Translate

vendredi 14 décembre 2012

RDC : le « dialogue » de Kampala se fait toujours attendre, et pour cause…



Deux semaines pour ça ?

L'abbé A. Malu-Malu et le ministre R. Tshibanda à Munyonyo. Photo M.P.
L’ouverture officielle du « dialogue » entre le M23 et le gouvernement congolais a eu lieu voici six jours, le dimanche 9 décembre dernier. La délégation congolaise, à la tête de laquelle se trouve le ministre des affaires étrangères Raymond Tshibanda, venait alors de passer plusieurs jours à Kampala, en attente des délégués du M23.

Le ton avait été donné par le chef de la délégation du M23, François Rucogoza qui, dans son virulent discours de circonstance, n’avait pas ménagé le gouvernement congolais, l’accusant entre autres choses de tolérer le massacre et la discrimination des Tutsi. Le ministre congolais avait demandé et obtenu de la « facilitation » une occasion de répondre à « la calomnie » du M23, et de « mettre à nue sa vraie identité et ses exactions ». La séance de lundi 7 décembre au cours de laquelle devait être donnée la réaction du gouvernement congolais avait été boycottée par le M23, qui se disait non-intéressé par ces « échanges stériles » (dixit René Abandi, chargé de relations extérieures de la rébellion). Mais à la demande (pression ?) personnelle du président ougandais Yoweri Museveni, le M23 acceptera finalement de se présenter mardi soir, et d’écouter la réplique détaillée (mais sans plus) du ministre Tshibanda.

L’incident était ainsi vite clos. Et les naïfs s’attendaient à ce que les « choses sérieuses » commencent ; c’est-à-dire le dialogue proprement-dit. Dans son discours d’ouverture dimanche, le ministre ougandais de la défense et « facilitateur » du « dialogue, Crispus Kiyonga, avait alors annoncé qu’un agenda et un règlement des pourparlers seraient être adoptés dans les vingt-quatre heures. Il ne se doutait pas encore à ce moment de la survenance de l’incident dont je parlais tout à l’heure. Il n’a donc pu commencer la consultation des deux délégations pour la fixation de l’agenda et du règlement que mercredi. Hélas, alors que le compromis à ce sujet était annoncé hier (jeudi 13 décembre) dans la soirée, il n’est toujours pas venu. Au moment où j’écris ce billet, les tractations continuent entre les deux parties et la facilitation pour ce faire.

Entre-temps, la trentaine de membres de la délégation congolaise s’ennuient dans le luxueux complexe hôtelier de Munyonyo où ils sont logés. Les plus entreprenants enchaînent des réunions avec des diplomates, des personnalités ougandaises, des journalistes, etc. D’autres essaient de profiter de la vie (ballade au bord du lac Victoria, sorties à Matonge et autres coins branchés de Kampala, shoppings, …). Sauf que Kampala n’a pas forcément la même ambiance que Kin… Certains, comme le vice-Président de l’assemblée nationale Charles Mwando Nsimba et l’élu de Goma Konde Vila-Kikanda, sont carrément retournés à Kinshasa, officiellement pour répondre à d’autres charges d’Etat (clôture de la session de septembre, discours du Chef de l’Etat devant le Congrès, …). Le chef de la délégation congolaise devrait les suivre, pour les mêmes raisons.

De côté, les délégués de la rébellion qui, friands de leur intimité et pas intéressés à se familiariser avec leurs « adversaires » –, ont choisi d’être logés dans un autre endroit loin de Munyonyo, il est possible qu’il règne le même climat. En tout cas, eux n’ont pas autant à perdre : en plus de l’avantage moral d’être les seuls à savoir ce qu’ils veulent vraiment et de se trouver en position de force, les frais de leur logement, transport, nourriture, et perdiems, sont entièrement pris en charge par le gouvernement congolais. Bien plus, Kampala est sans doute mieux pour eux, le froid et l’inconfort de Rutshuru ou du pied du Nyiragongo, ou (pour certains d’entre eux) la monotonie de Gisenyi et Ruhengeri !

