Introduction
L’on peut situer vers l’année 1996 le début de la crise
sécuritaire que connaît l’est de la République Démocratique du Congo (région
allant de l’Ituri en province orientale jusqu’au nord du Katanga, en passant
par les deux Kivu). Cela fait donc plus de seize ans que cette région aussi
vaste que toute l’Allemagne, très riche en ressources naturelles (coltan,
pétrole, gaz, or, diamand, bois, …), et l’une des plus peuplées de la RDC, est devenu
le théâtre de guerres et de violences de touts genres, qui ont causé la mort de
plusieurs millions de civils, d’horribles viols de femmes et d’enfants, l’exile
massif de millions de personnes, et des dégâts sociaux, économiques et environnementaux
incommensurables.
Les violences continues dans cette partie de la République
ont donné lieu à des efforts tous azimuts aux niveaux régional et
international, avec l’objectif sincère ou feint d’y mettre un terme : la
première opération militaire de l’Union européenne (l’opération Artémis, en 2003), la plus importante,
la plus couteuse et probablement la plus longue mission de maintien de la paix
des Nations-Unies qu’il y ait jamais eu (MONUC,
devenue MONUSCO, présente au Congo
depuis 2002), des missions européennes de formation et d’assistance à l’armée
et à la police nationale congolaises (EUSEC et EUPOL), etc. La crise à l’Est de
la RDC est sans doute parmi les questions qui sont le plus revenues sur la
table du Conseil de Sécurité des Nations Unies au cours des deux dernières
décennies, donnant lieu à un nombre incroyable de résolutions et de
déclarations.
Ces conflits ont donné à la Cour pénale internationale ses
tout premiers prévenus de crimes internationaux, et en 2012, son premier
condamné en la personne de Thomas Lubanga. A ce jour, deux autres chefs de
guerre sont sous le coup de mandats d’arrêt de la Cour pénale
internationale pour des faits commis dans cette même région : le Congolais
Bosco Ntaganda du CNDP et le Rwandais
Sylvestre Mudacumura des Forces
Démocratiques pour la Libération du Rwanda.
L’Union africaine et des organisations sous-régionales se
sont également penchées à leur manière sur la question de l’instabilité de
l’Est du Congo. Sous leur égide, avec les autres membres de la
« communauté internationale », il y a eu le Dialogue inter-congolais qui a abouti à la signature en 2002 de
l’historique Accord global et inclusif qui,
à un moment, a fait miroiter une fin de la guerre, ce qui n’a même pas attendu
la fin de la transition politique de 2003 à 2006 pour se démentir – car il y a
eu en 2004 déjà les insurrections de Bukavu, suivies par la naissance d’une
nouvelle rébellion (le Congrès National
pour la Défense du Peuple, CNDP). L’adoption d’une nouvelle constitution en
2006 et la tenue presque miraculeuse des premières élections nationales et
régionales ont aussi suscité des espoirs, qui s’avéreront hélas de courte
durée. Un nombre incalculable de conférences se sont tenues dans plusieurs
pays, des déclarations et accords ont été signés, des résolutions ont été
prises, des mécanismes mis en place (Lusaka, Addis-Abeba, Kampala,
Dar-es-Salam, Nairobi, Kigali, Kinshasa, New York, etc.), toujours avec un
succès relatif, voire sans succès du tout. Presqu’à chaque fois qu’il y a eu un
pas de franchi, il y a eu aussitôt, ou quelque temps après, un nouveau
rebondissement de la situation sur terrain : mutation d’un groupe rebelle,
apparition de nouveaux acteurs avec ou sans nouvelles revendications,
déménagement du conflit, rupture de la confiance (comme entre le Rwanda et la
RD Congo actuellement), expiration des trêves explicites ou implicites, etc.
Aujourd’hui, on en est à une situation inédite où
prolifèrent dans cette seule région plus d’une centaine de groupes armés,
souvent composés de Congolais, mais parfois aussi d’étrangers. Leurs histoires,
leurs revendications et leurs méthodes ont plus de ressemblances que de
différences, comme nous essayerons de le montrer plus loin. Au Nord-Kivu, un
groupe armé substitut du CNDP de Laurent Nkunda, le M23, occupe actuellement
une importante portion de deux territoires proches de la capitale Goma. Des
affrontements, des attaques et des enlèvements se passent chaque jour dans une
partie ou une autre de la région, et l’implosion générale est encore un danger
permanent. Des initiatives telles que les pourparlers de Kampala (qui durent vainement
depuis le 9 décembre 2012) et le déploiement éventuel d’une « Force
internationale neutre » sont sujettes à caution car elles ne comportent
aucun élément qui pousserait à penser raisonnablement que la solution
définitive est désormais à portée.
