Les jeunes révoltés de Goma, ceux-là du mouvement qui s'est donné pour slogan "INATOSHA !", ont encore fait mené une action. Ce jeudi 15 novembre 2012, ils sont allés déposer une lettre ouverte au bureau de l'assemblée provinciale du Nord-Kivu, à l'hôtel Fleur de Lys (un nom révélateur de l'opulence dans laquelle vivent nos "représentants" ?). Par la suite, ils sont allés trouver les députés à l'hôtel Ihusi où ils suivaient un séminaire atelier sur le "recadrage budgétaire" et, en plein déjeuner, ils ont remis à chaque député individuellement une copie de la même lettre.
Entre le bureau administratif du législatif provincial et l'hôtel Ihusi, ils ont fait une "ballade" (marche, dans leur jargon) au cours de laquelle ils ont distribué des lettres à la population et porté des messages accrochés sur leur poitrine, pour interpeller et dénoncer la situation des routes à Goma, mais aussi à Beni, Butembo, et dans toute la province du Nord-Kivu. On pouvait y lire, par exeple :
GOMA : 20 MOIS QUE NOUS VIVONS
COMME DES ANIMAUX DANS LA POUSSIÈRE, LA BOUE, LES SECOUSSES
CA SUFFIT !
LE SILENCE DE NOS DÉPUTÉS ÉQUIVAUT A
LA COMPLICITÉ…
L’ASSEMBLEE PROVINCIALE DOIT SORTIR
DE SON LAXISME.
VOUS AVEZ UNE SEMAINE POUR INTERPELLER LE GOUVERNEMENT
PROVINCIAL !
Ils donnent aux députés provinciaux une semaine pour interpeller le gouverneur ("en personne", soulignent-ils), à défaut de quoi ils vont "prendre acte de la démission de leurs députés, et mener eux-même des actions pour interpeller le gouverneur jusqu'à obtenir satisfaction".
Ci-après leur lettre ouverte, écrite en des termes clairs et forts, sans détours ni demi-mots.
Tout esprit patriote et courageux devrait leur emboîter le pas !
Lettre ouverte à Monsieur le Président de l’Assemblée
provinciale et à l’ensemble des députés provinciaux du Nord-Kivu sur l’état des
routes d’intérêt provincial et local, et celui des voiries urbaines de Goma,
Beni et Butembo
Mesdames et Messieurs les députés,
Il y a plus de cinq ans, lorsque,
à la faveur de l’avènement d’un nouvel ordre politique dans notre pays, la
population qui vous a élus a assisté à votre installation effective, immense a
été l’espoir et la confiance qu’elle a placé en votre vous. Elle s’est réjouie
d’avoir enfin des « représentants » permanents et attentifs, qui
allaient enfin porter ses problèmes et œuvrer à ce qu’il y soit trouvé des
solutions.
Vous connaissez
l’état des routes de « votre » province, sans doute : de Masisi
à Lubero ; de Goma à Beni ; de Nyiragongo à Walikale ; rien ou
presque n’a été fait depuis que vous êtes là à « représenter le
peuple » au sein de l’organe délibérant. Or, vous êtes sans ignorer
l’intérêt que représentent les infrastructures routières partout, tant pour la
facilitation des relations entre les personnes et les communautés, que pour les
échanges commerciaux, la sécurité, la préservation de l’environnement, etc.
Cela vaut plus particulièrement pour le Nord-Kivu qui est une province
agro-pastorale et touristique par excellence, mais aussi une province dont la
plupart de régions productrices sont enclavées.
Dans ce
chaos, l’état des routes de la ville de Goma est particulièrement parlant.
