. Le Kivu n'a pas fini de faire les frais de cette carence !








vendredi 28 décembre 2012

R.D. Congo : malade, jusque dans les symboles !







« Debout congolais ; unis par le sort (…) ». C’est par ces vers que commence notre hymne national. Dans tous les pays, l’hymne national est probablement le chant le plus connu, le plus solennel et le plus commun aux citoyens de tous âges, de toutes conditions, de toutes tribus et de toutes régions. Le premier qu’apprend joyeusement l’écolier au seuil de son voyage sur les sentiers du savoir ; celui qu’entonne avec frénésie le soldat dans l’imminence du sacrifice suprême pour dompter les peurs, ou comme ultime récompense ; celui que tout athlète rêve de faire retentir fièrement dans les stades, parmi d’autres nations. Bref, il est, avec le drapeau et les emblèmes, le symbole par excellence de la patrie, non seulement pour l’identifier, mais aussi pour édifier et témoigner à la fois de l’attachement et de la dévotion, de l’histoire et de l’idéal partagés de ses citoyens. 

A l’école primaire, nous chantions « La Zaïroise ». A l’époque, j’étais bien trop petit et trop…insouciant pour chercher à saisir le sens des mots. Je peux juste me rappeler que le rythme auquel nous en scandions chacun des mots était tellement envoûtant que j’eusse voulu qu’il fût deux fois plus long. Première année du Secondaire : nous apprenons malgré nous que notre Maréchal Mobutu Sese-Seko Kuku Ngbendo wa-Zabanga s’appellerait dorénavant Laurent-Désiré Kabila ; que notre cher Zaïre se rebaptisait République Démocratique du Congo ; que notre drapeau vert au flambeau brûlant cédait la place à une bannière bleue garnie d’étoiles jaunes ; et, comble de tout, l’on nous signifia que notre nouvel hymne serait le « Debout Congolais », que nous fûmes au passage obligés d’apprendre par cœur en un temps record.  

Depuis, je le connais par cœur ce « Debout Congolais ». J’en ai même presqu’oublié mon « La Zaïroise ». Et j’ai grandi entre temps. En âge et aussi en capacité de compréhension et de jugement. Pourtant…pourtant je continue de m’interroger sur le sens (ou le non-sens) de cet hymne. Enfin, de quelques-uns de ses vers, de ses mots. A commencer par le tout premier, qui fait aussi office de titre : « Debout Congolais ». Ce « debout », est-ce un ordre impératif, une exhortation, ou plutôt une situation ? Il me semble bien que c’est un ordre ou une exhortation, compte tenu de la suite du poème – pardon, de l’hymne. Mais bon sang, les Congolais se mettront-ils jamais debout une fois pour toutes pour bâtir leur pays ! N’est-ce pas évident qu’à peine l’hymne terminé, ils se rendorment ou se rassoient, pour se réveiller le lendemain avec cette exhortation aussi perpétuelle qu’éphémère de « debout congolais »! 

Une fois debout, les congolais proclament quotidiennement : « Dressons nos fronts longtemps courbés ; Et pour de bon prenons le plus bel élan […]». Non, des fronts toujours courbés, en réalité : on les redresse juste le temps que dure l’hymne et ouf, ils sont à nouveau courbés. On revient le lendemain pour les redresser de nouveau, et ainsi de suite… Même chose pour ce qui est de l’élan, d’ailleurs. Pas étonnant que nous allions de Conférence Nationale Souveraine en dialogues inter-congolais ; d’accords de paix en pourparlers (suivez mon regard), à la recherche chaque jour renouvelée d’un « plus bel élan » ! En vain, par trop de tâtonnements et de recommencements…

Mais il y a aussi cette phrase extraordinaire : « unis par le sort ». Le sort, qu’est-ce ? Pas besoin d’aller trouver l’étymologie dans un dictionnaire. En français « facile » – comme disent les autres – je crois que cela équivaut à : « unis par (le) hasard ». Une nation unie par le hasard, je serais curieux d’en connaitre une qui ait existé et prospéré. Mon professeur de droit constitutionnel m’a appris – je le dis dans mes propres mots – qu’un Etat-nation est une institution construite, mieux réalisée au travers d’une volonté partagée d’être ensemble, de vivre ensemble, et de bâtir un avenir ensemble. Elle est donc le fait volontaire des groupes de personnes qui acceptent de mettre ensemble leur espace vital, leurs ressources, leur souveraineté et leur destinée, souvent malgré leurs différences. En tout cas, selon mon prof., ce ne peut jamais être un fait du hasard. D’où, dans le cas de la RDC : ou bien l’auteur de l’hymne a raison, et la nation congolaise n’est qu’une fiction ou tout au plus une création fragile car dénouée du ciment qu’est la volonté de ceux qui peuplent l’espace RDC à former une nation. Ou bien il a tort, et cette phrase n’a pas sa place dans l’hymne national. Ou enfin l’Etat a précédé la volonté, et il est impérieux de constituer a posteriori cette dernière afin de lier le physique (le territoire) – dérisoire en lui seul – au métaphysique (la conscience) – essentiel.  

 Des trucs insensés et agaçants, le « Debout Congolais » en est truffé. Je conçois qu’un hymne se chante à la première personne (du singulier ou du pluriel, peu importe). Mais l’hymne congolais a cette particularité – corrigez-moi si je me trompe – d’avoir des vers chantés à la deuxième personne, un peu comme s’il y avait ceux qui le chantent d’un côté, et ceux qu’il concerne de l’autre. Par exemple : « Citoyens, entonnez l’hymne sacré de votre solidarité ; Fièrement, saluez l’emblème d’or de votre souveraineté ». Je ne sais pas si c’est moi qui suis trop stupide pour comprendre, ou si c’est son auteur – et ceux qui ont par la suite adopté cet hymne – qui étaient trop sots pour peser le sens des mots. N’était-il pas plus sensé de dire, par exemple : « Citoyens, entonnons l’hymne sacré de notre solidarité » !

Franchement, je crois que s’il y a des démons qui hantent la RDC, les symboles en sont. Tel son hymne national, dont je viens d’étaler quelques malheureux symptômes. La RDC est l’un des pays du monde qui a connu le plus de changements d’appellations – elle en a eu cinq jusqu’ici – et Dieu sait si ses mégalomanes de dirigeants successifs sont au bout de leurs inspirations : Etat indépendant du Congo, Congo-Belge, Congo, Zaïre, République Démocratique du Congo, rien que cela. Et presqu’à chaque nom correspond un drapeau, des emblèmes, une devise, une monnaie différents. Chaque nouveau maître de ce gigantesque pays a cru de cette manière lui imprimer sa marque ; et des circonstances – comme par exemple l’existence d’un autre Congo, côté occidental du fleuve – ont dû se charger du reste.

Je ne pense pas que l’on a besoin d’être un philosophe pour mesurer le poids des symboles dans l’existence et la vie d’une nation. Déjà qu’ils sont souvent essentiels rien que dans la vie d’un individu, d’une famille, d’une petite communauté. En particulier, l’hymne national doit être quelque chose qui rappelle, qui rassemble, qui exalte, qui émeut, qui motive, qui mobilise. Quelque chose de sacré, dans lequel chaque citoyen s’identifie et se ressource dans l’accomplissement de son devoir ou tout simplement dans sa vie de tous les jours, quel qu’il soit, en tout lieu et en toutes circonstances.

Dans un pays déchiré par les violences de toutes sortes, ruiné par les pillages et la corruption, ployant sous le poids d’une pauvreté abjecte ; un pays sans gouvernement (l’affirmation n’est pas gratuite), sans armée, sans administration, sans repères, sans idéal ; bref un territoire sans Nation, un corps sans âme, est-il si anodin qu’il y paraît de mettre en cause les symboles ? Non ! Il se peut qu’ils cachent en leur sein le secret de cet improbable chaos. Alors, avant d’essayer de redresser le corps, peut-être devrait-on d’abord tâcher d’en exorciser l’âme ! 