La situation est un véritable calvaire pour les quelque
vingt millions d’habitants de la région, qui subissent au quotidien les affres
des guerres et des violences depuis tant d’années. Ni la présence des Casques Bleus
de la MONUSCO censés les protéger, ni l’extraordinaire présence des agences des Nations-Unies et des
organisations humanitaires (et pseudo-humanitaires) internationales et
nationales qui dépensent chaque année (pour la population ?) des sommes
faramineuses, rien n’a pu jusqu’ici mettre fin ou même soulager véritablement
ce calvaire. L’insécurité permanente, les viols, la faim, la soif, la paralysie
ou la disparition totale des services sociaux de base (déjà délétères à
l’époque du Zaïre de Mobutu), la destruction de l’environnement, de l’habitat
et des infrastructures, les injustices, les maladies, l’enrôlement forcé des
enfants et des jeunes dans les groupes armés, l’ignorance et le non-accès à
l’instruction et à l’information, le chômage, le non-accès à la terre,… sont
autant de problèmes auxquels les Congolais de l’Est (plus que les autres) sont
confrontés au quotidien. Les tensions ethniques se sont accentuées, les
suspicions et la méfiance se sont amplifiées ; les jeunes se nourrissent
de fanatisme, d’extrémisme et de xénophobie, non sans la manipulation des
politiciens véreux ; et les armes circulent, plus nombreuses – et plus
« normales », et plus banales – que les houes ou les stylos.
Cet état des choses suscite au moins trois questions
suivantes :
-
Pourquoi la crise à l’Est de la RD Congo
persiste-t-elle ?
-
Comment endiguer définitivement le cycle des
guerres et des violences à l’Est de la République Démocratique du Congo ?
-
Si des vraies solutions existent, comment
devraient-elles être appliquées, et par qui ?
C’est à ces trois questions que nous tenterons de répondre,
de manière brève mais aussi explicite que possible, à travers les lignes qui
suivent. C’est une tâche ambitieuse, étant donné le nombre d’
« experts » qui ont déjà eu à se pencher sur le sujet. Mais il ne
s’agit pas d’inventer. Il s’agit d’entreprendre une approche différente dans l’analyse,
plus rigoureuse et plus pragmatique.
Les questions sus-énoncées renvoient à quatre problématiques,
plus ou moins liées, à savoir :
-
Celle des groupes armés, locaux et
étrangers ;
-
Celle de la cohabitation pacifique des
communautés ethniques de la région ;
-
Celle des rapports entre le Congo et ses voisins
de l’est, en particulier le Rwanda ;
-
Celle enfin de la gestion politique,
administrative, militaire et économique de la région, qui appelle
inévitablement celle de la gestion (et de la gouvernance) du pays dans son
ensemble, tout simplement.
Dans un premier temps, nous tenterons de poser le diagnostic
de la crise qui secoue la région : ses caractéristiques, ses causes, et
les raisons de l’échec ou de l’insuffisance des solutions envisagées jusqu’ici
(Une crise irrésoluble ?). Ensuite, nous essayerons de proposer des
solutions alternatives plus efficaces à nos yeux, avant de tirer une conclusion
dans laquelle nous oserons une répartition des rôles entre d’une part les
Congolais (qui doivent jouer un rôle de premier plan) et la « communauté
internationale » dans son ensemble (qui a aussi ses propres
responsabilités). Mais avant cela, situons le sujet dans son contexte actuel.
I.
CONTEXTE
La guerre et les violences à l’est de la République
Démocratique sont une constante depuis plus de seize ans. Par contre, le
contexte lui évolue. Pour caractériser la crise sécuritaire à l’Est du Congo et
situer le contexte actuel, l’on peut retenir les éléments essentiels
ci-après :
a. La perte de légitimité des institutions politiques
nationales et locales :
Alors que l’adoption d’une nouvelle
constitution et la tenue des élections générales en 2006 garantissaient la
légitimité des nouvelles institutions, le simulacre d’élections de novembre
2011 ont remis cette légitimité à néant. A cela s’ajoutent le
non-renouvellement des institutions provinciales qui sont de plus en plus
contestées (en particulier au Nord-Kivu), et la non-tenue depuis 2006 des
élections locales, pourtant prévues par la constitution et la loi électorale. Ce
problème de légitimité a des répercussions aussi bien sur plan interne
(contestation légitime, méfiance, voire mépris vis-à-vis des autorités) que sur
le plan international. Il a pour conséquence, entre autres, de fragiliser
davantage l’Etat et d’offrir un motif (ou un prétexte) aux velléités de tous
ordres.
b. L’inexistence d’une arme nationale professionnelle
et républicaine :
Sans être nouveau, cet élément n’en est pas
moins pertinent. La RD Congo ne dispose pas d’une véritable armée, ni d’une
police, ni de services de renseignement professionnels. L’on peut dater la
destruction des forces de sécurité congolaises au moins à l’époque de la guerre
dite de libération contre Mobutu. La défaite des FAZ (les forces armées
zaïroises) s’est accompagnée de l’arrivée de jeunes soldats sans formation
académique et avec une formation militaire lapidaire, ainsi qu’aux premières
infiltrations d’éléments étrangers (rwandais notamment). Depuis, les rébellions
se sont succédées, et aucun effort réel n’a été fourni par les autorités
congolaises pour mettre en place des forces de sécurité dignes de ce nom et à
la hauteur des défis sécuritaires de cet immense pays qu’est le Congo. Faute de
pouvoir remporter la moindre victoire militaire, mais peut-être aussi pour des
motifs délibérés mais inavouables, le gouvernement congolais a plusieurs fois
« intégré » des miliciens, des rebelles et des chefs de guerre :
brassage, mixage, intégration,… le génie des mots des Congolais a été
particulièrement fertile dans ce domaine.
