Les élections présidentielle et législative du 28 novembre dernier en République Démocratique du Congo ont été marquées par de très graves irrégularités dues à une organisation catastrophique de la CENI – la Commission électorale nationale « indépendante » –, mais surtout à la volonté manifeste, pour le Président Kabila et son camp, de se maintenir au pouvoir, quels que soient les moyens nécessaires à cette fin.
L es observateurs électoraux nationaux et étrangers sont unanimes quant à ce, même si ils n’ont pas eu tous le courage de tirer les conclusions qui se dégagent logiquement de leurs constats : que ces élections auraient dû été reprises. Le dernier rapport en date est celui de la Mission d’observation électorale de l’Union européenne rendu public à Kinshasa la semaine dernière.
Ceux qui comptaient sur le peuple Congolais pour le voir se lever et réclamer que les élections soient réorganisées ou, à tout le moins, les votes recomptés, ont dû déchanter. (Je blâmais tout à l’heure les observateurs de ne pas avoir tiré la conclusion la plus logique de leur constat, mais j’avoue que les Congolais sont les premiers à blâmer pour leur lâcheté, leur attentisme ou leur fatalisme). Aujourd’hui le fait est que Kabila a le pouvoir, et qu’il a une majorité confortable à l’Assemblée nationale – épargnez-lui des scrupules, il n’en a que faire.
Cependant, il sait pertinemment bien qu’il n’a pas la même légitimité que celle qu’il avait au cours de son premier mandat. D’une manière ou d’une autre, il est donc on ne peut plus vulnérable aux pressions tant intérieures qu’extérieures. S’il se trouve que ce que j’appelle de la résignation de la part du peuple ne soit qu’un simple manque de rigueur, il n’est pas impossible que demain, la moindre erreur de la part du Président ou de son gouvernement suffise à déclencher la bombe révolutionnaire.
Car en effet, le peuple a trop toléré : d’abord la révision constitutionnelle de janvier 2011 ; ensuite les dérapages dans la révision du fichier électoral ; enfin l’inévitable : des élections chaotiques et leurs aberrants résultats. Sera-t-il capable de supporter une gestion calamiteuse de l’Etat comme celle ayant caractérisé la première le premier mandat de Kabila ? Les députés nationaux, quoique mal élus pour la plupart, commettront-ils les mêmes erreurs que leurs prédécesseurs, en se compromettant et en se montrant complaisants vis-à-vis du gouvernement ? Rien n’est moins sûr. Non seulement la conscience politique s’éveille petit à petit, mais aussi Kabila en est – sur le papier – à son dernier mandat. Même les plus premiers des opportunistes pourraient rompre avec lui sans craindre pour leur avenir, parce qu’il en a pas, ou parce qu’il en a moins.
Monsieur le Président, ressaisis-toi tant qu’il est encore temps !
Le Président Kabila a deux possibilités : soit continuer de considérer les Congolais comme des idiots, qui ne sont conscients de rien, n’exigent rien, sont amorphes ; soit alors tirer parti de leur clémence et user de son nouveau mandat, même mal acquis, pour redorer son nom devant l’histoire. Les Congolais ont ceci de vertueux qu’ils ne sont pas rancuniers. Ils feraient vite de lui pardonner et se mettraient derrière lui pour tenter de rattraper le temps perdu, ne serait-ce que le temps d’un quinquennat.
Vous vous demandez comment ? Lentement, j’y arrive… Kabila a fait le tour de la RDC. S’il a la mémoire d’un homme moyen, il se rappelle sans doute les cris de la population à Goma, Kindu, Mbandaka, Walikale ou Kinshasa. Il doit songer à apaiser les mécontentements, à répondre aux attentes de la population congolaise et non à celles de ses flatteurs de conseillers, ses propres désirs ou ceux des ses parrains d’ici et d’ailleurs (depuis 2001, il me semble qu’il n’a fait que ça). Pour cela, je lui suggérerais de :
1. Commencer par faire un choix judicieux de son gouvernement et de ses collaborateurs
Par choix judicieux j’entends un choix qui tient compte, non pas seulement des considérations d’ordre politique (alliances, népotisme, amitiés, recommandations, récompenses, …), mais de :
- La compétence : des personnes aptes à remplir le plus efficacement possible et en peu de temps les fonctions qui leur seront confiées ;
- La parité : faire recours aux compétences des femmes (Dieu sait qu’il y en a), en leur octroyant, au sein du gouvernement, au moins 30% des postes tel que la constitution le prévoit ;
- L’intégrité : travailler avec des hommes et des femmes à la moralité irréprochable, et non pas les cupides, les voleurs et les flatteurs d’hier ;
2. Ensuite assurer une gestion orthodoxe et transparente de l’Etat
Kabila devrait, s’il est malin, se doter d’un gouvernement très réduit, mais fait de personnes compétentes, loyales et assidues (la qualité plutôt que la quantité). Je verrais bien un gouvernement composé en tout et pour tout de 35 ministres, vice-ministres et secrétaires d’Etat ! Eh oui, parce que la décentralisation devrait tout simplifier, avec des exécutifs provinciaux qui ont des attributions réelles. Il y a eu par le passé des ministères inutiles juste pour « contenter, donner du gâteau à tout le monde ».