Il faut ériger des symboles ayant un sens bon et juste pour un Etat-Nation congolais voulu et accepté par toutes ses composantes dans leur conscience profonde, et susceptibles de survivre aux péripéties du temps, aux régimes politiques et aux générations. Je ne me fais guère d’illusion, ici. J’ai appris il y a deux semaines que le président avait « désormais » comme priorité la défense nationale. Autrement, il aurait peut-être pu prêter attention à ma futile préoccupation !
 
 

mercredi 26 décembre 2012

2013 peut-elle être l'année de la paix durable à l'Est de la RDC ? Voeux et perspectives

La décennie et demie d'instabilité, de violences, de prédation et de misère en République Démocratique du Congo vient de s'enrichir d'une nouvelle année : 2012. Une année au cours de laquelle la violence (dans la partie orientale du pays en particulier) a pris un nouvel élan avec l'apparition du Mouvement du 23 Mars, la résurgence de nombreux autres groupes armés nationaux et étrangers, et la naissance d'une douzaine d'autres, après une relative accalmie depuis 2009.

Si la RDC était un pays normal, 2012 aurait été l'année de la véritable relance démocratique, économique et sociale. En effet, si les élections de novembre 2011 s'étaient déroulées correctement, si la constitution votée par référendum en 2005 n'avait pas été tripatouillée, si l'accord de paix du 23 mars 2009 avait été appliqué et régulièrement évalué, si des criminels comme Bosco Ntaganda avaient été arrêtés et jugés, etc., l'année qui s'achève aurait été l'année de la renaissance, avec une paix et une démocratie consolidées, des institutions installées et renforcées, ... 

Si au cours de son premier mandat, Joseph Kabila avait fait de la défense nationale une priorité - il s'est réveillé il y a seulement deux semaines pour dire que la défense du pays doit être "désormais" une priorité, comme un aveu qu'elle ne l'avait jamais été depuis 12 ans qu'il est au pouvoir, encore faut-il que dans les actes il se ressaisisse vraiment - , si la réforme de l'armée, la police et les services de sécurité avait été effective depuis 2006, si d'importantes créations d'emplois avaient eu lieu pour absorber les masses de jeunes désoeuvrés qui sont la proie facile des prédateurs au sein des groupes armés, ... Si la communauté internationale s'était investi de façon rationnelle et avec toute la bonne volonté requise pour la résolution durable des causes des crises en RDC; si la MONUSCO avait, au lieu de dizaines d'assignations éparses et irréalistes, un mandat clair et concis de rétablissement de la paix et de réforme des forces de sécurité congolaises; si cette MONUSCO avait bénéficié de troupes aguerries et plus familières à la région, à son histoire et à son peuple, au lieu de ces affairistes indo-pakistano-népalais pour qui les Congolais n'ont pas plus de valeur que leurs intouchables, ... 

Si tout simplement la RDC avait un président intelligent, visionnaire, rigoureux, compétent et patriote; si la RDC avait des institutions (parlement, Cours Suprême de Justice, Haute Cour militaire, Gouvernement, ...) responsables et dévoués à la cause de la nation; si les Congolais étaient plus exigeants, plus enclins à réclamer et à oeuvrer eux-mêmes pour leur liberté, leur démocratie, leur paix et leur dignité, l'année qui s'écoule aurait été l'année de la renaissance du géant africain qu'est le Congo.Hélas, remarquez le nombre de "si" dans ces paragraphes ! La réalité est loin, très loin du compte. 2012 laisse la RDC pire qu'elle ne l'a trouvée : deux territoires de l'Est occupés par une rébellion téléguidée par le Rwanda et l'Ouganda (et pour les mêmes raisons qu'il y a cinq ans le CNDP ou quatorze ans le RCD); toute une région suspendue à la seule volonté des rebelles de progresser ou non (car l'armée congolaise est obsolète et les forces étrangères - Monusco ou "force internationale neutre"; aussi imprévisibles qu'inefficients); des généraux de criminels présumés (tels Amisi Kumba, John Numbi,  Laurent Nkunda, Bosco Ntaganda, ...) courent des jours paisibles à Kinshasa, dans les collines du Nord-Kivu ou au Rwanda; la corruption a atteint des proportions inédites; les petits fonctionnaires de l'Etat sont toujours clochardisés pendant que les députés et autres "honorables" ont doublé leurs émoluments; la pauvreté et la promiscuité ont atteint des nouveaux records; des sommes faramineuses sont dépensées comme "effort de guerre" pour une guerre qui n'est menée que dans sur les micros des radios, tandis qu'un demi-millions de nouveaux déplacés errent dans la nature au Nord-Kivu. 

Des négociations entamées à Kampala entre le gouvernement et la rébellion du M23 ont permis aux habitants de Goma, la plus grande agglomération du Nord-Kivu, de passer la fin de l'année dans un état de quasi-paix, pourtant elles ne promettent rien de significatif. Déjà que c'est la cacophonie totale au sein du gouvernement, par rapport à leur objectif. Le président de la République a son opinion, différente de celle de son ministre des affaires étrangères, différente de celle du ministre de la communication, différente de celle du "Facilitateur", pour ne pas parler de celle des représentants de la rébellion. Il faut être fou (comme ces hommes?) pour attendre une quelconque solution de ces assises qui, au passage, coûteront une bagatelle somme d'argent à l'Etat congolais qui paie, en plus de ses propres factures, celles des délégués de la rébellion et de certains journalistes, en raison de plus ou moins 500 dollars par jour. Calculez pour une soixantaine de personnes, un mois durant... Or, personne ne sait encore combien de temps ça va durer. Certains doivent être au regret que Noël et le Nouvel an les aient obligés de rentrer temporairement chez eux ! 

2013 peut être différente, mais non sans conditions

Il n'est jamais trop tard pour se ressaisir. Il faut seulement comprendre la nécessité et l'opportunité d'un changement, ce qui suppose au préalable que l'on a identifié ses problèmes. Pour ce qui est de la RDC comme pays et comme nation, il y a avant tout un problème d'hommes (dirigeants comme dirigés), un problème d'intérêts, et un problème de vision ou d'objectif. La question des intérêts étrangers, de la géopolitique régionale ou internationale, etc., ne se poseraient qu'à titre secondaire si au niveau interne il y avait une certaine cohérence, un certain vivre-ensemble, rêver-ensemble et agir-ensemble parmi les Congolais.

En 2013, les questions de l'intégrité des frontières congolaises héritées de la Conférence de Berlin, celle de l'intangibilité de la constitution, de la légitimité des institutions issues des élections de novembre 2011, de l'impunité ou non des criminels, de la corruption et des pratiques assimilées, de la vie démocratique, des droits de l'homme, et bien sûr de l'économie et des conditions de vie sociale vont continuer à se poser avec acuité. Il faut songer à les adresser une à une. Malheureusement, le lamentable discours du président de la République le 15 décembre dernier n'a rien auguré d'optimiste, bien au contraire. On a entendu un président complètement déboussolé, surpassé par les évènements, sans inspiration ni autorité aucune. On aurait dit un syndicaliste se plaignant d'une situation sur laquelle il n'a aucune emprise. 

Un dialogue national inclusif, ou si l'on veut une "Conférence Nationale Souveraine II" de toutes les forces-vives de la nation sera nécessaire pour, non pas porter des accusations ou se distribuer des postes, mais pour trouver des solutions réalistes et durables aux différents problèmes que connaît le pays dans tous les domaines. Il faut redéfinir la Nation congolaise, lui donner un contenu, lui assigner des objectifs quantifiables et lui imprimer des valeurs et des symboles rassembleurs. Et ça, ce n'est pas à Kampala, avec une "force négative" et une poignée d'hommes à la solde de l'étranger que ça va se régler. Le problème des groupes rebelles à l'Est de la RDC ne sera pas résolu par les armes - et des armes étrangères de surcroît. C'est mal connaître le problème que de vouloir le résoudre de cette manière là. 