A ce jour, celles qu’on appelle les Forces armées de la République Démocratique
du Congo (FARDC) ne sont pas plus qu’un conglomérat de plus d’une centaine
de milliers d’hommes et de femmes – dont personne ne connaît le nombre exact –
issus de plusieurs factions (ex-FAZ, ex-AFDL, MLC, RCD, CNDP, différents
groupes Maï-Maï, etc.), non rémunérés (sinon insuffisamment et
irrégulièrement), sans formation militaire classique pour la plupart, sans
casernes, … Un pléthore d’officiers, dont certains ne savent ni lire ni écrire,
des fonctions distribuées au gré des affinités politiques ou de la loyauté dans
les affaires ; un contrôle de fait assuré par des politiciens, des groupes
tribaux, des groupes d’intérêt sur les militaires de leur obédience ;
l’existence de sortes d’armées privées au sein l’armée, au service de telle
autorité politique ou de tel officier
militaire ; les détournements impunis des soldes des militaires, voire des
armes et des munitions, … Voilà autant de tares qui caractérisent cette armée
(et les autres composantes des forces de sécurité), et l’énumération n’est pas
exhaustive.
c. La multiplication des groupes armés
Entre 2011 et 2012, une vingtaine de
« nouveaux » groupes armés ont vu le jour dans les provinces du Nord
et du Sud-Kivu. Pourtant, après la tenue en 2008 de la Conférence de Goma et la signature des Actes d’engagement et, une année plus tard, l’avènement de l’accord
de paix entre le gouvernement et les rebelles du CNDP, le phénomène avait
plutôt tendance à s’estomper. Les groupes armés de l’Est du Congo sont très
variés : on en trouve qui comptent plusieurs centaines, voire plusieurs
milliers d’éléments (M23, Raïa Mutomboki, Nyatura), et d’autres qui n’en
comptent que quelques unités ou quelques dizaines. On en trouve qui ont un
agenda politique plus ou moins élaboré ou justifiable (défense d’un territoire
ou d’un peuple, renversement du pouvoir, …), d’autres qui n’en ont pas du tout,
et qui s’adonnent simplement à des exactions contre les civils ou à
l’exploitation des ressources naturelles. On en trouve qui sont dans des
alliances, et d’autres qui évoluent en solo. On en trouve qui sont très
violents et offensifs, et d’autres qui sont plutôt défensifs et que la population
soutient ou tolère. Etc. Hélas, certains analystes et acteurs ont une
malheureuse tendance à les diviser trop simplement entre les
« nationaux » et les étrangers ; entre les
« pro-gouvernementaux » et les « anti-gouvernementaux », ce
qui évidemment ne permet pas de concevoir des solutions adaptées.
d. L’attitude de la « communauté
internationale » vis-à-vis du Rwanda
Alors que de manière générale, le monde a
par le passé considéré le Rwanda avec beaucoup d’empathie, lui apportant un
soutien inconditionnel et s’abstenant, parfois contre des évidences, de le
contrarier ou de le condamner, aujourd’hui certains pays puissants commencent
timidement à changer d’attitude. En témoignent les nombreuses interventions de
diplomates occidentaux critiquant (ou dénonçant) de plus en plus ouvertement le
Rwanda pour son rôle dans les conflits au Congo, ainsi que les quelques mesures
de rétorsion prises à son encontre. Cependant, ce début de changement
d’attitude à l’égard du Rwanda n’a pas jusqu’ici servi à infléchir sensiblement
sa position. Parfois même, Kigali donne l’impression de se radicaliser
davantage et de mettre en place des mécanismes pour absorber le choc des
sanctions actuelles, ou éventuelles dans le futur. L’évolution est aussi
tempérée par les progrès que ce pays continue d’enregistrer sur le plan
économique et social, et son importance accrue sur le plan politique et
militaire aux niveaux régional et international.
e. L’impatience de la population et de la
« communauté internationale »
La répétition des guerres et des violences
est entrain d’épuiser la population, qui n’en peut plus d’assister aux
tergiversations des politiciens et de la « communauté
internationale » par rapport à la résolution de la crise. De plus en plus
de Congolais, en particulier les intellectuels et les jeunes, ont le sentiment
qu’ils ne peuvent plus laisser perdurer cette situation. Cependant, la majorité
des Congolais demeurent résignés, et rêvent encore d’un messie pour les
délivrer. La « communauté internationale », pour sa part, montre des
signes de lassitude. Après avoir presque tout essayé, en vain, elle voudrait
bien trouver la « formule magique »
pour tourner définitivement la page de la crise à l’est du Congo, sinon
se désengager progressivement, sous couvert de laisser le champ à l’union
africaine et aux organisations sous-régionales. Le dilemme, c’est que le Congo
est trop important, à la fois économiquement et stratégiquement, pour être
abandonné de telle manière. Les solutions radicales offrent le compromis
nécessaire, pourvu que l’on prenne le bon extrême !
f.