Début 2011, le gouverneur de province lance en grande pompe des travaux dits de
modernisation de la voirie urbaine de Goma. Ils sont censés durer douze mois,
et sont confiés à une entreprise dénommée TRAMINCO. Dans un petit laps de
temps, près de 11 kilomètres de routes – celles constituant les principales
artères de la ville – sont complètement rasés. La population jubile à l’idée
que le mince et vieillissant goudron hérité des années Mobutu va enfin céder la
place à des routes plus larges, plus solides, plus belles, avec éclairage et
canalisations d’eau des pluies, … Mais les mois passent, et l’euphorie de la
population se noie peu à peu dans la poussière et la boue qui deviennent son
lot quotidien. A la date prévue pour l’inauguration de la première étape des
travaux (10,5km), au mois de février 2012, à peine 1 kilomètre a été asphalté,
abstraction faite de sa qualité et de ses accessoires. La campagne électorale
était passée par là…
La situation
des routes de Beni et de Butembo est quasiment similaire. Ne parlons même pas des
cités, des villages, des routes de desserte agricole dans le Masisi, le Lubero,
le Rutshuru ; toutes ces routes d’intérêt provincial et local dont la
construction, la réhabilitation et l’entretien sont pourtant de l’attribution
exclusive du pouvoir provincial, aux termes de l’article 204 de la constitution
de la République. Les routes nationales qui passent par le Nord-Kivu ne sont
guère mieux servies. De dégradation en dégradation, certaines sont devenues
méconnaissables, et constituent un véritable goulot d’étranglement de
l’économie de la province, dont les conséquences atteignent aussi bien les
producteurs agricoles, les commerçants, les transporteurs, que les voyageurs
ordinaires. Il est aujourd’hui impossible ou extrêmement rude d’atteindre
certains coins de la province sans prendre l’avion, mais à quel coût, à quels
risques !
Pour ce qui
concerne la voirie de Goma, le gouverneur de province est intervenu il y a
quelques jours, sur la pression des opérateurs du secteur pétrolier, pour
annoncer un certain nombre de « mesures » qu’il aurait prises pour
poursuivre les travaux. Nous vous disons tout de suite que nous n’accordons
aucun crédit à ces « mesures », pour les raisons essentielles
ci-après résumées :
-
Des mesures
illégales : « Le financement des opérations de construction et de
réhabilitation des routes est exclu du champ d’intervention du FONER »
(confer article 4 du Décret n°08.27 de décembre 2008 portant création et
statuts d’un établissement public dénommé Fonds National d’Entretien Routier).
Il est vrai qu’au Nord-Kivu, le FONER, depuis sa création, perçoit beaucoup de
fonds mais ne s’acquitte pas comme il le faut de sa mission d’entretien des
routes. Mais doit-on pour autant détourner sa mission légale et s’en
vanter ? N’est-ce pas vouloir se dédouaner de ses responsabilités en
trouvant un coupable trop facile ?
-
Des mesures
floues : Le gouverneur a annoncé qu’il s’était fait remettre une certaine
somme par les responsables du Fonds d’Entretien Routier (FONER en sigle), et
qu’il allait désormais « retenir 40% des recettes du FONER » pour
financer la réhabilitation des routes. Au nom de quelle loi, de quels
pouvoirs ? Que va devenir l’entretien des routes de desserte
agricole qui est tant bien que mal financé par le FONER ? Comment cet
argent est-il utilisé par la province ? Comment la province va-t-elle
donner des fonds à une entreprise (la TRAMINCO) dont elle dit ne pas maîtriser
le contrat la liant au gouvernement central ? Etc. ;
-
Des mesures
d’auto-disculpation : la voirie urbaine et les routes d’intérêt provincial
et local sont de la compétence exclusive de la province (cf. art. 204 literas
11 et 24 de la constitution). Le gouverneur ne tente-t-il pas de cacher la
responsabilité de son propre gouvernement en essayant de mettre l’échec du
projet de réhabilitation de la voirie de Goma sur le dos du FONER ?
-
Des mesures
imprécises : A quand des routes viables dans la ville de Goma ?
Quelle est la quantité et la qualité de la route qu’on construit ? Quel est
le coût total, pour combien de kilomètres en tout ? De quelle expertise et
quelles capacités matérielles et financières dispose la TRAMINCO ?
Mesdames et Messieurs
les députés,
Qu’avez-vous
fait depuis cinq ans ? Vous êtes devant vos responsabilités, et la
population que nous sommes voit tout, compte tout. Votre silence est sans plus
ni moins un signe de complicité ou, pire, d’insouciance, donc de trahison de
ces milliers de vos compatriotes qui ont placé en vous leur confiance.