Mon voeu le plus cher aux Congolais, c'est qu'ils s'éveillent enfin. S'éveiller prendre conscience du rôle qui doit être le leur pour le renouveau de la RDC, et réaliser que jamais la paix, la démocratie, le développement et rien de ce dont ils rêvent ne leur viendra des autres, des étrangers, mais qu'ils doivent y oeuvrer eux-mêmes, avec tout leur coeur et toute leur force. S'éveiller pour cesser de pleurnicher et de se plaindre; pour cesser d'être des complices de leur propre malheur en servant aveuglement des politiciens cupides et prédateurs, en les applaudissant à longueur des journées, en s'adonnant bêtement à leurs jeux de la haine et de l'exclusion. S'éveiller pour s'enrôler dans l'armée et d'autres services de sûreté, exiger énergiquement (par des manifestations publiques, des sit-in, des grèves) le départ des corrompus et autres imposteurs où qu'ils se trouvent, demander leurs comptes aux élus, cesser de tout tolérer, tout supporter, tout justifier, et exiger d'être regardés et dirigés avec respect et dignité. S'éveiller pour se discipliner eux-mêmes, abandonner les mauvaises pratiques, les attitudes rétrogrades ou anti-patriotiques. 

Mon voeu aux politiciens congolais (de la majorité comme de l'opposition), c'est que 2013 soit pour l'année de la reconversion civique. J'ai parfois prié Dieu qu'un coup d'Etat se produise à Kinshasa, et qu'un homme plus compétent, plus rigoureux et plus entreprenant s'empare du pouvoir pour amener le pays vers une porte de sortie de l'instabilité et de la misère. Mais il est peut-être préférable que Joseph Kabila reste là jusqu'en 2016 pour éviter une aggravation de la situation. Cependant, mon voeu serait que de la Conférence Nationale Souveraine II que je préconise, il ressorte des résolutions pour entourer le président de personnes intègres et compétentes susceptibles de le conseiller et de l'orienter positivement de sorte que le pays en tire le meilleur parti; que les institutions politiques et judiciaires soient renforcées et jouissent de leur pleine autonomie, loin de ses interférences malheureuses; qu'une vraie opposition émerge, en lieu et place des petits (ou grands) égoïstes qui ne semblent avoir d'autre préoccupation que de prendre le pouvoir afin de "manger" à leur tour.

Mon voeu pour la communauté internationale, c'est qu'elle prenne enfin la vraie mesure de la situation que nous vivons et arrête d'observer lâchement. Au Rwanda, en 1994, des personnes courageuses ont alerté sur les évènements qui étaient entrain de se produire, mais le monde a préféré regarder ailleurs. A l'Est de la RDC, cela fait des années que l'alerte est donnée, mais les réponses qui sont données ne sont jamais efficientes : envoie d'une force d'observation, distribution de l'aide "humanitaire" aux réfugiés et déplacés, arrestation d'une poignée de criminels. Et c'est tout. Il serait temps que le monde aide le Congo a atteindre la résilience, ou lieu de le tenir sous perfusion permanente, sans que les résultats soient jamais satisfaisants. Le mandat de la Monusco devrait être clarifié et limité au rétablissement de la paix et à la réforme de l'armée. Les européens et les américains (en particulier la Belgique et la France) doivent prendre le courage d'engager leurs troupes au sein de la MONUSCO, étant donné leur connaissance de la région, les liens historiques et culturels, et leurs compétences humaines et techniques. Ensuite, il faut soutenir la jeunesse politiquement propre qui se bat jour et nuit pour que les choses bougent. Il faut la renforcer, l'appuyer, peut-être même l'écouter tout simplement. Enfin, il faut forcer par tous les moyens le Rwanda à nous laisser tranquilles; à cesser son implication dans la déstabilisation de la RDC. Quoique l'on dise, il y a toujours moyen de le faire. Le Rwanda a beau être tenu par des personnes orgueilleuses, voire têtues, il est trop dépendant de l'aide que l'Occident lui alloue pour qu'il puisse s'en passer complètement. Et ce ne sont ni le génocide des Tusti de 1994, ni la présence de quelques milices hostiles Hutu dans le Kivu, ni la performance des soldats rwandais dans les missions de maintien de la paix, ni le fait que le Rwanda utiliserait efficacement l'aide qu'il reçoit, qui doivent l'exonérer de reproches et de sanctions lorsqu'il trouble son voisin. Certes le Congo a des problèmes internes graves à régler, mais les interférences rwandaises ne l'aident pas du tout. Et elles sont trop néfastes pour être négligées. 

Le Congo n'est pas l'Afganistan, ni le Pakistan, et encore moins la Syrie : l'instabilité peut être jugulée en quelques mois, si seulement les Congolais et leurs partenaires posent les bons actes, de la bonne manière, et au bon moment. J'espère que 2013 sera ce moment, pour que règne enfin la paix !

Joyeuses fêtes !
Ici, je voudrais remercier tous ceux et celles qui m'ont personnellement soutenu ou encouragé au cours de l'année écoulée, mes lecteurs occasionnels ou fidèles, et tous ceux et celles qui oeuvrent sincèrement pour le retour de la paix à l'Est de la République Démocratique du Congo. Spécialement, je remercie Marc V.R., Wim S., Paul M., Thierry V., Hélène M., Thomas S., Gaspard M., Bruno M., Laurence M., Philippe L., Gautier M., Gisèle K., Rosalie Z., Didier L., Michael W., Eugène B., Juvénal M., Philippe G., Augustin et Anita M.. A tous, mes voeux sincères de paix, de bonheur et de prospérité pour 2013 ! 








Crise à l'Est de la RDC : les véritables motivations de l'implication du Rwanda, d'après Steve Hege

Paul Kagame
"L'objectif stratégique du Rwanda est un Etat fédéral autonome à l'Est de la RDC, sur lequel il maintiendra une influence à la fois politique, militaire, économique et culturelle".  "Le Rwanda est déterminé à gagner (...) rien, même pas des sanctions, ne le dissuadera avant d'avoir atteint ce but ultime". Steve Hege.
Les implications du Rwanda dans la crise qui secoue son grand et riche voisin sont évidentes (elles remontent à 1996, avec la rébellion de l'alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL) de Laurent-Désiré Kabila). Mais il n'en est pas de même de leur véritable motivation. Officiellement, le Rwanda revient souvent sur la menace - réelle ou supposée - que représentent des milices Hutu rwandaises actives dans la région frontalière du Kivu. Argument qui, en 2012, n'a plus le même poids que celui qu'il représentait il y a quinze ou dix ans. Le Rwanda lie volontiers cette "préoccupation principale" à d'autres telles que les droits des Tutsis congolais, dont quelques dizaines de milliers sont réfugiés sur son territoire, souvent depuis plusieurs années.

Pourtant, au fil des ans et des évènements, il apparaît de plus en plus que le Rwanda pourrait avoir un agenda, occulte celui-là, et partant plus difficile à cerner, à déchiffrer. Et c'est fort probablement sur cet agenda-là que s'inscrivent ses actuelles manoeuvres avec la nouvelle rébellion du M23, bien qu'il continue, contre moult évidences, à nier tout rapport avec ce mouvement. Car si l'on s'en tient aux seules choses apparentes, on trouvera difficilement une raison pour laquelle le Rwanda est à nouveau impliqué dans la déstabilisation de la RDC : les relations politiques et économiques entre les deux pays s'étaient nettement améliorées et stabilisées depuis 2009, avec la mise le retrait de Laurent Nkunda par le Rwanda et, plus tard, le rétablissement de leurs relations diplomatiques; des efforts militaires sans précédents ont été fournis pour combattre les FDLR, et le Rwanda, qui y a collaboré, s'est ouvertement félicité de ce que leur capacité de nuisance a été fortement diminuée; la RDC a arrêté et transféré des personnes recherchées par le Tribunal pénal international pour le Rwanda; la RDC est devenue en 2010 le premier pays d'exportation des produits rwandais dans la région; etc. 

