Une colonne des militaires FARDC. Photo Internet |
D’importants affrontements ont opposé toute la journée de
mercredi 15 novembre 2012, à Kibumba, près de Goma, l’armée congolaise et la
rébellion (ou mutinerie, ou insurrection, ou agression, ou tout cela à la
fois…) du M23. Les deux parties, qui observaient presque scrupuleusement une
trêve de facto depuis plus ou moins trois mois, se rejettent mutuellement
l’initiative de l’offensive.
Dans un communiqué publié sur son site Internet, le M23
affirme, par la voix de son « président » Bishop Rugenera, que les
FARDC « alliés aux Forces Démocratiques pour la Libération du Rwanda »
(les rebelles Hutu rwandais) ont attaqué leurs positions jeudi à partir de 7
heures du matin. Pour sa part, le porte-parole des FARDC a soutenu que c’est le
M23 qui est passé à l’offensive vers 8 heures, et que l’armée gouvernementale a
été obligée de se défendre.
L’habituelle (et cynique) guerre
des chiffres…
Un des dizaines de corps de militaires M23 (Rwandais?) tués. Photo Radio Kivu 1 |
Le bilan de ces affrontements, qui se sont déroulés à
seulement une trentaine de kilomètres de Goma, dans la bourgade de Kibumba, est
aussi controversé. Côté gouvernement, on parle de plus d’une centaine de tués
dans les rangs des rebelles, parmi lesquels il y aurait eu plusieurs militaires
de l’armée rwandaise, la Rwanda Defense
Force. Dans une conférence de presse tenue à Kinshasa jeudi dans la
journée, le porte-parole du gouvernement congolais, Lambert Mende, est allé
jusqu’à affirmer que les FARDC combattaient directement contre l’armée
rwandaise, et que les éléments du M23 ne sont « que des
mercenaires ». De son côté, le M23, par la bouche de son porte-parole
militaire, le Colonel Vianney Kazarama, a avancé un bilan de plusieurs tués dans
les rangs des FARDC « et de leurs alliés FDLR », sans donner de
chiffre. Mais selon plusieurs témoignages de la population et des journalistes
qui se sont rendus sur place jeudi et vendredi, les pertes auraient été très
lourdes côté M23 (ou côté rwandais, selon certains). 113, 127, aucun chiffre
précis n’est donné. Certains corps qui se trouvaient tout près de la frontière
auraient été enlevés par les rwandais, au vu de tout le monde. Informations
difficiles à vérifier !
Un autre tué. Ils seraient plusieurs dizaines... Photo Radio Kivu 1 |
Des journalistes qui se sont rendus sur place à Kibumba ce
vendredi ont rapporté des photos et des vidéos où on voit des dizaines de
cadavres gisant dans la brousse, et vêtues de la tenue militaire de l’armée
rwandaise. Difficile toutefois d’établir s’il s’agit réellement d’éléments
rwandais ou d’éléments congolais du M23.
Quoiqu’il en soit, il n’est pas anodin que des combattants
du M23 portent l’uniforme militaire de l’armée rwandaise. Il faut signaler que
le lieu où se sont déroulés les combats c’est exactement sur la frontière avec
le Rwanda, si bien que des obus seraient même tombés sur le sol rwandais et
causé des blessés, situation qui a été dénoncée par le gouvernement rwandais
dans un communiqué. Qui plus est, dans la matinée de jeudi, plusieurs habitants
de Kibumba et des villages environnants, à la frontière avec le Rwanda, ont
affirmé avoir vu plusieurs militaires rwandais passer la frontière dans la nuit
depuis quelques jours jusque dans la nuit de mercredi à jeudi. Témoignages
relayés bien sûr par l’armée congolaise, dont le porte-parole a affirmé
notamment : « compte tenu de l’endroit où se trouve le village de
Gasiza (près de Kibumba, ndlr), il est impossible que l’on attaque nos
positions sans passer par le Rwanda ».
Dans la nuit de ce jeudi, les combats se sont arrêtés, et
chaque partie a repris plus ou moins ses positions initiales. Ils auront
provoqué, en plus de la centaine de tués parmi les combattants et sans doute
d’autres morts et blessés parmi la population civile, plusieurs milliers de
nouveaux déplacés, dont plus de deux mille sont allés au Rwanda, d’autres
rejoignant le camp de Kanyaruchinya près de Goma.
