(De g. à d.), Roger Lumbala et François Rucogoza à Kampala. N'ont-ils pas de quoi rire ! Photo M. Paluku. |
9 décembre 2012 – 9 février 2013 : deux mois jour pour jour depuis que les « pourparlers » ou le « dialogue » (l’expression varie selon les autorités et les humeurs) entre le gouvernement congolais et la « force négative » (!) du M23 ont officiellement débuté à Munyonyo près de Kampala, la capitale ougandaise. Menés sous l’égide de la Conférence internationale sur la Région des grands Lacs, et sous la médiation de l’Ouganda, représenté par son ministre de la défense, Crispus Kiyonga, ces « pourparlers » connaissent la participation d’une trentaine de délégués de part et d’autre, en plus de plusieurs observateurs régionaux et internationaux.
Au moins 1, 5 million de dollars du Trésor public pour deux mois de
villégiature en terre ougandaise
Selon nos informations, chaque délégué à ces
« pourparlers » a droit à un per
diem de 250 dollars américains, en plus d’un logement (la chambre la moins
chère à Munyonyo Commonwealth Resorts se facture 150 dollars la nuitée) et de
deux repas quotidiens (pas moins de 50 dollars). Le gouvernement compte une
trentaine de délégués officiels (ministres, parlementaires, représentants des
communautés tribales du Kivu, « représentants de la société
civile »), auxquels s’ajoutent des agents d’un service technique d’appui et
quelques journalistes, tous à sa charge. Je ne veux pas m’attarder sur le fait
que de prétendus membres de l’opposition congolaise et de la société civile
sont pris en charge par le gouvernement, ce qui les rend inexorablement
tributaires de ce dernier, car il y a encore pire : c’est le gouvernement congolais
qui prend en charge la délégation de la rébellion du M23, composée elle aussi
d’une trentaine de membres.
En tout, plus de soixante personnes. Ce qui amène le compte
autour de 1, 5 million de dollars, en considérant les cinquante jours qu’ils
viennent de passer dans le prestigieux complexe hôtelier ougandais. (Qui sait
si même la dizaine de jours de congé autour des fêtes de fin d’année n’étaient pas
« chômés » mais payés !). Et c’est sans compter les billets
d’avion (certains ministres et députés ont effectués plusieurs navettes entre
Entebbe et Kinshasa, Addis-Abeba, Dar-es-Salam, New York,...), les inévitables
commissions, les frais versés à des journalistes pour la couverture médiatique
de ce (non)événement, etc. L’argentier du gouvernement à Kampala, qui est
aussi « l’expert » et, avec le ministre des affaires étrangères, le
principal négociateur, l’illustre révérend Apollinaire Malu-Malu, peut-il
manquer sa « marge de manœuvre » entre les chiffres ? Ah ! Ce ne
serait pas catholique pour un
Congolais « normal »...
Quel résultat ?
Mauvaise question, dirais un Congolais…pragmatique !
Avec raison, car il est fort à parier qu’il n’y pas un seul Congolais, le chef
de la délégation Raymond Tshibanda en premier, qui semble être allé à Kampala
avec un résultat politique en vue. Résultat suppose objet, or justement chacun
donne à ces « pourparlers » un objet selon son propre entendement.
D’où une véritable cacophonie parmi les officiels congolais.