Mais pourquoi donc le Rwanda persiste-t-il à déstabiliser la RDC ? A-t-il plus à gagner avec un Congo instable qu'en paix ? Qu'est-ce qu'il gagne(ra) justement ? Et pourquoi maintenant (2012) ? Ces questions et beaucoup d'autres, tout le monde se les pose, mais rares sont ceux qui peuvent y répondre, sans états d'âme, de manière raisonnable et objective. L'américain Steve Hege était, jusqu'au 30 novembre dernier, le Coordinateur du Groupe d'Experts sur la RDC, institué par le Conseil de Sécurité de l'ONU pour, entre autres, suivre l'application de l'embargo sur les armes aux acteurs non-étatiques en RDC; groupe qui a produit plusieurs rapports et documents sur, notamment, la rébellion du M23 et le soutien dont elle bénéficie de la part du Rwanda. 

Le 11 décembre dernier, il était invité par le Sous-Comité pour l'Afrique, la santé mondiale et les droits de l'homme du Comité pour les Affaires africaines du Congrès américain, où il a fait un "témoignage" sur sa lecture et ses perspectives sur la "crise dévastatrice à l'Est de la RDC", au regard de son expérience personnelle sur le sujet. Sa présentation (un document de onze pages disponible en anglais sous format PDF sur http://foreignaffairs.house.gov/112/HHRG-112-FA16-WState-HegeS-20121211.pdf) est sans doute imparfaite - par exemple, il semble ramener entièrement la question de l'instabilité de la RDC aux velléeités rwandaises, sans plus, en épinglant à peine les problèmes internes. Si bien que certains ont même trouvé son analyse "excessive". Néanmoins, elle a le mérite de répondre de manière assez cohérente et plausible à la plupart des interrogations sur les motivations de l'implication du Rwanda dans la déstabilisation de l'Est de la RDC depuis tant d'années. La "stratégie régionale" du Rwanda n'explique pas à elle seule le chaos congolais, mais si elle se confirme, il est évident qu'elle constitue l'une des "causes profondes" de l'instabilité de l'Est de la RDC. Steve Hege nous démontre que les crises répétitives dans le Kivu ne sont finalement pas un problème congolo-congolais comme on l'entend si souvent, et que le Rwanda a un rôle qui dépasse celui d'un simple sponsor des rébellions. C'est à mon avis une perspective qui doit être prise au sérieux par les congolais s'ils veulent régler la situation. 

Quant à la théorie d'un Etat fédéral, l'idée n'est pas mauvaise, au contraire. Steve Hege le rappelle : la constitution de février 2006 a consacré un Etat quasi-fédéral (fortement décentralisé), avec un nombre accru de provinces et d'importantes compétences laissées aux provinces et aux autres entités territoriales décentralisées. Mais le problème réside dans la mise en oeuvre de cette constitution, du fait de l'incompétence et/ou de la mauvaise volonté des dirigeants à Kinshasa, ainsi que du laxisme de la population. Ce qui est inacceptable, c'est une "cooptation" par le Rwanda d'un tel système d'Etat. Et les congolais doivent à tout prix défaire ce piège. Décentralisation, fédéralisme ou autre, ce doit avant tout être une affaire des Congolais eux-mêmes, au gré de leurs intérêts et de leurs aspirations, et non pas une entreprise étrangère. La question reste : est-ce parce que le Rwanda aurait une préférence pour le fédéralisme au Congo que les Congolais doivent le rejeter automatiquement ? Je ne le pense pas. Ce qui est important, c'est que tout ce qui sera fait le soit dans l'intérêt supérieur du Congo et des Congolais, que cela plaise ou déplaise au Rwanda ou à d'autres pays. 

Etant donné la propagande que le Rwanda a conduite à son encontre en vue de discréditer les conclusions du Groupe d'Experts, il est fort à parier que certains trouvent dans cette analyse une raison de plus de croire que Steve Hege est un anti-rwandais, un anti-tutsi invétéré, sans nullement essayer de lire objectivement son analyse. C'est trop facile, les préjugés. Je pense pour ma part que l'on devrait s'efforcer de comprendre l'analyse et non l'analyste. Si objectivement on lui trouve quelque reproche, il vaut mieux formuler une antithèse. Autrement dit, donner d'autres réponses, au moins équivalentes en termes de cohérence et de vraisemblance, aux questions auxquelles lui s'est efforcé de répondre. 

EXTRAITS : 

La stratégie régionale du Rwanda

Est de la RDC : se dirige-t-on vers la "solution finale" ? 
Maintenant, si ce ne sont pas vraiment les réclamations et les demandes liées à l’accord du 23 mars 2009 ou la bonne gouvernance véritable, au développement, aux droits de l'homme, aux FDLR, aux réfugiés, etc., alors que veut vraiment le Rwanda ?

Malgré la paranoïa extrémiste de la « balkanisation » qui a été si répandue durant beaucoup d'années parmi les Congolais traumatisés par des invasions étrangères multiples, l’une seulement des demandes des rebelles est susceptible de donner une explication consistance : c'est le fédéralisme.

L’implication et l'orchestration rwandaises de la rébellion du M23 devient plus compréhensible quand elles sont comprises comme une démarche déterminée et calculée pour engendrer la création d'un Etat fédéral autonome à l’Est de la RDC.

Il y a eu des spéculations pour savoir si l’implication rwandaise était justifiée par des intérêts d’ordre sécuritaire, ou ses intérêts économiques, ou des liens ethniques et culturels, mais un Etat fédéral à l’Est de la RDC résumerait à lui seul toutes ces questions.

Avant les élections de novembre 2011, un des plus hauts officiers de renseignement dans le gouvernement rwandais discutait avec moi plusieurs scénarios possibles pour la sécession de l’Est du Congo. En reflétant la pensée de beaucoup de ses collègues, il a affirmé que parce que le Congo était trop grand pour être dirigé par Kinshasa, le Rwanda devrait soutenir l'apparition d'un Etat fédéral à l’Est du Congo. « Goma devrait être lié à Kinshasa de la même façon que Juba a été lié à Khartoum avant l'indépendance de Sud-Soudan », disait-il.

Il apparaît que ce n'est pas un prétexte ou une justification inventée postérieurement aux faits qui a causé cette guerre, mais plutôt les objectifs stratégiques régionaux du Rwanda qui motivent son implication. Toutes négociations devraient éviter d'autres questions distrayantes, et mettre l'accent sur cet élément extrêmement important.

Pendant nos réunions officielles avec le gouvernement rwandais à Kigali en juillet, la délégation rwandaise a constamment déclaré que notre rapport était simplement une distraction qui aurait pour effet de ralentir le processus permettant d'atteindre la solution définitive aux problèmes infinis du Congo. Poussant plus loin, plusieurs représentants n'ont pas caché le fait que la seule solution qu'ils avaient à l'esprit était en effet le fédéralisme. Ce n’est pas étonnant car le Rwanda a ouvertement incité et aidé des sécessionnistes congolais auto-déclarés comme Jules Mutebutsi, Akim Muhoza et Xavier Ciribanya afin de placer la barre assez haut dans la démonstration que le fédéralisme est finalement un compromis acceptable. Le jour où le M23 a pris Goma, les médias rwandais pro-gouvernementaux ont immédiatement commencé à exiger le « droit à l’autodétermination ».

Pendant plusieurs réunions internes du M23 pour la mobilisation, de hauts représentants gouvernementaux, y compris l'assistant spécial du Ministre de la Défense du Rwanda, ont ouvertement affirmé que l’établissement de cet Etat autonome était réalité le but fondamental de la rébellion. Plusieurs commandants M23 et alliés me l’ont aussi confirmé ouvertement, dans les entretiens que j'ai conduits avec eux en ma qualité de membre du Groupe d'Experts. De nombreux journalistes ont aussi confirmé que des commandants M23 mettent de plus en plus cet objectif au sommet de leur ordre du jour. Un porte-parole a récemment exposé à New York Times : « Nous voulons plus que la décentralisation ; nous voulons le fédéralisme », ajoutant : « les intérêts de l’Est de la RDC sont tournés vers l’Afrique de l’Est ».

Même de hauts responsables de la sécurité ougandais ont reconnu que ceci était le but des rwandais dans cette guerre du M23. Un officier qui a été impliqué dans le soutien au M23 en coopération avec les rwandais a déclaré : « Ils visent grand... Vous n’avez qu’à regarder le Sud-Soudan !». Le fédéralisme comme objectif permet aussi d’expliquer en partie l’implication de certains individus au sein du gouvernement ougandais. Si jamais le Rwanda atteignait son but, alors les ougandais voudraient s’assurer que leurs propres intérêts culturels, sécuritaires et économiques à l’Est de la RDC ne seront pas menacés.