Qui s’est allié à
qui ?
Si la RDC accuse le Rwanda d’avoir pris directement part à
ces combats, de son côté le M23 affirme que les FARDC étaient mélangés aux
FDLR. C’est de bonne guerre, car dans un cas comme dans l’autre, ces
accusations ne sont pas une nouveauté. Le M23 et son indéniable allié rwandais
mettent toujours le « condiment » FDLR dans leur recette
propagandiste pour embarrasser, à tort ou à raison, le gouvernement congolais.
Ce dernier, d’autre part, n’a pas eu de cesse à présenter le Rwanda comme le
véritable maître de cette guerre, bien que plusieurs fois il a prouvé à la face
des congolais et du monde que le Rwanda n’était pas tant que cela son ennemi
(suivez mon regard…).
Janvier Karairi et
son APCLS derrière l’exploit des FARDC ?
Par ailleurs, certaines indiscrétions indiquent que les
FARDC se seraient appuyés, pour mener cette offensive (ou défensive, selon le
camp), sur des éléments du groupe armé Maï-Maï dénommé APCLS (Armée des Patriotes pour un Congo Libre et Souverain), dont le leader
s’appelle Janvier Karairi. Ce seraient ses éléments, placés sous le
commandement d’un officier des FARDC, qui auraient mené la bataille de Kibumba
contre le M23. Ce groupe, établi dans le territoire de Masisi et d’obédience
Hunde (l’une des tribus de Masisi, engagée dans un conflit chronique contre les
« arrivants » Hutu et Tutsi), a récemment été approchée par le
gouvernement pour intégrer les FARDC, avec justement l’intention alléguée de
« contribuer à battre le M23 ».
Par le passé, et selon certains rapports, l’APCLS avait
travaillé de connivence avec les FADLR dans des combats contre l’armée
gouvernementale, notamment pour l’exploitation illicite de minerais. Alors, la
bataille de Kibumba constitue-t-elle un essai pour mesurer la force de frappe
de ces combattants Maï-Maï, avant un assaut ultime contre le M23 ? Si
l’implication de l’APCLS s’avérait vraie, elle renforcerait l’hypothèse d’une
offensive initiée par la partie gouvernementale.
Fin de la trêve, ou
simple « échauffement » ?
Si le bilan de la bataille de Kibumba en faveur de l’armée
congolaise se confirme, ce serait pour cette dernière un exploit inédit. Un
exploit qui serait encore plus significatif si se confirmaient les allégations
selon lesquelles la redoutable Rwanda
Defense Force est intervenue et a été défaite. Mais jusqu’où peuvent aller
les FARDC, si elles ne peuvent même pas oser revendiquer l’initiative de
l’offensive ? Peut-être est-ce pour ne pas apparaître comme la
contrevenante au soi-disant processus régional en cours, et du coup s’attirer
les foudres de ceux qui privilégient la voie diplomatique et politique !
Et si les FARDC avaient décidé de rompre la trêve, que va-t-il se passer ?
Sont-elles à mesure de mener jusqu’au bout la guerre contre le M23 (et le
Rwanda !) et de reprendre la partie occupée de Rutshuru ? Est-ce une
brève épreuve de force que les deux parties ont voulu s’offrir, après trois
mois d’oisiveté ? Est-ce enfin une tentative du M23 de bousculer le
gouvernement afin qu’il accepte de négocier « directement » avec
lui ? Certains ont vu là « un signe de désespoir » du M23, après
la fermeture il y a quelques jours, par l’Ouganda, de la frontière de Bunagana,
qui lui procurait de précieuses ressources financières. Rien n’est sûr.
Ce qui est sûr, par contre, c’est que la population du
Nord-Kivu, et en particulier celle de Rutshuru, en a assez de cette situation.
Le gouvernement parle d’une guerre qu’il ne veut ou ne peut mener. Elle en a
assez d’un gouvernement qui accuse à longueur des journées le Rwanda d’être son
agresseur, mais qui en même temps se refusent à prendre à son égard toute
mesure, même symbolique, comme la rupture des relations diplomatiques.
Finalement, la population ne connaît pas le vrai fossoyeur de sa paix et sa tranquillité,
entre son propre gouvernement, les insurgés de sa propre armée, et les pays
voisins.