Le poids
du passé récent et de ses erreurs
Si la situation créée par le M23 était
celle d’il y a dix ans, point de doute que l’on ne réfléchirait pas par deux
fois, au gouvernement et ses partenaires, avant de proposer un accord politique
expéditif et l’intégration de ses troupes au sein de l’armée. Mais l’expérience
du passé permet davantage de prudence. Et ce n’est pas forcément que cela
arrange le gouvernement congolais, mais il n’a pas beaucoup de choix. Commettre
à nouveau les erreurs du passé lui serait fatal, trêve de la légendaire
indolence des Congolais. Par ailleurs, les rebelles (le M23 en particulier et
ses sponsors) sont conscients de cet état des choses. Ils agissent donc avec
plus de prudence. Le revers de la médaille étant la radicalité des positions,
dont les conséquences sont insoupçonnables, surtout au regard du rapport des
forces militaires en présence.
On peut situer ici le problème de l’impunité
et de la gratification dont bénéficient les chefs rebelles et les miliciens. L’on
entend tous les jours que tel groupe a rejoint les FARDC ; que tel chef rebelle a été approché par les autorités
qui lui ont proposé ceci ou cela, etc. Ainsi, on trouve des miliciens qui font
la navette entre les groupes armés et l’armée nationale au gré des circonstances,
pour tel ou tel motif de mécontentement,... Ainsi, des chefs rebelles sont
devenus officiers dans l’armée, ministres et députés, hauts fonctionnaires de l’Etat.
Le cordon ombilical avec leur « base » restent intacts, et au moindre
souci (éviction, mise en garde pour un comportement incorrect, imminence de
poursuites pour corruption ou autre fait, …), ils sont prêts à reprendre le
chemin du maquis, à exercer du chantage et toutes sortes de manœuvres. Au lieu
de dissuader, on encourage de fait le phénomène insurrectionnel.
II.
UNE
CRISE IRRESOLUBLE, OU DES SOLUTIONS INADMISSIBLES ?
Il n’y a pas de crise irrésoluble, pas de guerre sans fin,
cela est évident. En l’espèce, il y a plutôt probable : a) Que le problème
soit mal interprété, mal compris, ou analysé de manière superficielle par ceux
qui sont censés le résoudre ou y contribuer. b) Que le problème soit bien connu
et compris, mais que la solution soit éludée, volontairement, par naïveté, ou
tout simplement par maladresse. Parce qu’elle est trop « amère »,
parce qu’elle n’arrange pas les uns ou les autres, ou parce qu’elle est plus
difficile à appliquer que les raccourcis et les solutions « prêt-à-porter »
habituels.
A notre sens, il y a un peu des deux explications de la
persistance de la crise dans l’est de la République Démocratique du Congo.
Commençons par analyser le problème avant d’envisager la solution conséquente.
1. LES CAUSES DE LA PERSISTANCE DE LA CRISE
SECURITAIRE A L’EST DE LA RD CONGO
Nous pouvons les classer en deux catégories : les
causes endogènes, qui tiennent des Congolais eux-mêmes (l’organisation
et le fonctionnement de l’Etat et de ses structures, les comportements, les
attitudes, les cultures et les croyances) ; les causes exogènes, qui
elles relèvent d’événements et d’acteurs étrangers à la RDC (Etats limitrophes
de la RDC, « communauté internationale, sociétés et groupes d’intérêt
internationaux, etc.). Si ces causes sont réelles et toutes déterminantes,
elles ne s’équivalent pas pour autant. Il nous est d’avis que les principales
sont les causes endogènes, car adressées, elles influeraient nécessairement sur
l’attitude des étrangers vis-à-vis du Congo.
a. Les causes endogènes
-
La déficience
de l’Etat :
L’Etat, c’est certes un territoire délimité
et une population, mais c’est surtout un pouvoir supérieur qui s’y exerce de
façon effective, qui en assure la maîtrise, fixe les règles à l’application
desquelles il veille, etc. Si au XIXième siècle, un Congo sans voies de
communications ne valait rien, que peut-il bien valoir en ce XXIième siècle,
non seulement sans infrastructures, mais sans une armée professionnelle et sans
un gouvernement effectif, alors que ses richesses sont désormais connues de
tous, et qu’il est comme un pays-lingot sans politique et sans défense au beau
milieu d’une Afrique et d’un monde infiniment plus gourmands, plus ambitieux, et
plus organisés ? Le premier problème de la RD Congo, et de loin le plus
important, c’est son existence même en tant qu’Etat réunissant possédant tous
les attributs d’un Etat réellement souverain et indépendant, et effectivement
gouverné.
-
Le déficit
de gouvernement (des pouvoirs publics, plus largement)
Sur papier, la RDC est un Etat indépendant
et souverain. Dans la pratique, cette affirmation est une belle légende. Il ne
peut y avoir d’Etat sans gouvernement effectif. Et un gouvernement effectif, ce
n’est pas un bon monsieur qu’on nomme Président de la République, des hommes et
des femmes qu’on appelle des ministres, d’autres portant pompeusement le titre
de gouverneurs, etc. Un gouvernement effectif, c’est d’abord la maîtrise de
l’intégrité et de la souveraineté de l’Etat ; c’est l’administration
effective et totale du territoire, la maîtrise de la population, des
migrations, etc. ; c’est l’existence et la mise en œuvre effective de
politiques au moins dans les domaines dits régaliens tels que la défense, la
sécurité, la diplomatie, l’économie, la santé publique et l’enseignement. Au Congo,
cela n’existe pas.