La vision fédéraliste profondément enracinée de la part du Rwanda fait partie de la stratégie géopolitique régionale adoptée par les dirigeants à Kigali. Un Etat fédéral autonome fédéral à l’Est du Congo cimenterait et garantirait l'influence déjà vaste du Rwanda sur l'armée, ainsi que dans les aspects d’ordre politique, économique et culturel, influence semblable à celle qu’exerce la Syrie sur la partie Sud du Liban. A son grand avantage, depuis les terribles événements du génocide de 1994, le gouvernement du Rwanda a démontré une ambition inégalée et beaucoup de détermination à reconstruire son pays, et il a réalisé des avancées remarquables en matière de développement humain. Cependant, cette même ambition et cette détermination ont poussé les dirigeants rwandais à adopter une stratégie géopolitique basée sur la déstabilisation sur le long terme de l’Est du Congo, en sapant tous les efforts de reconstruction et de stabilisation de cette région dans l’espoir qu’une instabilité perpétuelle y engendrerait des réformes radicales de gouvernance.

Cet objectif explique aussi pourquoi le Rwanda a cherché systématiquement à dépeindre tous les groupes armés à l’Est de la RDC comme un front uni contre Kinshasa. Bien que la construction de cette coalition soit beaucoup plus difficile en pratique, dans nos réunions avec eux, le Ministre rwandais de la Défense et le responsable de l'armée, ils tous les deux défendu et plaidé pour tous les groupes armés actifs à l’Est de la RDC, y compris l’extrêmement brutal Raia Mutomboki.

En outre, les rwandais ont entrepris des efforts tous azimuts pour dépeindre le Congo comme « un grand trou noir », jouant sur les représentations coloniales reprises dans Au Coeur des Ténèbres de Joseph Conrad, qui traitait l'État congolais de « factice ». Des diplomates rwandais ont incessamment déclaré que « le Congo était toujours un désordre, une cause perdue », et insinué qu’un changement structurel radical était indispensable pour le sauver.

Le choix du moment de la rébellion

La question suivante serait alors : pourquoi maintenant ?

En effet, le début de l’année 2012 était un moment propice pour faire une poussée définitive vers l'objectif stratégique du Rwanda, et ce pour plusieurs raisons.

D'abord, presque tout le monde, y compris les rwandais, s'attendait à ce qu'après le processus électoral discrédité de 2011, le chaos et la protestation se répandraient, non seulement à Kinshasa, mais aussi dans d'autres parties de la RDC, présentant ainsi une brèche pour l'apparition d’un soulèvement de l’Est contre Kinshasa.

Comme Kabila avait tissé des liens avec le Rwanda dans l'intérêt de la paix, il était devenu dramatiquement impopulaire à l’Est de la RDC, sa base d’autrefois. Le défi était pour le Rwanda de trouver un moyen de retourner vers Kinshasa l’animosité envers Kigali, en jouant sur des décennies d’un leadership gouvernemental faible à l’Est de la RDC. Par-dessus ceci, il y avait un rival politique sérieux en la personne de Vital Kamerhe, le premier véritable leader d'opposition encré à l’Est. Kabila faisait maintenant face à deux fronts d'opposition, du fait que l'ouest lingalaphone qui s’était déjà montré extrêmement hostile à lui, le traitant d’ « imposteur rwandais ». Même dans ce qui restait de bastion de Kabila, le soutien populaire, dans la période préélectorale, à des mouvements sécessionnistes, avait augmenté dans la province riche en ressources minières du Katanga ainsi que dans le Sud-Kivu.

Deuxièmement, une plus grande stabilité de l’Est de la RDC, après un deuxième mandat présidentiel, pourrait accélérer le développement des capacités de l’Etat et des institutions à l’Est du Congo, ce qui aurait pour effet de diminuer progressivement les chances d'une poussée dans le sens de la réforme radicale de la gouvernance. En outre, les rwandais redoutent que les Congolais n’adoptent des mesures d'indépendance économique de l’Est de la RDC par, par exemple, l'établissement d'une fonderie de minerais à Kisangani, qui orienterait radicalement loin du Rwanda le commerce des minerais du Kivu.

"La lassitude vis-à-vis du Congo" parmi la communauté des donateurs, qui paient annuellement une lourde facture pour MONUSCO, est aussi l’une des raisons pouvant justifier la proposition de solutions radicales et définitives pour l’Est du Congo. En reflétant ce sentiment, un diplomate occidental m'a demandé sincèrement, au milieu de la crise : « Après tant d'années de violence, l’Est du Congo est-il vraiment une entité viable ? Peut-être devrions-nous commencer à penser à des solutions plus radicales et durables pour cette région ». Ce sentiment de désespoir pour le Congo atteint de tels niveaux que récemment, le New York Times a publié une libre tribune préconisant de « laisser ce pays se disloquer ».

Quatrièmement, avant le M23, il y avait eu de plus en plus de volonté de ne plus tolérer les abus et l’impunité de Bosco Ntaganda, ainsi qu’une pression plus grande pour limiter la chaîne de commandement parallèle des ex-CNDP. Si Ntaganda venait jamais à être arrêté, comme l’exigé par des organisations de défense des droits de l'homme, cela aurait significativement diminué l'influence rwandaise et sa puissance militaire à l’Est de la RDC. En outre, après que quinze ans, les cycles infinis d'intégration d'anciens rebelles sont de moins en moins acceptables, rendant ainsi plus essentiel la réalisation plus tôt que plus tard, de l'ultime objectif.

De plus, beaucoup d'anciens officiers CNDP résistent avec véhémence à tout effort de la part gouvernement congolais à les redéployer en dehors du Kivu, et règnent sur des mafias et des réseaux de rançonnage. Ceci a inévitablement concilié les divisions latentes parmi les commandants Tutsi formant un front commun désirant marcher avec le Rwanda pour protéger leurs propres intérêts personnels d'affaires, malgré les dispositions précédentes de certains d’entre eux à soutenir des dissidents rwandais comme le Général Kayumba Nyamwasa.

Finalement, le rôle des Rwandais dans le processus d'intégration de l'ex-CNDP leur a fourni une occasion particulière de se placer comme des faiseurs de paix dans une telle crise, de sorte qu’ils pourraient insister pour l'adoption d'une solution préconçue, comme le fédéralisme. Dès le début de cette crise, le Rwanda a réclamé à cor et à cri « des négociations politiques sur la gouvernance », je pense pour ces raisons-ci.

Implications sur les négociations

Alors, qu'est-ce que tout ceci peut bien signifier pour les négociations en cours ?  Si les aspirations géopolitiques du Rwanda sont si ambitieuses, que peut-on donc attendre des négociations, particulièrement quand il a manifesté ces dernières semaines qu'il avait le dessus sur le champ de bataille ? Si l’on aborde pas la question du fédéralisme, toutes les autres questions pourraient être résolues, mais la probabilité que la guerre baisserait semble être très insignifiante, si le fédéralisme est réellement l'objectif principal du Rwanda. Beaucoup d'observateurs n’ont de cesse d’appeler à identifier et résoudre les causes profondes des cycles de violence à l’Est de la RDC, mais font peu mention des objectifs stratégiques du Rwanda à l’Est de la RDC, en eux-mêmes, comme constituant une cause première. Pour sa part, Kabila se sent en position de force s’il s’agit de négocier juste l’accord du 23 mars, mais les pourparlers vont inévitablement échouer tant que la question du fédéralisme n’est pas placée au centre de l’agenda.

Le Rwanda a soutenu que ses intérêts nationaux sont mieux servis par la stabilité régionale et à travers le commerce frontalier avec l’Est de la RDC. C’est certainement le cas à long terme, mais s'ils parviennent vraiment à réaliser un Etat fédéral autonome à l’Est du Congo à court terme, malgré la grande instabilité, d'un point de vue stratégique, ceci vaudra plus qu'une indemnisation pour la perte d'un peu d'aide de la part de donateurs.

