"Masisi, le sang et les larmes, cela ne te ressemble pas !". Un troupeau de vaches paissent sur une colline, près de Rubaya (Masisi). Photo : octobre 2012 - J.Mobert. |
Un pacte de non-agression mutuelle a été signé, mardi 5
février 2013, entre plusieurs groupes armés opérant dans le territoire de
Masisi, dans la région du Nord-Kivu. Ce pacte vise à mettre un terme aux
affrontements meurtriers et aux rivalités récurrentes entre les principaux
groupes tribaux de Masisi, notamment les Hutu, les Hunde, les Nyanga et les
Tembo (à l’exception notable des Tutsi). Le territoire de Masisi est l’une des
parties les plus affectées par les conflits ethniques et identitaires dans l’Est
de la République Démocratique du Congo, et cela depuis les années 1990, bien
avant l’embrasement généralisé de la région. Que ce soient les leaders des
groupes armés concernés, les autorités provinciales et les notables locaux, ou
encore les différentes organisations impliquées dans la recherche de la paix
dans ce territoire, tout le monde a salué la signature de cet accord sans
précedent.
Le général Janvier Kalairi, chef de l’Alliance des Patriotes pour un Congo Libre et Souverain (APCLS, d’obédience
Hunde) a déclaré à l’Agence France Presse : "Nous demandons à la
population d'oublier les erreurs du passé. Il n'y a plus de Nyatura ou d'APCLS,
ni de Hutus et de Hundes. Pour l'instant, nous sommes tous membres d'une même
famille". Avec le même enthousiasme, le chef du groupe Nyatura (d’obédience
Hutu), a affirmé à la même Agence que ce jour "marquait la fin du
tribalisme dans le Masisi", avant d’agrémenter : "Nous devons
apporter la paix à la région et nous aimer comme des frères et sœurs". Y
a-t-il des raisons d’espérer que ce pacte inaugure véritablement l’ère d’une
paix durable dans cette magnifique et riche contrée, ensanglantée par des décennies
de conflits et de violences ? Mais curieusement, ces groupes ont crée un
nouveau groupe qu’ils ont dénommé Alliance des Patriotes contre la balkanisation
du Congo (APCBCO), dont on ne connaît pas encore les contours réels.
Hunde, Hutu Tembo, Nyanga, à l’unisson
De
nombreuses tentatives de concilier les communautés tribales du Masisi ont
échoué par le passé. Soit parce que la méfiance était trop importante entre
elles, soit parce que les pouvoirs publics ne s’y étaient pas suffisamment
impliqués, soit encore à cause des interférences pour des fins politiciennes ou
économiques. A cet égard, l’accord qui vient d’être signé est historique. En
effet, outre qu’il donne désormais un semblant d’entente entre les principaux
groupes armés, correspondant aux principaux groupes tribaux de Masisi (APCLS, FDDH/Nyatura,
Rahiyaa-Mutomboki, FDC-Guides, et une faction de déserteurs des FARDC), il
arrive à un moment où les autorités congolaises ont plus que jamais besoin de
cohésion des forces pour faire face à aux forces étrangères ou réputées telles,
en l’occurrence les Forces Démocratiques pour la Libération du Rwanda (FDLR) et
surtout le M23. Déjà, dans ce but précis, les autorités congolaises essayaient
depuis plusieurs mois de convaincre Janvier Karairi et ses hommes ainsi que les
combattants Nyatura de rejoindre les Forces armées de la RD Congo. Selon
plusieurs informations, les combattants de ces deux groupes avaient pris part
aux combats ayant opposé les FARDC au M23 au mois de novembre 2012 à Goma et
ses environs. Peu avant l’offensive du M23 sur Goma et Sake dans cette période,
ce sont des milliers de combattants de ces deux groupes armés qui avaient été
rassemblés à Ngungu et Mushaki en prévision d’une intégration formelle au sein
de l’armée congolaise. L’offensive du M23 avait eu pour effet de les disperser de
nouveau, chaque combattant rejoignant ainsi son groupe ou son fief, mais, de
toute vraisemblance, cela n’avait en rien entamé leur rapprochement avec les
FARDC. Cet accord est ainsi d’autant plus significatif pour les autorités
congolaises qu’elles ont tout intérêt à réduire autant que faire se peut le
nombre de brasiers dans l’Est.
Historique
comme fragile !
S’il
peut être qualifié avec raison d’historique, cet accord demeure hélas très
fragile à bien des égards.
