Ce soir, en lisant une interview du représentant du M23 en Europe publiée par le journal Africarabia qu’un ami de Kinshasa a eu l’amabilité de m’envoyer, il m’est subitement venu à l’esprit cette idée que de nombreux congolais trouveront sans doute saugrenue : et si le M23 avait raison de hausser le ton vis-à-vis du Président Kabila et de son régime ? Et si la haine (avouable ou non) que certains ont contre les meneurs de ce mouvement les empêchait carrément de juger de façon objective la situation, ou à tout le moins, de se dire que les revendications qu’ils portent ne sont pas (toutes) forcément incongrues ?
Dans cette interview, le nommé Jean-Paul Epenge égraine les « raisons » qui justifient la naissance du M23, et partant, les objectifs que ce mouvement poursuit. En résumé, il explique que leur but n’est pas de chasser Kabila du pouvoir, ni d’occuper tout ou partie du territoire de la RDC, mais simplement d’amener le gouvernement Congolais à honorer ses engagements contenus dans l’accord passé entre lui et le CNDP le 23 mars 2009. Selon lui, ils voudraient que le gouvernement s’engage résolument à :
- Mettre fin au phénomène FDLR (forces démocratiques pour la libération du Rwanda) et autres « forces négatives » qui insécurisent l’Est de la RDC ;
- Assurer le retour des réfugiés congolais établis dans les pays voisins, en assurant un climat favorable à ce retour (il parle ici d’instaurer la « bonne gouvernance » ;
- Garantir le respect de la constitution, en particulier en qui concerne l’autonomie des provinces ;
- Reconnaître les grades des militaires issus du CNDP et assurer le paiement régulier des soldes de tous les militaires ;
Je ne suis pas sûr que ces revendications se trouvent comme tels dans les accords évoqués, et je n’ai jamais été le partisan de l’arrangement qui a consisté à « mixer » ou « brasser » de manière brute les troupes issues de différentes rébellions, encore moins de la distribution absurde de grades à des gens sans aucune formation ni éducation conséquente. Mais hormis cela, je pense que les revendications ayant trait à la sécurisation de l’Est de la RDC, au retour des réfugiés et des déplacés (pas seulement ceux se trouvant au Rwanda, mais tous les réfugiés congolais), ainsi que les exigences de démocratie, d’application de la constitution et de la bonne gouvernance, sont une chose tout à fait légitime.
Je ne suis pas non plus convaincu que ceci soit le vrai ou l’unique agenda du M23, pas plus que je n’adhère guère à ses méthodes, mais je suis persuadé qu’il y a des millions de congolais qui sauteraient volontiers sur la première occasion pour faire entendre raison au Président Kabila, tant son bilan des cinq dernières années – pour ne compter que celles-là – est plus que décevant à bien des égards.
La propagande et les rumeurs vont bon train sur les vraies raisons d’exister de cette rébellion : mise en œuvre du complot international de balkaniser la RDC ; guerre du Rwanda pour annexer le Nord-Kivu ou en vue de garder la main mise sur les ressources du Congo ; distraction orchestrée par Kabila lui-même pour justifier son incapacité à répondre aux attentes des congolais ou s’attirer leur sympathie après une réélection controversée ; … Il y en a de tous les goûts.
Mercredi dernier, à l’appel de la société civile, toutes les villes de l’Est de la RDC ont été paralysées par des marches et des « journées ville morte » pour « protester contre cette nouvelle guerre » et soutenir les efforts qui sont menés en vue d’y mettre fin. Ce qui est bien bon. Cet élan national, cette solidarité du peuple autour d’une question aussi importante que la souveraineté et la sécurité nationales.
Ma satisfaction serait pourtant plus complète si l’on pouvait observer la même dynamique et la même solidarité lorsqu’il s’agit d’autres questions d’une importance similaire (ou presque) comme par exemple :
- S’opposer à la modification intempestive de la constitution (comme celle de janvier 2011 qui a réduit le scrutin présidentiel à un seul tour au lieu de deux) :
- Réclamer l’application de la constitution en ce qui concerne la retenue à la source de 40% des recettes des provinces, ou la mise en place du Conseil constitutionnel et de la Cour des comptes, ou encore la tenue des élections locales ;
- Dénoncer la corruption et exiger la fin de l’impunité et d’autres antivaleurs, …
Balkaniser la RDC : quoi de neuf ?