Cette conclusion suscite plusieurs questions. Le fédéralisme sera-t-il vraiment négociable à Kampala, ou jamais ? Les Etats-Unis d’Amérique et d’autres Etats au sein de la communauté internationale vont-ils soutenir la solution du fédéralisme pour l’Est de la RDC, sachant bien que cela est en premier lieu l’objectif du Rwanda ?
Le Rwanda sera-t-il récompensé pour sa persistance ? Comment la naissance d’un Etat fédéral conduite de l’étranger, s’arrêtant juste au bord d’une sécession pure et simple, pourrait-elle être considérée internationalement comme légitime ? Des négociations objectives peuvent-elles se pencher sur pareille question, pendant qu’elles sont conduites par le Rwanda et l’Ouganda ? Les exemples du Sud-Soudan et du nord du Mali peuvent-ils avoir un impact sur les discussions ? En général, des diplomates soutiennent que le Rwanda peut et doit faire partie d’une solution. Les rwandais aussi se plaignent incessamment d’être pointés du doigt et soutiennent qu’ils font partie, non pas du problème, mais de la solution à la crise actuelle. Encore faut-il connaître la solution en question !

"La solution" à cette crise semble avoir été identifiée avant que les premières balles n'aient été tirées. Le Rwanda savait quelle solution il voulait proposer et avait besoin pour cela d'orchestrer une crise qui serait assez étendue pour justifier une telle solution. Lorsque l'Etat congolais et ses forces de sécurité se sont bien défendus et ont battu l’originel ex-CNDP, les rwandais ont dû intervenir ouvertement pour conduire plus directement la crise, défiant la pression internationale au moment où leur implication devenait extrêmement évidente.

En prenant un peu de recul par rapport aux dynamiques actuelles, le fédéralisme en lui-même est plutôt une bonne proposition, mais lorsqu’il est téléguidé par un Etat voisin qui devrait en profiter énormément, le moins qu'on puisse dire c’est que le fédéralisme peut être problématique. Il devrait naître à partir d’un débat politique démocratique à l’intérieur de la RDC et exclusivement entre les Congolais, et non pas à travers des négociations politiques orchestrées et facilitées par le Rwanda et certains de ses alliés en Ouganda.

La communauté internationale semble vouloir escamoter l’implication du Rwanda et les terribles charges de violation de droits de l’homme de la part de certains de commandants du M23 en vue d’aider à l’obtention d’une solution hâtive de « cessez-le-feu » et interrompre immédiatement l’énorme coût humanitaire de cette guerre. Surtout maintenant que le Rwanda a montré qu'il déploiera constamment ses troupes de l’autre côté de sa frontière pour s’assurer que le M23 garde un avantage militaire sur le front. Sur le plan militaire, l’armée congolaise a prouvé être plus que capable de défaire les véritables mutins, mais depuis que le Rwanda a établi le M23 et a déployé de façon répétitive sa propre armée aux côtés des mutins, la solution militaire semble être exclue. Bien plus, la MONUSCO a montré qu’elle ne voulait pas déployer ses troupes pour affronter des armées étrangères.

Maintenant que le M23 s’est repositionné au nord de Goma dans le but de peser sur les négociations, il est à douter que le Rwanda acceptera à nouveau une stratégie du genre « sortir pour sauver la face » comme en 2009. Le Rwanda est déterminé à gagner. Ils sont conscients que ceci pourrait bien être leur dernière chance. Ainsi, le Rwanda pourrait poursuivre sa guerre jusqu’à ce qu’il ait obtenu ce qu’il désire réaliser. Les coûts sont déjà trop importants pour le Rwanda pour qu’aujourd’hui il se contente de quoi que ce soit d’inférieur à son ultime objectif.

CONCLUSION

Au tournant actuel, la question clé devrait être ce que sera la solution que le Rwanda considérera comme suffisante pour accomplir son objectif stratégique, et qui pourrait laisser une fenêtre ouverte pour renverser progressivement ses progrès vers ledit objectif qui passent par le renforcement de l'indépendance de l'Etat à l’Est de la RDC.

Plus d'intégration économique régionale pourrait-elle satisfaire le Rwanda à court terme ? L'intégration régionale est objectivement très positive, mais il doit être basé sur des États en position égale et se respectant mutuellement. L'histoire récente prouve que tenir compte de l'intégration économique sans commencer par construire l’Etat congolais, dont les dirigeants ont la première responsabilité, ne dissuadera pas le Rwanda de poursuivre son but stratégique. Le "rapprochement" en 2009 entre la RDC et le Rwanda a été internationalement loué parce qu'il a ouvertement reconnu et accepté la réalité de l'influence rwandaise dans les Kivus. La logique était que si le Rwanda était autorisé d'établir, à travers la frontière, des projets économiques de manière ouverte et transparente (au-dessus de la table), il ne devrait plus manœuvrer dans l’ombre (sous la table). Cependant, les stratèges rwandais ont probablement vu ces initiatives comme des tremplins vers l'accomplissement de leur objectif ultime et non comme son aboutissent.

Par conséquent, si le fédéralisme est en effet l’enjeu majeur, alors il y a un besoin clair d'un processus qui examine la décentralisation comme une alternative. La décentralisation est prévue dans la Constitution congolaise, qui prévoit aussi l'extension du nombre des provinces. Potentiellement, un accord négocié qui accélérait le processus de décentralisation en faisant apparaître cette dernière comme menant au vrai fédéralisme pourrait constituer un compromis raisonnable. C’est cela, si nous sommes enclins à accepter qu'il n'y a aucune option réelle militaire qui dissuadera définitivement la détermination du Rwanda à parvenir à ses buts. Cependant, un processus par lequel l'État congolais n'est pas créé d'abord et ensuite déconcentré en ses diverses provinces avec des institutions autonomes pourrait produire des résultats désastreux. Ainsi, le défi majeur, dans un tel compromis serait l'accompagnement proche d'un tel processus de décentralisation par les donateurs, en vue d’isoler des institutions locales initialement faibles d’une quelconque influence externe ou d’une cooptation.

En outre, en RDC n'importe quel processus de décentralisation doit également prioriser le renforcement de l’effectivité du gouvernement dans tout le pays. La grande majorité des Congolais à l’Est de la RDC s’identifient fortement au Congo comme seule nation. La plupart ne veulent pas que leur propre gouvernance soit une affaire des Etats voisins. Ils veulent que Kinshasa dirige l’Est du Congo de façon proactif, impartiale, efficace et avec un équilibre respectueux.

Un autre aspect important de la dissuasion contre la cooptation rwandaise d'un processus congolais de décentralisation serait de mettre progressivement en place à grande échelle des projets d’infrastructures et des projets industriels devant, à court terme, améliorer à l’indépendance économique de la RDC vis-à-vis de ses voisins. Un exemple de ce type de projets serait la rénovation de l'aéroport de Goma et sa mise aux standards internationaux, de sorte à permettre un mouvement libre et direct des marchandises et des personnes de l’Est de la RDC vers les principaux centres commerciaux du globe.

Avec le temps, le Rwanda pourrait atteindre un point de basculement où ses motivations économiques commenceraient à favoriser un traitement de la RDC sur un même pied d’égalité, comme c’est le cas avec ses autres voisins tels que le Kenya ou la Tanzanie. Bien que cela ne résoudrait pas les préoccupations du Rwanda sur les aspects culturels et sécuritaires, aborder le problème d’un point de vue économique pourrait permettre, à terme, de remodeler la stratégie géopolitique du Rwanda dans la région des grands-lacs.  

En somme, le meilleur scénario possible pour la situation délétère actuelle c’est, pour la RDC, de saisir les négociations en cours pour adresser de front le désir du Rwanda d'un Etat fédéral à l’Est du Congo en convainquant Kigali qu'il peut réaliser cela en se servant de la législation congolaise préexistence en matière de décentralisation. Alors, la communauté internationale doit soutenir solidement les institutions centrales et provinciales et l'infrastructure économique de la RDC en vue d’atténuer lentement l’encombrant contrôle et l’intervention externes. Les élections locales, qui avaient été prévues pour cette année, pourraient fournir le cadre pour de telles discussions (...)". 


samedi 15 décembre 2012

Discours à la Nation du Président Joseph Kabila, samedi 15 décembre 2012


Discours du président de la République Joseph Kabila ce samedi, devant le parlement congolais réuni en congrès : Découvrez vous-même sa pertinence (ou non !). Mon analyse plus tard...



