Je vous propose ici, en intégralité, l'article de Christophe Rigaud, paru sur son blog afrikarabia.com sous le titre original "Mamadou Ndala : l'armée au coeur des soupçons".
Les premiers
suspects arrêtés dans l’assassinat du colonel Mamadou Ndala sont tous des
militaires de l’armée congolaise (FARDC). Un suspect, le général Moundos, un
temps arrêté, s’évade avant d’être de nouveau placé en résidence surveillée à
Beni.
Qui a tué Mamadou Ndala ? Une semaine après
l’assassinat du célèbre colonel de l’armée congolaise dans une embuscade au
Nord-Kivu, de multiples interrogations demeurent sur les conditions et les
commanditaires de l’attentat. La mort de Ndala, devenu entre temps « héros national« , a profondément choqué les Congolais. Ce colonel de l’armée
régulière était considéré comme le principal artisan de la victoire des FARDC
sur les rebelles du M23 en novembre 2013.
« L’ancienne
tenue des FARDC »
Quelques heures après l’annonce de la mort de Ndala,
Kinshasa délivrait une première version. L’embuscade aurait été tendue par des
rebelles ougandais (ADF-Nalu), présents dans la région et très actifs depuis la
défaite du M23. Mais très vite, la piste ougandaise prend l’eau. Un garde du
corps rescapé du colonel Ndala, le caporal Paul Safari, est très
affirmatif : « J’ai vu deux des assaillants, et ils portaient l’ancienne tenue verte des
FARDC. Je ne crois pas que ce soit les ADF-Nalu« . Il faut dire également que les rebelles ougandais ne stationnaient
pas directement sur le zone de l’attentat, mais plus loin, à une dizaine de
kilomètres. Le mode opératoire ensuite, ressemble peu aux pratiques de ce
groupe armé. La piste ADF-Nalu paraît donc peu crédible.
« Aucun
indice d’explosion »
Une deuxième zone d’ombre plane ensuite sur la version
de l’embuscade délivrée par les autorités. Le véhicule du colonel Ndala aurait
été touché par une roquette antichar. Au vue des images de l’attentat, cette
théorie apparaît également bancale. Jean-Marie Ndambi, un expert en explosifs,
consulté par le spécialiste de l’armée congolaise, Jean-Jacques Wondo, explique
qu’un obus de roquette « contient une charge explosive qui
s’enclenche au contact de sa cible. Dans le cas présent, on ne voit aucun
indice d’explosion. Rien ne montre que ce véhicule a été touché par un obus
d’une roquette antichar. Il a pris feu comme un véhicule incendié« . Apparaît alors une autre hypothèse sur la mort du colonel Ndala :
l’assassinat à bout portant par un militaire de l’armée congolaise. Les images
du corps carbonisé de Mamadou Ndala, à côté de son véhicule, fait dire à
Jean-Jacques Wondo que « le véhicule a été aspergé de matières
inflammables, afin de masquer, les traces des balles sur le corps ».
Kabila ou M23 ?
La question est maintenant de savoir qui se cache
derrière l’assassinat de Ndala ? A Goma, où la personnalité de Ndala a été
élevée au rang de « sauveur de la RDC« , les regards se tournent
vers Joseph Kabila. Le président congolais aurait été « gêné » par la popularité du colonel, présenté comme le vainqueur de la
guerre contre le M23. Il faut dire que Joseph Kabila a brillé par son
absence sur le terrain pendant toute la guerre au Kivu. Lors de sa venue à
Goma, le « héros« acclamé par la population s’appelait Mamadou Ndala et non
Joseph Kabila. Une autre piste évoque les rebelles du M23 qui auraient pu
se venger de leur défaite face aux FARDC. Une thèse peu plausible dans l’état
actuel de recomposition de la rébellion, très divisée. D’autant plus que pour
le M23, la victoire des FARDC est plutôt à attribuer au soutien logistique de
l’ONU sur le terrain.
La piste "Moundos"
Reste une dernière théorie. L’assassinat de Mamadou
Ndal serait l’oeuvre d’un règlement de compte à l’intérieur de l’armée
congolaise. Une piste accréditée par les premières arrestations toutes
effectuées au sein des FARDC. Les enquêteurs ont d’abord mis la main sur le
colonel Tito Bizuru Ogabo et sur un garde du corps de Ndala. Mais il y a une
piste plus sérieuse qui se dessine autour d’un militaire : le général Moundos,
de la garde républicaine. Un temps interpellé, il se serait échappé avant
d’être rattrapé et placé en résidence surveillée au camp militaire Mangango de
Beni. Moundos était dans la région à la tête d’un bataillon envoyé par Joseph
Kabila pour prêter main forte au colonel Mamadou Ndala au Nord-Kivu. Une
« rivalité » entre les deux hommes est évoquée par plusieurs sources. D’autres
pensent que Moundos aurait pu être « la main » du président congolais dans cette affaire.
L’autre affaire Moundos
Moundos apparaît également dans une autre affaire
trouble, plus ancienne. Il s’agit du meurtre de l’homme d’affaire tutsi, Albert
Prigogine, en 2008. Moundos est cité par l’avocat de la famille, comme le
possible « organisateur » de l’assassinat de Prigogine. Le colonel Moundos (il n’était pas
encore général), était alors le beau-frère de Musanganya, « un homme
d’affaires connu de la place, avec lequel la victime était en conflit depuis
plusieurs années ». Dans l’affaire Mamadou Ndala, l’arrestation de Moundos
et surtout son évasion ne plaide pas beaucoup en sa faveur. La piste Moundos
est sans doute la plus sérieuse à ce jour.
Pas de résurrection pour les FARDC
En dehors des suspects potentiels, l’assassinat de
Mamadou Ndala constitue avant tout le révélateur de l’état de l’armée
congolaise. Pour Thierry Vircoulon, responsable de l’Afrique centrale pour
International Crisis Group (ICG), « l’embuscade dans laquelle est tombée
Ndala remet en cause l’image des unités qui ont combattu le M23. Sur la vidéo
de l’attaque, l’attitude des soldats congolais n’est pas très professionnelle.
Si on ajoute à cela les soupçons d’une responsabilité interne à l’armée, nous
sommes donc encore loin de la résurrection des FARDC comme on veut bien nous le
dire. Les problèmes de l’armée restent entiers ».
Entre le coup de force raté du 30 décembre, le regain
de violence au Katanga et au Nord-Kivu et enfin l’assassinat du colonel Mamadou
Ndala, l »année 2014 commence au plus mal pour le président Joseph Kabila.
Après l’éphémère victoire de l’armée sur le M23, la RDC doit de nouveau
affronter une nouvelle zone de turbulence et attend toujours la formation d’un
nouveau gouvernement.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia
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