Mais
puisqu’il vaut mieux tard que jamais ; puisque le peuple est patient et
sait pardonner (sinon vous ne seriez plus là !), vous pouvez vous
racheter… Mais l’occasion est unique : c’est celle-ci.
Nous vous
demandons, toutes affaires cessantes, d’adresser ce problème afin que nous
soyons édifiés. Les discours, c’est trop facile, et Dieu sait que vous êtes,
comme d’autres politiciens, surdoués en la matière. Nous voulons des actes, des
chiffres, des dates, et, le plus rapidement possible, des réalisations
matérielles concrètes. Nous n’attendons pas de vous que vous vous substituiez à
l’Exécutif provincial ou national, mais que vous soyez exigeants, impitoyables,
et que vous alliez jusqu’au bout de vos actions, en usant sans ménagement de
tous les moyens d’action que vous reconnaissent la constitution et les lois de
la République.
Si vous
aimez ce pays comme vous le prétendez ; si la population qui vous adresse
cette lettre vaut quelque chose pour vous ; si enfin de compte vous êtes
les « représentants » du peuple que nous sommes, vous allez faire ce
que nous vous demandons. Vous allez mettre de côté vos petits intérêts égoïstes
ou partisans, oublier un temps vos amitiés avec les fossoyeurs du peuple, et
agir énergiquement, sans complaisance.
Mesdames et Messieurs
les députés,
Nous qui
vous adressons la présente, sommes des jeunes congolais sans couleur ni
obédience politique aucune. Nous n’avons en commun que notre passion pour la
RDC, notre chère patrie, notre révolte vis-à-vis des conditions dans lesquelles
nous vivons malgré nous, notre conviction qu’il n’y a pas de fatalité en cela,
et notre détermination à lutter de manière citoyenne, dans la non-violence,
pour que les choses changent. Nos actions ne visent pas des personnes, mais des
actes, des attitudes, des comportements, comme ceux qui causent les guerres et
les conflits dont nous sommes directement ou indirectement victimes, la
corruption, la mauvaise gouvernance, l’injustice sous toutes ses formes, le
chômage, … Bref, l’irresponsabilité des uns, l’inaction ou l’insouciance des
autres. La constitution nous reconnaît ce droit. Nous n’avons pas à être une
association formelle pour exercer le droit de vous interpeller, de faire une
pétition, ou de manifester notre révolte.
A ce titre, et
concernant l’état des routes dans notre province et des voiries des villes de
Goma, Beni et Butembo, nous nous adressons à vous, en votre qualité de
« représentants du peuple », pour que vous usiez de vos prérogatives
pour soulager notre indescriptible souffrance qui est aussi celle de millions
de Nord-Kivutiens silencieux ou résignés.
Nous vous
demandons donc instamment de prendre vos responsabilités et d’inviter le gouverneur de province en personne pour qu’il vienne
répondre à nos préoccupations ci-après résumées. Le gouverneur de province
doit :
1.
JUSTIFIER :
-
L’utilisation, entre 2009 et 2010, des fonds
de la province pour la construction fantaisiste du tronçon de la voirie de Goma
allant du rond-point Signers à la place dite Tora, marché de
Virunga-Signers-place dite Mvano. Ici, il
doit notamment dire combien d’argent a été dépensé dans ce projet, la procédure
d’attribution de marché qui avait été suivie, la quantité et la qualité des
travaux qui étaient prévus. Il doit situer les responsabilités, dire qui a été
sanctionné et comment ;
2.
EXPLIQUER :
-
Comment la voirie de Goma qui a été détruite
à son instigation et les travaux qui ont été commencés début 2011 ne sont pas
encore achevés jusqu’à ce jour, dix mois
après la date indiquée sur les panneaux pour leur achèvement ;
-
La procédure qui a été suivie pour
l’attribution du marché à la TRAMINCO, pièces à
l’appui, le montant de son contrat, la longueur et la qualité des travaux
prévus, leur durée d’exécution, ainsi que les critères qu’il remplissait à cet
effet. Il faut rappeler ici que le gouverneur ne peut en aucun se dérober de sa
responsabilité en prétextant l’intervention du gouvernement central, car, comme
nous l’avons souligné, la voirie urbaine rentre dans les attributions
exclusives de la province (article 204, literas 11 et 24) ;
-
L’opération qu’il a récemment annoncée sur
les médias, consistant à récupérer des fonds du FONER pour les destiner à la réhabilitation de la
voirie de Goma, alors qu’il sait pertinemment bien que cela est une violation de
la loi ; que le FONER n’a pour mission que d’entretenir les routes (cf.