 Honorable Président de l’Assemblée Nationale,
Honorable Président du Sénat,
Honorables Députés et Sénateurs,
Mes Chers Compatriotes,

Comme de coutume, Me voici devant vous pour présenter l’état de la Nation.

J’aurais bien voulu Me livrer à cet exercice dans une ambiance de paix et de sécurité sur l’ensemble du territoire et passer en revue les activités menées dans tous les secteurs de la vie nationale.

Mais hélas ! Notre pays traverse des moments difficiles.

Une fois de plus, une guerre injuste nous est imposée.

Tout a été dit sur cette guerre d’agression de la part du Rwanda. Des preuves suffisamment documentées sont fournies aussi bien par nos services spécialisés que par différents rapports des Nations Unies.

Soyez cependant rassurés.

La République Démocratique du Congo va rebondir. Et notre programme de reconstruction nationale et de modernisation va se poursuivre.

Honorables Députés et Sénateurs,

La situation de notre pays étant telle, vous conviendrez avec Moi que Je focalise l’essentiel de mon propos sur la situation sécuritaire et humanitaire actuelle dans la Province du Nord-Kivu.

En effet, pour Moi, dès lors qu’une partie du territoire national se trouve en péril, c’est toute la République Démocratique du Congo qui est concernée et interpellée. C’est tout son développement qui est hypothéqué. Car, sans paix, sans sécurité, tout effort de développement n’est qu’illusion.

Je voudrais, dès lors, vous entretenir d’abord de cette situation. Je vous exposerai ensuite les efforts engagés ainsi que des pistes de solutions en vue à court, moyen et long terme pour y mettre fin.

Honorables Députés et Sénateurs,

C’est depuis fin mars 2012 que des éléments à la solde des intérêts étrangers, ont entrepris de semer le trouble et la désolation dans la province du Nord-Kivu.

A l’origine, ce fut une mutinerie, justifiée par des allégations de non-application, par le Gouvernement de la République, de l’Accord de Paix du 23 mars 2009, conclu entre le Gouvernement et une trentaine de groupes armés.

Aujourd’hui, l’accord n’est contesté que par un seul d’entre eux, et en fait par quelques uns d’entre eux.

Cette mutinerie s’est ensuite muée en une rébellion, aux motivations fluctuantes et élastiques, variant en fonction des alliances et des circonstances.

La stratégie mise en place est simple : susciter des foyers de tension, et provoquer l’insécurité à plusieurs endroits de la République ; décourager les investissements, et empêcher la mise en œuvre du programme de reconstruction nationale. Bref, créer le chaos et justifier la balkanisation de notre pays.

Honorables Députés et Sénateurs,

Au moment où Je vous parle, près d’un million de nos compatriotes du Nord-Kivu vivent le cauchemar d’une guerre que nous n’avons, ni directement, ni indirectement provoquée.

Une guerre dont les véritables concepteurs et commanditaires sont aussi insaisissables que le sont leurs motivations profondes, sujets tabous, parce qu’inavouables.



Poussés à l’errance, victimes d’actes de terrorisme et d’exactions propres à un autre âge, nos compatriotes des territoires de Rutshuru et Nyiragongo sont privés des droits les plus élémentaires reconnus à toute personne humaine : meurtres, assassinats, viols, enlèvements, détentions arbitraires, enrôlement forcé des enfants mineurs, pillage systématique des biens des particuliers et des biens publics, y sont perpétrés à grande échelle.

Meurtris au plus profond de nous-mêmes, nous exprimons, à ces compatriotes affligés, notre fraternelle compassion.

Nous nous inclinons devant la mémoire de tous ceux qui ont trouvé la mort, du fait de cette guerre.

De même, nous rendons un hommage mérité aux vaillants soldats, caporaux, officiers, comme aux éléments de la Police Nationale et des services de sécurité, qui ont combattu avec bravoure, et dont certains sont tombés sur le champ d’honneur.

En leur mémoire à tous, Je vous convie à garder une minute de silence.



Je vous remercie.


Honorables Députés et Sénateurs,

N’en déplaise aux prophètes de malheur qui projettent le démembrement de notre pays, la République Démocratique du Congo est et restera toujours un Etat de droit, indépendant, souverain, uni et indivisible.

Il est vrai que nous avons, il y a peu, perdu une bataille. Mais, comme dans la vie d’un homme, un échec, dans l’existence d’une nation, n’est pas une fatalité. Le plus important c’est de se ressaisir et de se donner les moyens de se projeter positivement dans l’avenir.

Apprêtons-nous donc à défendre notre mère patrie jusqu’au sacrifice suprême.

C’est dire que nous ne ménagerons aucun effort pour reconquérir les territoires occupés.

Rien, aucune souffrance, aucune privation, aucune adversité ne fera fléchir notre détermination à défendre l’intégrité territoriale, à préserver l’unité et la cohésion nationales.

Honorables Députés et Sénateurs,

Pour mettre fin à cette nouvelle guerre, nous nous sommes, dès le début, déployés sur trois fronts : diplomatique, politique et militaire.





Sur le plan diplomatique, la guerre au Nord Kivu et la situation humanitaire qu’elle a engendrée, ont justifié, notamment, la convocation, en sept mois, de cinq Sommets extraordinaires de la Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs ; de deux Sommets de la SADC ; d’un Forum de Haut Niveau qui a réuni 24 entités, Etats et organisations, à l’initiative du Secrétaire Général des Nations Unies ; d’une rencontre tripartite République Démocratique du Congo, République du Rwanda et Etats Unis d’Amérique ; deux résolutions du Conseil de Sécurité et trois déclarations de son Président.

Grâce à cette offensive diplomatique, les Etats de la Région des Grands Lacs ont officiellement et unanimement identifié toutes les forces négatives qui y sévissent.

Vu la dégradation de la situation et l’érosion conséquente de la confiance entre notre pays et le Rwanda, l’intervention d’une Force Internationale Neutre a été décidée par la Région des Grands Lacs avec, pour mission, la surveillance de la frontière entre notre pays, le Rwanda et l’Ouganda d’une part, et d’autre part, l’éradication des forces négatives.

S’agissant de cette force, notre pays, premier concerné par la crise, s’est déjà acquitté de ses engagements.

Pour sa part, la SADC, afin de prêter main forte aux efforts du Gouvernement et de la Région des Grands Lacs, a décidé, lors de son dernier Sommet des Chefs d’Etat et de Gouvernement, de participer directement à la concrétisation de la Force Internationale Neutre en activant et en rendant disponibles ses forces en attente.

En ce qui concerne la Monusco, en dépit de certaines réalisations communes indiscutables, telles que la réunification du pays depuis 2003 et l’accompagnement dans le processus démocratique en cours dans notre pays, force est de constater que la crise actuelle a donné la preuve, une fois de plus, des limites de l’approche de son action dans notre pays. D’où une profonde frustration du Gouvernement et de la population congolaise.

Au départ force d’observation, ensuite devenue une force de maintien de la paix avec pour mission particulière de protéger la population, ses résultats demeurent jusqu’ici mitigés.

C’est pourquoi, tout en poursuivant notre collaboration avec les Nations Unies, nous avons exigé un réaménagement de son mandat afin de le mettre en phase avec les réalités du terrain. Nous attendons des discussions actuellement en cours au Conseil de Sécurité des Nations Unies qu’elles aboutissent à son renforcement.



Sur le plan politique, poursuivant la quête d’une solution à ce conflit armé, le Gouvernement a accepté de rencontrer, sous l’égide de la Région des Grands Lacs, ceux qui ont comploté et agressé la République Démocratique du Congo afin de vider le prétexte de la déstabilisation.

Une délégation officielle, représentative de toutes les institutions politiques de notre pays et de la société civile a été dépêchée à Kampala pour des échanges qui ont commencé lundi dernier.

