Gén. Joseph Nzabamwita, porte-parole de la RDF |
Ce dimanche encore (2 décembre 2012), au lendemain du retrait officiel du M23 de la ville de Goma conformément aux recommandations de la CIRGL, le gouvernement rwandais a annoncé qu'une nouvelle incursion des FDLR a eu lieu en district de Musanze, dans le parc des volcans (prolongement du parc des Virunga en RDC), faisant cette fois un mort (un garde-parc rwandais) et un blessé. Comme précédemment, l'information a été largement relayée par les médias rwandais et occidentaux. Peut-être entendra-t-on ce soir, comme précédemment, un porte-parole des FDLR revendiquer l'attaque !
Tout ceci n'est pas sans susciter des questionnements pour quiconque suit attentivement la situation dans cette région trouble des grands-lacs, et en particulier ce qui se passe à l'est de la République Démocratique du Congo et les rapports pour le moins complexes qu'entretient ce vaste pays avec son miniscule voisin.
FDLR, inventer une sacrée aubaine pour inverser le sens du tourbillon régional ?
En effet, selon tous les experts et tous les connaisseurs de la région, les FDLR ont été considérablement affaiblies durant les dernières années : sur le plan humain, leur nombre est passé d'une dizaine de milliers à seulement deux ou trois mille. Tandis que sur le plan matériel et politique, ils ne bénéficient plus ou prou du soutien du gouvernement congolais; leurs leaders en Europe ont été emprisonnés - et un autre est sous le coup d'un mandat d'arrêt de la CPI - ; la population congolaise s'est globalement dissolidarisée d'elles à cause de leurs exactions et de leurs liens supposés avec l' "agresseur" rwandais; leurs circuits d'exploitation et de commerce illicites de minerais ont été fortement restreints, etc.). Outre le processus de démobilisation et rapatriement de la Monusco qui en a rapatrié plusieurs milliers ces dix dernières années, plusieurs opérations militaires ont été menées contre elles, y compris d'ailleurs avec la participation active du Rwanda, avec pour effet (au moins) de réduire leur capacité d'organisation et d'opération> (Jusqu'il y a trois mois, des soldats rwandais censés "traquer" les FDLR étaient en opération dans le Rutshuru). Les rébellions de Laurent Nkunda et l'actuel M23 ainsi que l'activisme des milices congolaises anti-rwandaises ou anti-FDLR sont aussi passées par là...
Le contexte : l'autre sujet d'interrogation, c'est le moment pour le moins improbable où ces attaques ressurgissent. Il faut dire qu'aucune incursion armée des FDLR n'avait été rapportée depuis 2006, hormis (curieux, cela aussi) les quelques attaques à la grenade qui ont eu lieu dans certaines villes du Rwanda entre 2010 et 2011, et que le gouvernement rwandais a attribué tour à tour à ses officiers dissidents, à des opposants et aux FDLR. Les prétendus agresseurs du Rwanda auraient traversé la zone controle du M23, groupe rebelle créé (ou en tout cas soutenu) par le Rwanda, pour pénétrer sur le territoire du Rwanda. comment, d'un coup, un groupe rebelle que tout le monde dit moribond, renaît soudainement, au moment le moins propice qui soit pour lui, pour lancer des attaques contre une armée aussi redoutée dans la région que l'armée rwandaise ? Quel pourrait être le but d'une telle démarche sinon le suicide ? Si elles sont soutenues par les FARDC, comment les FDLR ont-elles attendu la défaite de leurs "sponsors" et leur éloignement de la frontière pour lancer leur incursion, sachant qu'elles n'auraient pas de base-arrière, et qu'elles seraient encerclées par deux armées alliées, en l'occurence le M23 et la Rwanda Defense Force ? Peuvent-elles être aussi insensées, ces FDLR ?
Attaques, ou simulacres d'attaques ?
Une seule réponse me paraît évidente : ce sont des simulacres d'attaques mises en scène par le Rwanda, et qui ont des motivations politiques et diplomatiques plus ou moins faciles à dénicher. Le Rwanda est actuellement accusé de toutes parts de soutenir la rébellion du M23 qui est entrain de remettre à plat tous les efforts de stabilisation de la RDC. Il a beau démentir, son discours ne coule plus de soi, et même ses soutiens traditionnels et presque inconditionnels commencent à marquer leur agacement et leur désaccord des méthodes de Kagame et de son armée. Alors, pourquoi ne pas se remettre en position de victime ? Les FDLR, qualifiées de groupe terroriste et génocidaire par Kigali ont toujours été montrées comme constituant une menace sérieuse à la sécurité du Rwanda, ce qui a d'ailleurs servi à justifier ses nombreuses interventions armées (officielles ou non) en RDC.