Les autres causes endogènes de l’instabilité du Congo sont
directement liées aux deux précédentes. Citons :
-
L’inexistence
forces de sécurité nationales et professionnelles :
Leur création et leur maintien sont
l’apanage des pouvoirs publics. Or, ceux-ci ne s’en préoccupent pas ou prou.
Alors, l’intégrité et la souveraineté d’un Etat soi-disant indépendant
peuvent-elles être laissées entre les mains incertaines d’une force étrangère,
onusienne serait-elle ? La paix et la sécurité du Congo doivent-elles
dépendre du bon-vouloir de ses voisins, ou des caprices des groupes armés
qui écument son territoire ? C’est pourtant le cas actuellement. D’ailleurs, le
Congo serait un Etat gouverné et défendu effectivement que les armées et les
milices (locales ou étrangères) ne s’y aventureraient pas, ou que leurs
aventures tourneraient rapidement court. Et le pseudo-gouvernement actuel ne
peut pas se dédouaner en prétextant, par exemple, que les FDLR sont venues au
Congo à une certaine époque et dans un certain contexte qui lui échappent. La
raison d’être d’un gouvernement, n’est-ce pas de résoudre les problèmes de
l’Etat et des citoyens, peu importe le moment où ils sont nés ou leur
ampleur ? La vocation d’un vrai homme ou d’une vraie femme politique,
n’est-ce pas de relever de tels défis ?
-
La mauvaise
gestion des ressources naturelles et du trésor public :
Le Congo est un pays au sol et au sous-sol
immensément riches. Mais depuis toujours, ses ressources ne profitent pas à la
très grande majorité de sa population. A une époque assez lointaine, elles
profitaient à la Colonie et à des multinationales. Aujourd’hui, la Colonie a
changé de nom et de visage. Elle est Congolaise et elle est Noire. Elle
s’appelle « président », « gouvernement », « ministres »,
« députés », « officiers », etc. Les richesses du Congo
sont exploitées par des sociétés étrangères, de la manière la plus sauvage et
la plus opaque qui soit, par le biais de contrats scandaleux ou contre des
pots-de-vin et autres pratiques immondes. Le reste est « ramassé »
par les pillards de toutes sortes (chefs rebelles, groupes armés étrangers,
militaires et politiciens véreux, …), chacun à proportion de sa force ou de sa
capacité de violence, sans plus. Le peu d’argent qui arrive dans les caisses du
Trésor, souvent par la sueur sans nom des Congolais moyens, est dilapidé par les
mêmes filous d’ « autorités ». Conséquence, ceux qui sont censés
construire les chemins de fer et les routes se paient de robustes 4x4, prennent
des avions ou circulent dans des canots et des jets privés, pour ne pas avoir à
se casser le dos sur des pistes impossibles. Les services publics sont à
l’abandon total, … Bref, quelques hommes sont très riches, mais l’Etat et sa
majorité de citoyens sont misérables. Et les armes, qui au départ sont brandies
comme un moyen de libération d’un tel système (il n’y a qu’à voir les
prétentieuses dénominations des rébellions et des groupes armés), deviennent
rapidement des instruments pour se procurer les richesses, pour obtenir le « droit
au chapitre », ou pour dominer les plus faibles que soi.
-
L’impunité
et la gratification des criminels :
Faute de vaincre les criminels et de les
éradiquer, il est devenu commode, au Congo (et à l’Est en particulier), de
promouvoir les « meilleurs » criminels et de les gratifier de postes
au gouvernement, au parlement ou dans l’administration, ou de grades et de
fonctions dans l’armée nationale. Laurent Nkunda et Bosco Ntaganda sont les
plus fameux, mais sûrement pas les seuls. Au nom d’une paix qui ne vient
pourtant jamais, on tolère, on amnistie, on ferme les yeux. Quoi de plus
étonnant que les criminels récidivent, ou que d’autres Congolais les
imitent ? Quoi de plus étonnant que certains groupes cherchent à se faire
justice, à se venger, ou à s’auto-protéger ?
-
Une histoire
et des identités mal assumées :
Il s’agit de l’histoire entière de la
République Démocratique du Congo, depuis le tracé de ses frontières au début du
siècle dernier jusqu’au génocide rwandais et à l’arrivée massive de réfugiés
Hutu, parfois armés, dans les régions de l’est. Avant 1994, des conflits
identitaires et de nationalité existaient déjà. On se souvient des événements
sanglants de Masisi dans les années 80 et 90, de la situation des Banyamulenge,
etc. La question des réfugiés rwandais n’a fait qu’exacerber une situation déjà
grave, et là encore la défaillance de l’Etat et de l’autorité est notoire,
depuis Mobutu jusqu’à Kabila junior. Entretemps, il y a eu les massacres de
réfugiés Hutu dans les camps et les forêts congolaises par l’armée rwandaise
lors de la première invasion du Congo, massacres encore impunis à ce jour,
malgré leur large documentation (cf. Rapport Mapping sorti en 2010, entre
autres).