Il devrait en faire autant pour son cabinet (qui était plein de conseillers aussi voraces qu’encombrants), celui du Premier ministre et ceux des ministres. Puis réduire son propre salaire et celui de tout le gouvernement. Il devrait aussi réduire les dépenses de fonctionnement du gouvernement et des autres institutions publiques (nombre des déplacements à l’étranger, voyages en classe d’affaire, voitures de luxe, réceptions somptueuses, cadeaux faits aux hôtes étrangers, …). Enfin, il devrait faire la déclaration de son patrimoine familial (j’entends le faire connaître au public) et demander aux membres du gouvernement d’en faire autant. Et, plus généralement, mettre de la transparence dans la manière dont la chose publique est gérée (concessions minières, pétrolières, forestières ; recettes des régies financières, adoption et exécution du budget, aide étrangère, …).
3. Enfin, naturellement, se mettre sérieusement au travail
Sans ces bases je ne vois pas comment Monsieur Kabila pourrait prétendre mieux gouverner et servir l’intérêt de la nation. Par contre, si cela est fait, il peut espérer regagner la confiance du peuple et l’amener à collaborer à son œuvre. Mais dans la manière de travailler, il y a également lieu de revoir les priorités et de définir les meilleures stratégies, parce que les cinq dernières années on a eu l’impression que l’Etat fonctionnait sans véritable planification, sans objectifs prédéfinis, dans l’anarchie. Un ministre se réveille un matin et décide d’acheter des tracteurs et de les distribuer. A qui ? Pour quelle fin ? Est-ce utile ou nécessaire ou prioritaire ? Non, il ne se pose pas de question et gère les problèmes coup après coup.
Ainsi donc, je pense que Monsieur Kabila devrait prioritairement trouver le moyen de doter le pays d’un programme national de développement à moyen ou à long terme, avec des objectifs concrets et chiffrés et un timing clair. Son histoire de « révolution de la modernité » est aussi indigeste– en termes de sémantique – que creux à mon goût (et je ne connais personne qui comprenne ce que ce charabia voudrait dire). Je crois qu’il valait mieux encore les « Cinq chantiers », bien qu’ils n’ont pas non plus convaincu grand monde, une fois encore à cause du manque de planification et de définition préalable des objectifs.
Je ne crois pas qu’il s’imagine qu’après lui la RDC va cesser d’exister, et que du coup il serait inutile de faire une planification sur une période 15, 20 ou 30 années ! Un tel plan, s’il était bien conçu, motiverait pourtant la nation entière et ferait rêver – oui, j’ai bien dit rêver – d’un avenir meilleur, unissant les Congolais autour d’une sorte d’idéal commun.
Le discours inaugural du Président Kabila en 2006 en avait inspiré plus d’un congolais : tolérance « zéro » contre la corruption et l’impunité, gestion parcimonieuse de la chose publique, bonne gouvernance, … Nous avons été déçus, parce que rien de concret – ou presque – n’a suivi. S’il peut ENFIN réaliser ces vœux, ce serait un excellent rattrapage.
Bref, si Kabila peut mettre à profit ce quinquennat pour résoudre – ou tout moins amorcer la résolution – des questions ci-après, il pourrait trouver rémission dans le cœur des Congolais, et entrer dans l’histoire :
a) Créer une nouvelle armée, une nouvelle police et de nouveaux services de renseignement (pas réformer, mixer ou je ne sais quelle autre foutaise) républicains, susceptibles de veiller à l’intégrité nationale et à la sûreté des personnes et de leurs biens ;
b) Renouveler l’administration publique, la rendre effective sur l’ensemble du territoire national et efficiente en termes de moyens humains, matériels et techniques ;
c) Combattre énergiquement et sans complaisance la corruption, les fraudes, les détournements, la concussion et autres pratiques similaires, en sanctionnant sévèrement leurs auteurs et leurs complices, quel que soit leur rang, et en mettant les fonctionnaires dans des conditions acceptables ;
d) Encourager la décentralisation, telle que prévue par la constitution, au lieu d’y faire des obstacles. En particulier, laisser les provinces retenir à la source 40% de leurs recettes, et rendre rapidement effective la Caisse nationale de péréquation ;
e) Prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer une gestion rationnelle et avantageuse au pays de toutes les ressources naturelles et pour permettre la répartition équitable de leurs revenus ;
f) Poser les bases d’une économie solide et durable, en mettant notamment l’accent sur l’agriculture, le tourisme, l’industrie nationale de transformation et les infrastructures (chemins de fer, routes, ports, aéroports, télécommunications, bâtiments administratifs, eau et électricité, …) ;
g) Marquer de réels progrès, sur l’ensemble du pays, dans le domaine social, avec une attention particulière sur l’éducation, la santé et l’emploi.
C’est, me direz-vous, beaucoup trop de choses pour cinq ans. Il s’agit de poser des bases. Pour certaines choses, il suffit de les vouloir. Je crois donc que ceci est possible, si l’on a de l’ambition et la volonté. Le Congo a tous les atouts nécessaires, et on connaît des pays qui ont su opérer de véritables « miracles économiques» en très peu de temps. Pourquoi pas la RDC ? Vous convenez avec moi que les cinq dernières années n’ont été que gâchis et perte de temps. Kabila nous a fait perdre notre temps, il nous doit de le rattraper, et vite, sous peine de… eh bien sous peine de dégager à tout jamais de notre vue et de notre mémoire!
Note : Dans les tout prochains jours, je vais adresser, au nom de CIVIS CONGO asbl, l’association dont je suis le Coordonnateur, une lettre ouverte au Président Kabila, dans le sens de ce qui est développé dans cet article. Si vous souhaitez y apporter quelque contribution, merci de m’écrire.
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