Depuis le 15 août de l'année dernière, ces jeunes de Goma, au Nord-Kivu, la province la plus meurtrie par les guerres et les violences, avaient écrit et manifesté pour demander le renforcement du mandat de la MONUSCO. Le 11 septembre, devant le Secrétaire-adjoint de l'ONU Hervé Ladsous, de passage à Goma, ils avaient écrit sur leur calicot : "la meilleure manière de nous protéger, nous civils congolais, c'est de nous protéger. La MONUSCO doit y oeuvrer ou s'en aller".
Le Conseil de sécurité leur a finalement donné raison en votant, jeudi le 28 mars dernier, la résolution 2098 (2013) qui crée une Brigade d'intervention doté du mandat de "neutraliser les groupes armés" dans l'Est de la RDC, et proroge le mandat de la MONUSCO jusqu'au 31 mars 2014.
Pourtant ils demeurent préoccupés. D'où cette lettre ouverte et leur manifestation devant le Quartier Général de la MONUSCO, ce mercredi 3 avril 2013.
POUR QUE LA BRIGADE
D’INTERVENTION NE SOIT PAS UNE AUTRE INITIATIVE VAINE,
OU LA PAIX UNE
CONQUETE EPHEMERE
Lettre ouverte à Monsieur Ban Ki
Moon, Secrétaire Général de
l’Organisation des Nations-Unies
New-York, Etats-Unis d’Amérique.
Monsieur le
Secrétaire Général,
C’est
avec un grand soulagement que nous avons accueilli la nouvelle de la création,
par la résolution 2098 du Conseil de sécurité de l’ONU, sur votre recommandation,
d’une Brigade d’intervention au sein de la MONUSCO, avec un mandat explicite de
« neutraliser tous les groupes armés » actifs dans l’Est de notre
pays. C’est depuis le début de l’année dernière, et l’apparition du sinistre
M23 que nous avions écrit et manifesté pour demander la transformation du
mandat de la MONUSCO afin qu’elle devienne véritablement une force d’imposition
de la paix, au lieu de prétendre « maintenir » une paix inexistante.
La
création de la Brigade d’intervention nous redonne espoir en l’avènement de la
paix dans notre pays et spécialement dans la province du Nord-Kivu, après deux
décennies de guerres cycliques et de violences inouïes. Nous nous réjouissons
aussi de ce que le Conseil de sécurité ait tenu à rappeler la responsabilité
première du gouvernement congolais à assurer la paix et la sécurité du pays, et
à défendre son indépendance et sa souveraineté.
Monsieur
le Secrétaire Général,
Notre
réjouissance est malgré tout emprunte de prudence et d’inquiétude, au regard de
certains éléments qui risquent de compromettre, soit la réalisation effective
et rapide de la mission d’imposition de la paix assignée à la Brigade
d’intervention, soit la pérennité de la paix qu’elle aura pu imposer.
C’est
sur ces éléments que nous souhaiterions attirer votre attention, et à travers
vous, celle de l’ensemble de la communauté internationale et des autorités
congolaises. Notre unique leitmotiv, c’est que nous avons subi les guerres et
les violences répétitives dans notre propre chair, et que nous ne voulons ni de
trêve, ni de demi-solutions : nous voulons d’une paix véritable, solide et
durable pour enfin nous développer et nous épanouir.
Une
telle paix ne peut s’accommoder ni de nouvelles primes à des criminels impénitents
de quelque bord qu’ils soient ; ni de l’impunité ou des arrangements
occultes. Une telle paix ne peut pas non plus s’accommoder d’un voile pudique sur
les problèmes réels de gouvernance, d’atteintes à la constitution et à la démocratie,
d’injustices sociales, de corruption, de légèreté et d’incompétence que nos
dirigeants actuels entretiennent délibérément.
Monsieur
le Secrétaire Général,
La
République Démocratique du Congo a tout le potentiel pour devenir une grande
nation, démocratique, paisible et prospère, et le moment est propice pour
tourner définitivement la longue page des guerres répétitives, des violences, et
des atteintes à la démocratie. En dépit de leurs lacunes, la résolution 2098 et
l’accord-cadre d’Addis-Abeba offrent une chance réelle d’évolution positive dans
cette direction.
Si,
au-delà des textes et des déclarations d’intention, la communauté
internationale est réellement résolue à contribuer à l’avènement d’une paix véritable
et durable, gage du développement de la RD Congo et de l’épanouissement de son
peuple – ce dont la sous-région, l’Afrique et le monde ne manqueront pas de
tirer meilleur bénéfice qu’actuellement –, nous l’exhortons, à travers vous, à :
1.