La haine tribale est allée crescendo au fur des guerres et des
rébellions, et la situation des Congolais d’expression Kinyarwanda – en
particulier celle des Tutsi – laisse à désirer, les responsabilités étant
partagées entre les pouvoirs publics congolais, les soi-disant leaders de cette
communauté, et les immixtions alambiquées du Rwanda. D’une part, certains
Congolais considèrent que ces populations ne sont pas Congolaises ou ne le sont
pas suffisamment, d’autre part les Tutsi se comportent eux-mêmes souvent en
marge des considérations d’ordre national et, en s’accoudant trop au régime
rwandais qui les utilise à ses fins, ils finissent par conforter la position de
ceux qui voudraient les exclure.
-
Absence de
politique ou mauvaise gestion des terres et de la démographie, ignorance et
pauvreté :
Le Kivu est une région très peuplée,
comparée au reste du vaste Congo qui est quasiment inhabité (la densité de la population y
est deux fois plus élevée que la moyenne nationale). Ce n’est pas
seulement à cause de son climat et de la fertilité de son sol, c’est aussi à
cause des mutations démographiques que nous évoquions plus haut. Or, la terre a
une importance telle pour chaque communauté, chaque famille, voire chaque
individu, qu’elle est souvent la source de conflits terribles. La terre est non
seulement source de survie et de revenus pour la majeure partie de la
population (qui vit de l’agriculture et de la pêche), mais elle a aussi une
valeur symbolique et culturelle sans pareil, qui en fait un bien sacré et
inaliénable.
Les lois foncières héritées de l’époque
coloniale ont montré leur limite pour garantir une utilisation, une répartition
et une transmission adéquates de la terre. Les ajustements opérés dans les
années 80 par le pouvoir de Mobutu n’ont pas réussi à combler les lacunes du
système colonial inspiré d’un Occident aux réalités sociologiques et
culturelles totalement différentes. Le Congo conserve en effet dans ce domaine
un système hybride basé à la fois sur la tradition (avec des pouvoirs reconnus
aux autorités coutumières) et sur le droit écrit. A bien des égards, ce tandem
s’est avéré inconciliable, et en tout cas inefficace.
L’accès à la terre est donc rapidement
devenu une question de rapports de forces, où les plus forts soumettent les
plus faibles et s’octroient la part belle. Ceci est une réalité particulièrement
vivante dans les régions agropastorales comme le Masisi.
Mais ici encore, la carence d’une autorité
suprême et d’une politique adaptée de gestion de la terre est
manifeste. Le Nord-Kivu, pour ne prendre que cet exemple, dispose encore
de vastes étendues de terre et de forêt non exploitées, notamment dans le
territoire de Walikale. Mais soit ces terres là sont inaccessibles, faute de
voies de communication, soit elles sont écumées par des groupes armés qui
sèment la terreur, soit il y a combinaison des deux éléments.
-
La
pauvreté, l’ignorance et le chômage :
Ce sont d’autres facteurs non négligeables
de l’instabilité de l’est du Congo.
La jeunesse, qui constitue plus de 60% de la population, se retrouve sans
instruction ; lorsqu’elle parvient tant bien que mal à se faire instruire,
elle est sans emploi. Quoi de plus normal qu’elle devienne un champ fertile de
toutes les haines et de toutes les manipulations ! Abandonnée, ignorante
et pauvre, elle ne se voit offrit qu’une seule alternative : la violence.
Il faut et il suffit de désigner un « responsable » de ses malheurs,
et c’est presque toujours l’Autre, c’est-à-dire celui qui ne parle pas la même
langue que soi ; celui qui vient d’ailleurs, d’un autre village ;
celui qui est plus prospère, dont les enfants parviennent à étudier, etc.
b. Les causes exogènes
-
Les pays
voisins, en particulier le Rwanda :
Les événements survenus au Rwanda à
l’époque coloniale (famines, conflits interethniques) ont déjà eu des
répercussions irréversibles sur le Congo. Mais ceux survenus en 1994 (génocide,
arrivée de millions de réfugiés et changement de régime) vont affecter encore
plus significativement et plus longuement le pays. Le Congo n’a pas généré ces
événements, certes, mais le Congo a mal géré leurs conséquences dans son ressort,
et aujourd’hui encore les autorités sont à la traîne. Fréquemment, on les
entend dans des jérémiades entrain d’accuser la « communauté
internationale » (et la France) d’être à la base de la présence au Congo
des ex-FAR et Interahamwe. Elles peuvent bien avoir raison, mais il une
attitude responsable consisterait plutôt à concevoir une solution, quitte à
demander l’aide de cette « communauté internationale » pour qu’elle
contribue à son application.
Mais le rôle que joue les pays voisins du
Congo, et le Rwanda spécifiquement, n’est pas que passif, bien au contraire.