En attendant le « scoop »…

Ils sont nombreux, les diplomates, journalistes et observateurs de tous ordres venus à Munyonyo être témoins de ce fameux « dialogue » qui, hélas, se fait toujours attendre. Ils ont tous au moins deux choses en commun : ils ne peuvent pas assister directement aux tractations en cours pour trouver un compromis sur un agenda (il ne peut en être autrement), et ils doivent rendre compte quotidiennement, voire plusieurs fois par jour, de l’ « évolution » de la situation sur place. Que faire ? S’asseoir au hall ou au restaurant, discuter entre eux ou avec des membres de la délégation congolaise, prendre une tasse de café, … Au téléphone qui n’arrête de sonner, cette même phrase laconique : « on est là, on attend de connaître l’évolution ». Jusqu’à ce qu’un ministre ou un député vienne leur faire un briefing sur les derniers éléments d’une « évolution » des discussions qui n’en est pas une…

Les uns et les autres sont pourtant unanimes (ou presque) sur le point de dire que ce qui se passe à Munyonyo est une bonne farce, qui n’aboutira à rien. C’est juste comme si on se tenait là, devant des ouvriers entrain d’ériger une tour de Babel, non pas pour admirer son inauguration, mais pour être témoins de son inéluctable effondrement, dont on n’y ignore que l’instant de survenance. A moins d’un miracle !

Un « dialogue » sans objet !

Pour que les pourparlers proprement-dits puissent commencer, les deux parties doivent convenir d’un agenda des discussions ; autrement-dit leur objet. Or, c’est justement sur l’agenda que la partie congolaise et les rebelles ont du mal à trouver un compromis. Côté gouvernement, on veut circonscrire les pourparlers à l’évaluation du fameux accord du 23 mars 2009 que le M23 revendiquait originellement, jusqu’à en porter le nom. Côté M23, on voudrait absolument étendre les négociations sur des questions d’ordre général comme la démocratie et les élections (celle de Joseph Kabila en particulier), la gouvernance (décentralisation, peut-être même fédéralisme), armée et sécurité, droits humains (et retour des réfugiés), etc. Deux axes radicalement parallèles, dont il est pénible pour le « facilitateur » de trouver un point d’intersection.

Mais il se pose également d’autres problèmes, comme celui du pouvoir des délégués de part et d’autre. Le M23 a notamment justifié l’absence de son président Jean-Marie Runiga par le fait que Joseph Kabila lui-même était représenté, tandis que Sultani Makenga, commandant apparent de la rébellion, aurait « mieux à faire » sur terrain. En outre, le « dialogue » de Kampala est boycotté par l’ensemble des groupes parlementaires de l’opposition politique congolaise, critiqué ou remis en cause par une grande partie de la société civile, et généralement désapprouvé par la majorité des congolais ordinaires. A supposer qu’un compromis sur l’agenda soit trouvé, malgré tout, et que ce dialogue ait finalement lieu, que peut-il bien en sortir ? Une solution aux crises à répétition qui secouent le Kivu depuis tant d’années ?

Un processus mort-né

Quelle que soit la conclusion des assises de Kampala, l’échec est assuré. La question reste de savoir s’il sera immédiat, ou s’il apparaîtra plus tard, au terme d’une nouvelle trêve d’on ne sait combien de temps. En d’autres termes, soit que Kampala va aboutir à un sursis à la guerre (comme c’était le cas avec l’accord de mars 2009), soit qu’il va tout simplement se terminer en queue de poisson. Parce qu’il y a trop d’incohérences de part et d’autres, parce que le rapport de force est trop déséquilibré entre les parties en présence, et parce que la cause profonde de l’instabilité du Kivu n’a pas encore été mise sur la table.

L’analyse faite par Steve Hege devant le Comité pour l’Afrique du Congrès américain mardi dernier est peut-être trop radicale pour faire l’unanimité – chose impossible sur un sujet aussi complexe que le sien – mais lui au moins tente de répondre aux questions fondamentales que tout le monde se pose. A-t-il tort ou raison, ce n’est pas cela l’important à mes yeux. L’important ce serait d’apporter une antithèse au moins aussi cohérente que sa thèse à lui, sur le point de connaître l’intérêt qu’a le Rwanda à brouiller en permanence la région du Kivu, et sur les méthodes qui sont les siennes. Car, s’il est vrai que le problème à la situation est avant tout à rechercher dans la structure et le fonctionnement de l’Etat congolais en tant que tel, il est aussi vrai que le rôle des pays de la région, principalement le Rwanda, est trop prépondérant pour être ignoré ou minimisé.

Attendons voir ce que sera la lecture, et surtout l’issue que préconisera ce samedi 15 décembre le président Kabila, dans son adresse au parlement congolais réuni en congrès, à l’occasion de la clôture officielle de sa session ordinaire de septembre. D’ores et déjà, je peux parier que ce sera du déjà entendu, genre « option militaire, option politique, option diplomatique, ou le tout à la fois » !