En réussissant à démontrer que contrairement aux prétentions des experts, les FDLR continuent de constituer encore aujourd'hui une menace sérieuse pour sa sécurité, il ferait d'une pierre plusieurs coups : il préparerait les esprits sur son éventuelle nouvelle intervention en RDC au nom du "droit de suite"; contribuerait à donner raison aux rebelles du M23 qui prétendent que le retour des réfugiés Tusti congolais n'est pas possible puisque les FDLR qui les pourchassent sont encore présents et actifs; offrirait une autre actualité, nettement plus avantageuse, aux médias qui n'évoquent plus le Rwanda que pour parler de différents rapports le mettant en cause dans la destabilisation de la RDC; embarrasserait le gouvernement congolais constamment accusé de soutenir ou de travailler avec ces miliciens, etc. Bref, un coup politique, diplomatique et médiatique considérable. "On accuse de soutenir le M23, pourtant c'est la RDC qui soutient des génocidaires (le mot est lourd) qui lan cent des attaquent contre notre pays", clame en filigrane le Rwanda.
Et De Forge Bazeyi : a-t-il mordu à l'hameçon de Kigali ?
Pourtant le porte-parole des FDLR a lui-même revendiqué l' "attaque" de dimnanche dernier ? C'est mal connaître le régime rwandais que de perdre son temps sur ce genre d' "évidences". Loin de moi la volonté d'imaginer la seule hypothèse d'un montage fait par Kigali pour les raisons dont je viens d'évoquer les plus probables. Non. Il y a les faits et leur analyse contextuelle, mais il y a surtout l'histoire récente, différents rapports qui ont fini par rendre notoire le mnodus operandi du régime rwandais et ses moyens de propagande politique, etc. Il est de notoriété publique qu'à différentes périodes de l'histoire récente, le Rwanda a manipulé les groupes rebelles opérant à l'Est de la RDC (y compris les FDLR) pour mener à bien ses différents projets : création de groupes armés, dédoublement d'autres, redéploiement de Hutu démobilisés sur le sol congolais, ... Les derniers rapports du panel des experts sur la RDC y reviennent abondamment; ceux de la Monusco et des organisations non-gouvernementales publiés au début de l'actuelle crise étaient allés dans le même sens, ... Plusieurs témoignages de rwandais ayant participé ou ayant été intéressés à ces fins abondent.
Gén. Paul Rwarakabije, ancien patron des FDLR devenu officier de l'armée rwandaise. |
Défaire les manoeuvres rwandaises, ou oublier la stabilité et la paix à l'Est de la RDC
En un mot, à la lumière des faits, du contexte et de l'histoire récente, il faut être dupe pour croire ce genre d'allégations de la part du Rwanda. Heureusement que personne ne semble plus l'être vraiment, bien que nombreux sont (parmi les occidentaux) ceux qui hésitent encore à blâmer aussi fort qu'il le faut le Rwanda. Il faut dire que si la carte de la menace FDLR ne fait pas le jeu, il n'en sera pas immédiatement de même des nombreux autres jockers dont disposent le Rwanda : génocide de 1994 et son lot de remords dans le chef de la communauté internationale, usage efficient de l'aide internationale, lutte contre la corruption, développement "exemplaire", mais surtout une armée disciplinée dont les Nations-Unies et les grandes puissances peuvent difficilement se passer désormais, au Darfour, au Sud-Soudan, en Somalie et ailleurs.
Le retrait du M23 de la ville de Goma et d'autres localités que ce mouvement rebelle avait occupés il y a moins de deux semaines (avec, semble-t-il, la participation directe et substentielle de l'armée rwandaise, selon un nouveau rapport qui sera vité discrédité comme ceux qui l'ont précédé) ne devrait pas mettre les gens en euphorie. A mon avis, le Rwanda et l'Ouganda, via la CIRGL, avaient intérêt à faire appliquer une "résolution" prise au niveau régional afin de marquer des points : faire créditer la thèse selon laquelle ils soutiennent sincèrement le retour de la paix en RDC, car sinon ils ne seraient pas aussi "exigeants" envers le M23, et, d'autre part, obtenir que la CIRGL et ces deux pays continuent d'être regardés comme sérieux et incontournables dans cette crise. Pompiers-pyromanes, c'est cela le terme ?
Les attaques lancées le soir même du retrait du M23 contre le camp des déplacés de Mugunga; ces allégations répétées d'incursions des FDLR sur le territoire rwandais et de leur soutien supposé par l'armée gouvernementale congolaise; les déclarations de Sultani Makenga sur son intention de terminer, si nécessaire, le travail qu'il a commencé; etc., voilà autant d'éléments qui attestent de la volatilité et l'imprévisibilité de la situation. Le Rwanda, me semble-t-il, n'a pas encore dit son dernier mot !
Le voeu des congolais et de tous ceux qui ont un souci réel pour la paix et la stabilité de cette région, c'est que les occidentaux ne tombent pas à nouveau dans le filet de la très probable manipulation rwandaise; qu'ils accroissent par contre leur pression sur ce bout de pays qui, trêve d'arrogances, ne peut survivre sans leur aide, et qu'ils posent en même temps des actions concrètes et fortes pour qu'adviennent et émergent, en RDC, un véritable Etat (avec un véritable gouvernement et une véritable armée). Ce sont des actions qui doivent être simultanées.