Leur participation directe dans la déstabilisation du Congo est une réalité
indéniable et répétitive. En soutenant la rébellion de Laurent-Désiré Kabila,
le Rwanda ne s’est pas contenté de soutenir la révolté contre un régime
dictatorial, ses troupes ont massacré des centaines de milliers de personnes
sur leur passage, commis des pillages, etc. Pire, le Rwanda a manifestement
développé des ambitions vis-à-vis du Congo depuis cette époque là. Déjà que son
armée ne voulait plus partir du Congo. Après avoir eu des déconvenues avec les
Banyamulenge, le Rwanda s’est tourné vers les autres Tusti congolais du Kivu
qu’il a soutenu lors des rébellions du Rassemblement
congolais pour la démocratie (1998-2003), du Congrès national pour la défense du peuple (2004 - ?), et
aujourd’hui il soutient, voire téléguide le M23.
Le Rwanda s’est impliqué dans le conflit meurtrier de l’Ituri, et selon le
Groupe d’experts des Nations Unies, il soutient encore aujourd’hui de nombreux
autres groupes armés qui commettent des atrocités dans le Nord-Kivu, le
Sud-Kivu et dans le district de l’Ituri. Par ailleurs, le Rwanda n’en fait pas
assez pour finir une fois pour toutes avec l’activisme au Congo des ex-FAR et
Interahamwe. Alors que les Nations-Unies et, dans une certaine mesure, les
autorités congolaises ont multiplié des efforts pour éradiquer les Forces démocratiques pour la Libération du
Rwanda, ce dernier garde sont espace politique hermétiquement fermé à toute
opposition et à toute voix discordante. Quasiment tous ceux qui ont eu à
s’opposer au régime dictatorial du Front patriotique rwandais se sont retrouvés
en exile, ont été exécutés, ou ont été mis sous les verrous (y compris des
personnalités rentrées volontairement d’exile). Les massacres commis par le
Front patriotique rwandais n’ont jamais été jugés, que ce soit à Arusha (par le
Tribunal pénal international pour le Rwanda), au Rwanda même ou à l’étranger.
Comment convaincre dans ces conditions les réfugiés rwandais de retourner chez
eux ? Certes il y a parmi ces réfugiés des personnes soupçonnées de crimes
contre l’humanité et de génocide, qui mériteraient d’être jugées.
Mais la plupart sont des réfugiés tout
court, qui ont fui la guerre au Rwanda, qui ont assisté impuissamment au
massacre et au rapatriement forcé des leurs, et qui ont besoin d’être rassurées
que le retour au Rwanda ne signifiera pas pour eux persécution, procès iniques,
musèlement et expropriation. Pire, le Rwanda aurait recruté d’anciens combattants
Hutu rapatriés chez eux pour les renvoyer dans des opérations militaires au
Congo. Après tout cela, on peut se demander si le Rwanda veut réellement en
finir avec la présence et l’activisme au Congo des milices composées de ses
ressortissants, ou si c’est une situation qu’il entretient à dessein en vue de
continuer à justifier sa propre politique et ses agissements vis-à-vis de la
« communauté internationale ». En clair, le Rwanda devant choisir
entre la démocratisation et la justice pour tous d’une part, et la
déstabilisation d’autre part, préfère tenir ses problèmes à l’écart, au Congo.
Mais ce n’est pas tout. Les analyses selon
lesquelles le Rwanda chercherait à assurer un contrôle politico-militaire et
économique sur l’est de la RDC ne sont pas dénuées de fondement, si l’on
regarde de près les faits (infiltrations massives de citoyens rwandais dans les
forces de sécurité congolaises, notamment). Et de toute évidence, le Rwanda
connaît des problèmes sérieux de démographie et de ressources, et le Congo, un
Etat chaotique, riche, vaste, et où vivent des populations culturellement et
historiquement proches des Rwandais, est naturellement son terrain de
prédilection.
Du côté ougandais et burundais, la
situation est différente, mais elle présente tout de même des similitudes. Les
rebelles ougandais de l’ADF/NALU font du trafic entre le Congo et l’Ouganda, et
ont d’imports réseaux d’influence au sein du gouvernement, de l’armée, des
services de sécurité ougandais. Au Burundi, c’est le cafouillage délibéré du
processus démocratique par le régime en place qui a fait resurgir les Forces nationales de Libération.
-
Les
limites et les contradictions de la « communauté internationale » :
Par « communauté internationale »
j’entends ici les organisations internationales (telles l’ONU et l’Union
européenne), les principaux bailleurs de fonds unilatéraux ou multilatéraux de
la RDC (Etats-Unis d’Amérique, Royaume-Uni, France, Belgique, Pays-Bas,
Allemagne, Canada, …), y compris la Banque mondiale et le FMI, ainsi que les
organisations non gouvernementales. Cette « communauté
internationale » fait mine de s’impliquer « résolument » dans la
résolution des problèmes de l’est du Congo depuis plus d’une décennie. Elle a
dans ce sens déployé d’importants moyens et dépensé des sommes faramineuses
d’argent dans les opérations dites de maintien de la paix, dans le
« processus de démocratisation », dans la démobilisation et le
rapatriement des groupes armés étrangers, dans des « projets de développement »,
dans la « restauration de la justice », etc. Quel est le résultat au
cours, par exemple, des dix dernières années ? La région n’a retrouvé ni
paix, ni stabilité, ni prospérité ; l’Etat est toujours aussi déficient,
si ce n’est pire ; la violence a atteint des proportions inédites ;
les infrastructures sociales et économiques sont toujours dans un état
déplorable, … Bref, pas d’amélioration, pas de progrès démocratique, pas d’Etat
de droit : rien de rien.