-
La communauté Tusti à l’écart : ils constituent l’une des communautés
tribales de Masisi, et leur rôle (positif ou négatif) sur les plans militaire et
politique, aussi bien que leur importance démographique ne sauraient être
ignorés. Il faut encore savoir si cette communauté a été mise à l’écart par les
négociateurs de cet accord, ou si c’est elle-même qui n’a pas voulu être de la
partie. Quoiqu’il en soit, le fait qu’elle ne figure pas parmi les signataires
n’est pas rassurant du tout. L’on se rappellera que la guerre actuelle du M23
est officiellement justifiée, entre autres, par la prétendue marginalisation
des Tutsi, les menaces que feraient peser sur eux leur communauté la présence
des Hutu rwandais dans l’Est de la RDC et la situation des dizaines de milliers
deTutsi congolais réfugiés au Rwanda. Certes le M23 n’est pas jusqu’ici parvenu
à s’installer dans le Masisi, mais il y a des groupes qui lui sont inféodés et
qui servent ses intérêts politiques, stratégiques, voire militaires. Les Rahiya-Mutomboki
et les FDC-Guides sont de ceux-là, selon les rapports du Groupe des Experts de
l’ONU. Et pour couronner le tout, il y a ce mouvement continu de femmes et d’enfants
Tutsi quittant en masse le territoire de Masisi pour se réfugier au Rwanda
depuis le début du mois de décembre 2012. Leur raison officielle : fuir
les exactions et les attaques ciblées commises contre eux par les FDLR et par
les autres miliciens congolais (Hutu, Hunde, Nyanga, …). Ce dont on peut déduire
aisément que tous les groupes ethniques de Masisi se seraient ligués ensemble
contre les seuls Tutsi. Il est même à craindre que les Tutsi ne voient dans cet
accord une alliance hostile à leur égard entre le gouvernement congolais et des
groupes « anti-Tutsi ». Encore que les Nyatura sont souvent assimilés
de façon systématique aux FDLR, donc aux « génocidaires » par
certains, confortant ou corroborant ainsi la propagande officielle rwandaise. Il
est donc superflu de penser mener un processus de paix durable dans le Masisi
sans eux. A moins que cet accord ne soit qu’un premier pas, et que d’autres pas
suivent…
-
L’incertitude d’une unité de leadership,
de vues et d’intérêts à l’intérieur des groupes engagés : Ceci constitue un autre problème
sérieux. En effet, on sait qu’au sein d’un groupe comme Rahoya Mutomboki ou les
Guides, il y a des factions qui obéissent à des intérêts et des commandements différents,
et dont les obédiences ont un caractère variable. Dès lors, l’on peut douter
que l’engagement d’un Bwira pour le compte des Rahiya Mutomboki fasse l’unanimité
au sein de ce groupe. Pareil pour les Nyatura et les Guides. Quant à l’APCLS, l’optimisme
est permis, pour autant que sa communauté ne trouve pas dans cette alliance une
trahison…
-
L’incertitude d’une volonté politique et
de mesures sérieuses d’accompagnement : l’autre problème est celui de la politique des autorités civiles et
militaires aux niveaux national et provincial. Sont-elles à mesure de
capitaliser cette opportunité de mettre ensemble les principaux groupes armés
de Masisi, afin qu’ils cessent réellement de se faire la guerre ? On peut
en douter. D’un côté il y a le laxisme habituel de ces autorités, leur manque
de stratégie et de cohérence. De l’autre, il y a les jeux politiciens et les
calculs affairistes qui accompagnent toujours les conflits et les violences
communautaires dans les Kivu.
En
somme, la signature de ce pacte est un pas important que les autorités et les
autres acteurs devraient chercher à capitaliser et à orienter pour que l’Alliance
qui s’est créée ne devienne pas une alliance du genre « tous contre les
Tutsi », et pour que ce semblant de cohésion retrouvée autour d’un intérêt
commun ne vole pas trop vite en éclats. Par ailleurs, il est important de
trouver des mesures d’encadrement des miliciens issus de ces groupes (l’on ne
sait pas encore si ceux-ci vont rentrer dans l’APCBCO), mesures qui ne doivent
surtout pas consister en une intégration systématique au sein des FARDC. Enfin,
l’armée et la police doivent être effectivement déployées dans cette contrée, en
vue d’y assurer la sécurité. Encore faut-il que ces dernières se comportent et
soient traitées différemment que d’habitude…
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