Pour le président Joseph Kabila, Kampala devrait mettre à
jour les « causes profondes » des guerres dans l’est de la RDC. Pour
le ministre Raymond Tshibanda, il faut en attendre une paix durable pour les
Kivus. Pour Lambert Mende, Kampala doit permettre d’évaluer l’accord du 23 mars
2009 et de démontrer la mauvaise foi des rebelles. Etc. En coulisse, tout le
monde avoue que c’est, pas plus ni moins, une distraction, une manœuvre
destinée à calmer l’ardeur des rebelles, une simple formalité découlant de la
déclaration des chefs d’Etat de la CIRGL du 26 novembre 2012 enjoignant le
gouvernement à « entendre les revendications légitimes du M23 », ou
encore un moyen de gagner du temps en attendant le déploiement d’une hypothétique
« force neutre ». Le M23, lui, voudrait probablement négocier. Mais
bien sûr ce n’est pas tant l’accord du 23 mars 2009 qui l’intéresse, que des revendications
d’ordre politique et militaire, qui ne sont pas forcément celles d’il y a trois
ans. Des questions sur lesquelles le gouvernement ne veut ou ne peut faire de
concession, en tout cas pas autant que le M23 le souhaiterait. Dans ce
contexte, quel autre résultat peut-on attendre d’un tel dialogue auquel
personne n’accorde le moindre crédit, à part un gaspillage de temps, de
ressources et d’énergie ?
Le premier résultat le plus certain, c’est l’impasse dans le
processus politique. Car tout le monde à Goma, Kinshasa ou New York a depuis
deux mois les yeux braqués sur ces « pourparlers », et depuis deux
mois rien n’en rejaillit. Par ailleurs, comment la communauté internationale,
qui a qualifié le M23 de force négative et l’a enjoint de libérer le territoire
qu’il occupe peut-il continuer de faire prévaloir cette position politiquement importante,
alors que le gouvernement de l’Etat sensé agressé est en négociations
officielles avec lui ?
Kampala aura été plus une imposture qu’un véritable
rendez-vous de la paix. Un rendez-vous sérieux, cela était d’autant plus
improbable qu’il y a trop d’anomalies et d’absurdités dans l’affaire : traiter
un groupe armé de « satellite » d’un agresseur et de force négative,
et ensuite avoir à négocier avec lui ; discuter de l’exécution d’un accord
avec une partie qui, juridiquement, n’en est pas signataire ; accuser
publiquement le Rwanda d’être le véritable meneur de « l’agression »,
et accepter de discuter avec ses supplétifs supposés ; prendre pour
médiateur le ministre de la défense de l’un des pays agresseurs, et y tenir les
négociations ; etc.
Quant au second résultat le plus certain, c’est l’emploi à
durée indéterminée et au salaire juteux de 250 dollars par jour, logement de
luxe, copieux repas et boisson assurés, pour certains délégués (notamment ceux de
la soi-disant société civile). Comparé à ce que gagne le Congolais moyen qu’ils
prétendent représenter, ou comparé à la vie que mène un déplacé lambda dans un camp d’infortune à
Mugunga, c’est un luxe dont peu de congolais dans l’air du temps peuvent se
passer. Un luxe gratuit, car 99% des
délégués (des deux parts) ne sont que des « observateurs » passifs,
l’ensemble des actes de la farce étant dévolus aux chefs de délégation. Ils
n’ont d’autre charge que de supporter les quelques grammes du large badge
« CIRGL » suspendu à leur cou durant les longues heures qu’ils
passent à la terrasse de l’hôtel (à boire, manger, discuter entre eux ou avec
des journalistes et des diplomates étrangers), au jardin entrain de se faire
interviewer ou de se faire prendre des posters, ou encore les rares fois qu’une
« plénière » est convoquée, pour applaudir à la moindre gesticulation
des acteurs ou leur metteur en scène de médiateur ougandais. Il faut être
irréfléchi pour attendre de ces « représentants du peuple »,
« de l’opposition », ou « de la société civile » donnent un
autre son de cloche que celui du très généreux gouvernement. Ils acquiescent,
appuient, soutiennent, applaudissent, … La slogan « représentant » n’est
en fait qu’un visa d’accès à de telles « opportunités », et le reste n’a
aucune importance.
Dommage qu’à Kinshasa, un « jaloux saboteur » ait eu la sinistre idée de congédier, sans
préavis, une bonne partie de ces vacanciers de la patrie au motif
(valable ?) que la facture commençait à devenir trop lourde !
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