article 4 du Décret de 2008 précité). Si le FONER se charge de construire ou
réhabiliter les routes d’une seule ville (Goma, en l’occurrence) avec l’argent
destiné à l’entretien des routes de la province, que vont-elles devenir ? Encore
que le montant annoncé peut à peine financer la réhabilitation de 4km de
routes. A quoi servent la constitution et les lois si les autorités comme lui
agissent sans s’y référer, et les violent constamment, sans remords et sans que
n’intervienne l’autorité de contrôle que vous êtes ?
-
Comment peut-on construire 4km de routes en
« trois ou quatre mois » ? Comment
une entreprise sérieuse peut-elle entreprendre de réhabiliter des routes en
pleine ville avec à peine trois machines, trois camions, et une dizaine
d’ouvriers travaillant avec leurs mains nues ?
-
Pourquoi ce sont des entreprises privées, et
souvent étrangères, à qui la province doit toujours recourir pour effectuer des travaux de construction
ou de réhabilitation des routes, alors que l’Office des routes et l’Office de
Voirie et drainage existent et ont reçu par la loi cette mission.
3.
FOURNIR :
-
Un plan provincial complet et détaillé de
réalisation de travaux d’infrastructures routières, établi sur un moyen terme, avec indication
de tronçons concernés, des travaux à exécuter, un calendrier d’exécution, la
provenance des ressources, etc. Ce plan devrait accorder une attention
particulière aux villes de Goma, Butembo et Beni (voir article 204 literas 11,
24 et 29 de la constitution) ;
-
Des gages sur la manière dont les routes de
la province vont continuer à être entretenues ;
-
Des gages suffisants sur le respect strict de
la loi et des procédures en matière de travaux publics de
construction/réhabilitation des routes, à la
transparence dans la gestion des fonds, à la responsabilité des entrepreneurs,
et à la punition des auteurs de détournements et de corruption.
Mesdames et Messieurs les députés,
Au terme des explications du gouverneur
devant votre assemblée, et des débats qui en découleront, nous voulons que vous
preniez les mesures les plus énergiques et adaptées à la situation. Nous
suggérons que vous procédiez par des moyens efficaces tels que l’interpellation
ou la motion, conformément à la constitution et à votre Règlement d’ordre
intérieur. S’il faut sanctionner tel ou tel autre membre du gouvernement
provincial, faites-le sans complaisance. Surtout, nous ne voulons pas de
discours vains, de promesses en l’air. Nous suivrons tout à la loupe et
forgerons notre juste jugement.
Si dans une
semaine (c’est-à-dire le 22 novembre 2012), vous n’avez rien entrepris de
sérieux et de crédible dans le sens d’adresser nos préoccupations ici exprimées,
nous en déduirons votre démission de fait, et considérerons que nous n’avons
pas de représentants valables, sensibles aux problèmes de la population, et
soucieux d’y trouver des solutions. Nous avons assez attendu, nous n’avons plus
le temps d’attendre pendant que la poussière, la boue et les secousses nous
tuent à petit feu, et que nous sommes gérés comme des animaux sans conscience
ni honneur. Vous avez donc le choix, entre démissionner de vos responsabilités
en sacrifiant le peuple que vous êtes censés représenter, et agir pour une fois
dans l’intérêt de ce dernier, avec rapidité et rigueur. Dans le premier cas, le
peuple devra se passer de vous et s’adresser directement à qui de droit ;
dans le second, il se retrouvera en vous et soutiendra vos initiatives et vos
actions.
En espérant
que vous serez sensibles à nos préoccupations légitimes, et que vous y ferez ce
que nous vous demandons, nous vous prions de croire, Mesdames et Messieurs les
députés, en notre esprit patriotique.
Fait à Goma, le 14 novembre 2012
Les Soussignés (liste en annexe)