S’agissant de la nature de ce mouvement, de ses dirigeants, de ses motivations et de ses projets, la vérité est connue de tous. Au pays, dans la Région, comme partout ailleurs dans le monde.

Je tiens à préciser que les échanges de Kampala ont pour objet de clarifier les enjeux et de situer les responsabilités dans cette guerre.

Honorables Députés et Sénateurs,

Le troisième front est celui dans lequel se trouvent engagées le Forces Armées de la République Démocratique du Congo.

Certes, nous poursuivons nos efforts diplomatiques et politiques.



Mais, après toutes les expériences vécues, comment ne pas constater que l’attitude et les agissements de ceux qui nous font la guerre de manière récurrente, prouvent que seule une armée républicaine forte nous permettra de garder notre dignité et de sauvegarder l’intégrité territoriale de notre pays.

Désormais, au-delà de toutes nos actions pour le développement, notre priorité sera la défense de la patrie.

La défense, rien que la défense, avec une armée dissuasive. Une armée nationale, apolitique et professionnelle. Bref, une armée qui rassure notre peuple dans toute sa diversité ; une armée dont notre peuple sera fier, et qu’il soutiendra en tous temps et en toutes circonstances.

C’est dans cette optique que nous entendons poursuivre, à un rythme plus accéléré, le renforcement des capacités de nos forces armées.

A cet effet, toutes les Lois concernant laréforme des forces armées ainsi que leurs mesures d’application devront être  scrupuleusement observées.

C’est ici, pour Moi, l’occasion de lancer un appel à la Nation toute entière pour que, désormais, elle s’approprie l’enjeu de la défense nationale.



De même, conformément au programme du Gouvernement, Je demande à chacun d’entre nous, dans sa sphère d’action et d’influence, de sensibiliser notre jeunesse à s’enrôler massivement au sein de nos forces de défense et de sécurité, afin que celles-ci deviennent le rempart implacable de la défense de la patrie.

Sur ces trois fronts, diplomatique, politique et militaire, nos efforts vont se poursuivre sans relâche jusqu’à la victoire et à une paix définitive et durable pour nous-mêmes et pour la Région.

Honorables Députés
Honorables Sénateurs,

La gravité de la situation dans laquelle se trouve notre pays ne doit pas détourner notre attention et nos énergies de la recherche d’un Congo plus radieux.

Certes, l’année qui s’écoule a été difficile. Mais, elle nous a permis de réaliser des avancées incontestables.

Au plan politique,  les différentes actions engagées ont  été focalisées sur le renforcement de notre jeune démocratie et la consolidation de l’Etat de droit.

Les dernières élections des Gouverneurs de province dans le Bas-Congo, la Province Orientale et le Kasaï-Occidental  ont démontré la vivacité de notre système politique dans lequel toutes les libertés sont admises et les contradictions, acceptées.

La Commission Electorale Nationale Indépendante, qui a fait l’objet d’un large débat dans les deux Chambres du Parlement, est en cours de réforme.

La décentralisation, exigence de notre Constitution, se poursuit. D’importantes étapes ont  été franchies. Il en est ainsi du transfert de certaines compétences aux instances provinciales.Les projets de lois organiques fixant les limites des provinces et celles de la Ville de Kinshasa ainsi que celui portant programmation des modalités d’installation des nouvelles provinces sont en examen au Parlement.

Je voudrais, cependant, attirer votre attention sur quelques pratiques en cours dans nos Assemblées.

Si le débat caractérise la démocratie, les agissements de certains responsables n’augurent pas  de l’exercice d’une bonne gouvernance.

Le débat politique doit se tenir dans le respect des règles de la décence, de la courtoisie et avec un sens de responsabilité. L’homme d’Etat, attentif aux intérêts de la Nation, ne saurait se confondre à ces politiciens qui ne privilégient que leurs propres calculs. En cette période de guerre, la mobilisation de tous est requise.

Ne tombons pas non plus dans le piège de la stigmatisation, quelle qu’elle soit : ethnique ou communautaire, régionale ou politique. Il n’y a pas une  République pour la Majorité et une autre pour l’Opposition. Nous n’avons qu’une seule République : la République Démocratique du Congo.

Honorables Députés et Sénateurs,

Dans l’élan de consolidation de l’Etat démocratique, différentes autres initiatives et actions  ont été menées.

Le Parlement vient de voter la loi relative à la création de la Commission Nationale des Droits de l’Homme.

Un projet de loi sur la parité Homme–Femme a été adopté.

Et dans un autre registre, notre pays a accueilli avec dignité, organisé et dirigé avec efficacité le Sommet de l’Organisation Internationale de la Francophonie qui, pour sa 14ème session, s’est réuni, pour la première fois de son histoire, en Afrique Centrale.

Quant aux réformes économiques, elles ont donné des résultats encourageants : un taux de croissance de 7,2%, un taux d’inflation de 3%, un des plus bas de notre histoire, une monnaie nationale stable, et des réserves de change de plus en plus importantes.

Cependant, beaucoup de Congolais semblent fatigués d’entendre parler d’excédents budgétaires, et de stabilité du cadre macro-économique, alors que les conditions de vie de nos populations ne s’améliorent pas dans les mêmes proportions.

Un peu de créativité, doublée de volontarisme, s’impose.

La dure réalité est qu’aussi significatifs qu’ils soient, les acquis de ces dernières années ne sont qu’une étape de la longue marche vers la pleine satisfaction des attentes de la population, singulièrement en termes d’emplois et de revenus.

Nous devons donc redoubler d’efforts.

En ce qui concerne notre programme de reconstruction nationale et de modernisation, comme je l’ai dit au début de mon adresse, nous sommes déterminés à le poursuivre sans désemparer.

C’est, pour notre pays, la condition de son émergence.

Honorable Président de l’Assemblée Nationale,

Honorable Président du Sénat,

Honorables Députés et Sénateurs,

Chers Compatriotes,

Pour nous affaiblir, la guerre nous a été imposéeà nouveau.


Il nous incombe, en tant que Nation, de la transformer en opportunités :

Opportunité de raffermir encore davantage notre volonté de vivre ensemble en tant que Congolais, convaincus d’être unis par le sort,  et délibérément unis dans l’effort,  pour bâtir un pays toujours plus beau, et préserver à jamais, notre indépendance, et notre souveraineté.

Opportunité aussi de repenser nos priorités et de consacrer à la défense du territoire national, une part conséquente de nos énergies, et de nos ressources.

Opportunité de jeter les bases qui permettent à notre pays de devenir, à tous égards, une véritable puissance, ultime assurance contre tout projet diabolique, garantie de la sécurité des Congolais et de leurs biens, de la paix sociale et de la stabilité nationale et régionale.

Il est en effet important, au sortir de cette guerre, par les décisions que nous prendrons et les réformes que nous poursuivrons, par l’unité de volonté et d’action dont notre peuple fera la démonstration, que notre message aux ennemis de notre pays soit clair et sans équivoque, à savoir : toute nouvelle tentative d’agression sera suicidaire.

Pour y parvenir, la cohésion nationale est plus que nécessaire. Elle requiert que nous oubliions nos divergences pour nous retrouver autour de ce qui nous est le plus cher à tous : le Congo.

Cette cohésion ne peut souffrir d’aucune conditionnalité. Elle se réalisera dans un cadre approprié et ouvert à toutes les forces politiques et sociales du pays. Une initiative sera prise incessamment à cet effet et les modalités de sa réalisation en seront précisées le moment venu.

Face à une situation historique qui met la Nation en péril, plus qu’une responsabilité, la cohésion nationale s’impose à nous tous : acteurs politiques, société civile, forces de défense et de sécurité et toutes les forces vives de la Nation.

La défense de notre cher et beau pays est l’affaire de tous, de même que la préservation de la paix nous concerne tous.

Je suis convaincu qu’avec l’implication de chacun de nous, et avec l’aide de Dieu, ce défi sera relevé.

Honorables Députés et Sénateurs,

Mes Chers Compatriotes,

Je vous remercie pour votre attention.