Brandir l’idée que le M23 procède d’un « complot international » visant à la balkaniser la RDC, c’est tout simplement une idée ridicule à mes yeux. D’abord parce que les autorités de Kinshasa ne font absolument rien pour mettre le peuple dans les conditions minimales qui lui permettent d’apprécier le bien fondée de l’unité tant vantée : l’insécurité est permanente, la pauvreté, l’oppression parfois de la part de ceux qui sont sensés assurer la protection, exclusions, stigmatisation, … Ensuite parce que la sécession du Congo n’est pas une idée que des étrangers : il y a de nombreux peuples (au nord, au sud, à l’est, au centre) qui préféreraient être autonomes, espérant ainsi pouvoir enfin se développer, et l’idée séduit de plus en plus les gens, surtout la jeunesse. Je ne sais pas si c’est aussi le cas des Tutsi, ou plus généralement des populations de langue kinyarwanda. Ce qui est sûr c’est que si c’était le cas, ils ne seraient ni les premiers, ni les seuls à y croire.
Exploiter les ressources naturelles ?
Quant à dire que cette guerre serait justifiée par le souci pour le Rwanda ou des pays tiers de continuer à exploiter les ressources de la RDC, je pense que cela n’a non plus rien de vraiment convainquant. En effet, les richesses de la RDC sont partout exploitées, que ce soit par les congolais ou les étrangers, sans que cette exploitation ne profite à la majorité d’entre nous. Et cela se fait de Moanda à Aru, de Gbadolité à Kolwezi, de Tshikapa à Bukavu… et les prédateurs n’ont nullement besoin de faire la guerre pour exploiter ce dont ils ont besoin. Déjà que personne n’a la capacité de les en empêcher. Ni l’armée ou la police, qui au contraire les convoient ou les alimentent bien souvent ; ni le gouvernement ou le parlement dont les membres s’en partagent les parts ou les miettes à cœur joie ; moins encore la population qui est dupe, ou résignée, ou amorphe, lorsqu’elle n’est pas elle-même exploitée de façon vulgaire.
En conclusion
Certes cette énième guerre que mène le M23 est de trop : elle rajoute à l’insécurité qui en fait n’a jamais cessé au Nord-Kivu depuis plusieurs décennies ; elle aggrave une situation humanitaire déjà précaire et oblige des centaines de milliers de gens à fuir leurs maisons, leurs champs, sans compter ceux à qui elle prend la vie ; elle ranime des tensions communautaires qui étaient peut-être en passe de s’apaiser ; elle ravive la méfiance, voire la haine à l’égard du Rwanda et des Rwandais ; elle donne de nouveaux prétextes à un pouvoir qui a déjà montré ses limites à répondre aux attentes de la population ;…
Mais peut-être les gens ne voient-ils les choses que d’un côté : celui où le politique ou leurs préjugés les oriente. Il est possible que les revendications officielles de ces hommes – aussi détestables, aussi peu dignes de confiance soient-ils – aient quelque chose de vrai, quelque chose que chaque congolais porte silencieusement en lui.
Si l’on peut souhaiter que cette nouvelle tragédie prenne rapidement fin, je propose que l’on souhaite aussi que le Président Kabila et son gouvernement trouvent dans cette situation une belle occasion de se remettre en cause et de se demander s’ils n’ont pas des choses à améliorer dans leur camp. A commencer par la création d’une vraie armée républicaine, mais aussi au niveau des standards de la démocratie, de la bonne gouvernance et du développement du pays dont ils ont dûment ou indûment la charge. Dans le cas contraire, je suis certain que Makenga ne sera pas le dernier à agiter les armes. Quel reproche fera-t-on au prochain s’il se trouve qu’il n’est pas Tutsi, et s’appelle tout simplement LE PEUPLE ?
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