L’on pourrait même dire, sans exagération aucune,
qu’au lieu d’être salutaire, l’action de la « communauté
internationale » s’est souvent avérée désastreuse. Car plutôt que de
responsabiliser les Congolais, de les aider à bâtir par eux-mêmes un Etat et
une Nation, à atteindre leur résilience et leur autonomie aussi bien politique
qu’économique, l’intervention de la « communauté internationale » a
eu pour effet (et pour stratégie ?) de consolider une culture de
dépendance, de résignation, d’attente, de paresse physique et intellectuelle, voire
de sujétion. Dans le chef des gouvernants et des structures qui ne sont
institutions que de nom, mais aussi dans celui des simples citoyens, des
paysans analphabètes aux pseudo-cadres et intellectuels. Ainsi, des agences
onusiennes et des ONG se sont systématiquement réparties des tâches qui
incombent normalement à l’Etat, mais elles ne peuvent assurer ni leur
pérennité, ni leur uniformité. Des projets comme REJUSCO (Restauration de la
Justice au Congo) ont englouti des millions de dollars, avec des résultats pour
le moins ridicules sur terrain. Actuellement, le programme STAREC (Stabilisation et Reconstruction de l’Est du
Congo) se trouve sur la même
voie. La MONUSCO, avec ses dix-sept mille hommes et un budget qui atteint cette
année près d’un milliard et demi de dollars (à peu-près quatre millions de
dollars par jour) est incapable d’assurer la protection effective des civils ou
d’empêcher des viols massifs de femmes. La seule province du Nord-Kivu compte
près d’une centaine d’ONG internationale et d’agences des Nations-Unies.
Comparé au système de prédation, d’opacité et de corruption en vigueur dans le
pays, leur fonctionnement n’est pas plus exemplaire, loin s’en faut. L’immense
majorité de leur budget est dépensée en logistique et paie des personnels
souvent expatriés, parfois incompétents et ignorants tout de leur contexte de
travail.
Par ailleurs, il est souvent arrivé que les
intérêts et les calculs stratégiques de cette « communauté
internationale » soient en contradiction avec les exigences de la paix et
de la stabilité de cette région. Pour ne citer que quelques exemples, le
pétrole de la partie congolaise du Rift-Valley (lac Albert, parc des
Virunga) ; l’exploitation du coltan et d’autres métaux dans le Kivu et
l’Ituri, l’exploitation de l’or et du bois dans le nord-est du Congo, etc. En
ce qui concerne les minerais, les mesures arrêtées par le gouvernement
américain ont servi à quoi ? A paralyser la modeste économie des petits
mineurs artisanaux à qui on dit que leurs pierres ne valent plus rien, que
personne n’en veut plus, alors que des commerçants véreux continuent de les
vendre à les « blanchir » dans les pays voisins avant de les exporter
tout bonnement sur le marché international.
Il y a aussi les guerres d’influence
linguistique et politique, « propres et silencieuses » en Occident,
mais combien bruyantes et sanglantes dans cette région. Enfin, épinglons le
commerce des armes et la valeur des décisions prises par les Nations-Unies. Le
Congo ne fabrique pas la moindre kalachnikov, pas plus que ses pays limitrophes.
Pourtant des milliers d’armes et des tonnent de munitions circulent à l’est du
Congo, entre les mains de groupes armés. Sans nier la responsabilité première de
l’Etat congolais et du gouvernement (pour peu que la notion de responsabilité se
conçoive pour des institutions à peine existantes), l’on ne peut pas dire
objectivement que la « communauté internationale » soit innocente
dans cette situation. Les quelques décisions prises pour arrêter le commerce
des armes en provenance de pays étrangers vers les groupes armés actifs à l’est
du Congo n’ont jamais été suivies de véritables mesures d’application et de
sanctions. Il en est de même des actions tendant à décourager les actes de
violence contre les populations civiles et, plus généralement, la commission
des crimes. Quelques individus remis à la Cour pénale internationale, et la
justice congolaise peut s’endormir tranquillement ; des mandats d’arrêts
lancés contre des criminels notoires, mais personne n’en fait assez pour qu’ils
soient arrêtés et jugés ; et puis des gels des avoirs (des avoirs
« éventuels »), de ridicules interdictions de voyage, et c’est tout.
En définitive, l’implication de la
« communauté internationale » dans à l’Est et ailleurs au Congo n’est
ni dissuasive, ni constructive, ni même stimulante. Et pourquoi s’étonne-t-on
que la crise persiste ? Personne au sein de la « communauté
internationale » ne veut se remettre en cause. D’une part, elle donne
l’impression de s’investir dans la résolution de la crise (et les Congolais,
par naïveté ou par stupidité, ne se font pas prier pour lui délaisser leur
responsabilité), mais elle ne le fait vraiment. A la limite, elle agit très
maladroitement.
(...) La partie traitant des solutions préconisées sera mise en ligne très prochainement.