Mettre à la disposition de la
Brigade d’intervention,
non seulement des moyens financiers et matériels suffisants et adéquats
(notamment les drones et les hélicoptères), mais aussi leurs troupes aguerries et
possédant avec la RDC plus d’affinités. L’une des raisons de l’échec de la
MONUSCO durant la décennie de sa présence nous semble être le manque de
motivation suffisante de la part des pays pourvoyeurs de l’essentiel des
troupes. Outres les Etats de l’Afrique australe qui ont déjà proposé leurs
troupes à la Brigade d’intervention, les pays occidentaux comme les Etats-Unis d’Amérique, la France, la Belgique,
le Royaume-Uni, les Pays-Bas, l’Allemagne, la Norvège, la Suède et le Canada
devraient eux aussi mettre à contribution leurs armées plus expérimentées,
mieux entraînées et mieux équipées pour plus d’efficacité de la Brigade
d’intervention. C’est une question de cohérence et de responsabilité et cohérence
de leur engagement politique et diplomatique en RDC et en Afrique des
Grands-Lacs.
2.
S’assurer que la Brigade
d’intervention est déployée dans les meilleurs délais, et qu’elle accomplit sa
mission le plus rapidement possible : les trente jours annoncés pour l’opérationnalisation
de cette Brigade ne devraient pas être dépassés, au risque de permettre aux
groupes armés visés d’élaborer des stratégies pour se soustraire à la traque
sans disparaître vraiment. Par ailleurs, les dix ans de la MONUSCO, c’est déjà
trop. Nous apprécions que dans ce contexte particulier, la communauté
internationale nous aide établir les bases d’une paix durable et d’une
stabilité certaine, mais cela ne peut en aucun cas justifier une présence et
une assistance permanentes. Les actions de la communauté internationale ne
seront légitimes que pour autant qu’elles visent à nous aider à prendre nos
responsabilités, à nous conduire souverainement en tant que Nation, à atteindre
notre résilience.
3.
Ne pas s’écarter de la résolution
2098 qui vise tous les groupes armés locaux et étrangers : la communauté internationale ne
doit pas tomber dans les mêmes errements que ceux de notre gouvernement qui a
trop souvent tendance à considérer certains groupes armés comme « plus
importants », ou « plus tolérables », ou « plus
fréquentables » que d’autres. Tous les groupes armés, y compris le M23,
doivent être neutralisés sans condition ni différenciation comme stipulé dans
la résolution 2098 (2013). La communauté internationale doit peser de tout son
poids pour qu’aucune mesure autre que le désarmement volontaire et sans
condition ne soit plus accordée à aucun groupe armé, quel qu’il soit : ni
intégration au sein de l’armée nationale, ni accords occultes, ni amnistie
collective, ni mutation en groupements politiques des groupes armés comme par
le passé.
4.
Maintenir la pression sur les
autorités congolaises pour
que les réformes que toute la population attend, et qui sont le véritable gage
de la cohésion nationale et de la paix durable, soient effectivement entreprises :
réforme du secteur de sécurité ; mise en œuvre accélérée de la
décentralisation ; réformes électorales ; réforme de la justice et
jugement de tous les crimes commis en RDC ces vingt dernières années ; mise
en place de toutes les institutions prévues dans la constitution du 18 février
2006 ; réformes électorales et tenue en cette année 2013 des élections
provinciales, sénatoriales et locales ; engagement concret dans la lutte
contre la corruption et la mauvaise gouvernance économique ; réformes
économiques et sociales ; etc. Pour ce faire, nous attendons de la
communauté internationale qu’elle encourage et soutienne ces réformes. Dans
cette optique, pourquoi ne pas réduire les autres effectifs quasi inutiles de
la MONUSCO ainsi que leur budget, et engager ces moyens dans le soutien aux
réformes prioritaires comme celle du secteur de sécurité ? Nous pensons
qu’il est important d’encourager le gouvernement congolais à adopter et rendre
public, dans les meilleurs délais, une
feuille de route pour la mise en œuvre de toutes ces réformes, avec un
chronogramme clair.
Monsieur
le Secrétaire Général,
La
résolution 2098 est un pas important de la communauté internationale dans l’accompagnement
de notre pays vers le recouvrement de la paix et de la stabilité, mais beaucoup
reste encore à faire. A commencer par la réalisation effective et rapide de
tous les points énumérés dans cette résolution. Nous osons espérer que la
mutation opérée dans la façon dont la communauté internationale perçoit la
crise dans notre pays permettra une amélioration concrète de la situation. Notre
souci est de nous défaire des chaînes qui empêchent depuis tant de décennies
notre Nation de prendre son envol. Nous avons besoin, non pas d’une tutelle
permanente, mais d’un soutien sincère des autres Nations du monde, pour
réaliser ce rêve commun à notre génération.
Nous
vous prions de bien vouloir agréer, Monsieur le Secrétaire Général, l’expression
de notre considération hautement distinguée.
Fait le 3 avril 2013,
à Goma (province du Nord-Kivu).
Pour La LUCHA, les signataires :
1. Fred
Bauma Winga 6.Micheline
Mwendike Kamate,
2.
Jean-Mobert N. N’senga 7.Luc
Nkulula-wa-Mwamba
3.Chantal
Faida Mulenga-Byuma 8.Fidèle
Niyirema
4.François
Lukaya N’yombo 9.Claudia
Chuma
5.Serge
Kambale Sivyavuwa