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vendredi 26 octobre 2012

Reconstruction de la voirie de Goma : le gouverneur Julien Paluku se moque du monde…

La route principale de Goma (route de Sake), après nivellement et arrosage. Septembre 2012



Harcelé par l’association des détenteurs de stations-service de Goma, qui ont menacé de fermer leurs pompes si une les travaux de reconstruction des principaux axes routiers de la ville ne reprenaient pas rapidement, le Gouverneur de province du Nord-Kivu, Julien Paluku Kahongya, a annoncé une série de « mesures ».

Au sortir de l’audience marathon qu’il a accordée à ces détenteurs de stations, samedi dernier, le gouverneur a annoncé qu’il venait de donner un ultimatum d’une semaine au ministre national des infrastructures pour que les travaux de réhabilitation des routes de la province du Nord-Kivu soient relancés et accélérés. Il a déclaré : « Si aucune suite n’est donnée dans ce délai, je vais ordonner la suspension pendant trois mois de tout transfert de fonds des comptes du Fonds d’Entretien Routier (FONER, ndlr) à Kinshasa. Dans ce cas, je vais aussi suspendre le contrat de l’entreprise TRAMINCO à qui le gouvernement a attribué les travaux, et avec les fonds bloqués du FONER et la collaboration des opérateurs économiques de Goma, nous allons trouver une autre entreprise à même de mieux faire ces travaux et de les terminer rapidement ».

A la suite de cette sortie, les « pétroliers », comme on les appelle ici, ont annulé leur action de fermeture de stations qui était prévue pour mardi 23 octobre. Et pour calmer davantage les esprits des gomatraciens, le gouverneur s’est arrangé pour que des engins des entreprises publiques spécialisées se remettent à niveler les innombrables trous creusés par la pluie sur le principal axe routier de la ville. Ce qui devrait éviter aux motards et aux automobilistes les secousses jusqu’à la prochaine pluie…

Si tout le monde à Goma sait que niveler la route et l’arroser, comme cette fois, est un remède d’une poignée de jours à l’enfer des secousses et de la poussière – en plus d’être trop coûteux (2000 dollars dépensées chaque semaine) –, il n’en est pas de même de la perception de ces « mesures » prises par le gouverneur.

Imposture, diversion et…moquerie de mauvais goût !

Julien Paluku Kahongya,
gouverneur du Nord-Kivu
Photo Internet
Sur base de quelle disposition constitutionnelle ou légale, quelle pratique, ou au nom de quel pouvoir le gouverneur de province peut-il donner un ultimatum à un ministre national ? Le Fonds d’Entretien Routier, établissement public national, est-il responsable de la construction ou de la réhabilitation des routes ? Quel pouvoir a le gouverneur sur le FONER pour bloquer le transfert des fonds de la province à son siège social dans la capitale Kinshasa ?

Il faut être à mesure de répondre correctement à ces questions pour avoir ce que valent exactement les « mesures » prises ou annoncées par ce gouverneur. D’ores et déjà, tout esprit éclairé sait que c’est du pur mensonge, de la diversion, voire de la moquerie à l’égard de cette population qui souffre tant de l’état de routes de la ville, et qui a peut-être tort de se croire gouvernée. N’en déplaise à ceux qui, par fanatisme, par ignorance, ou pour de mesquins intérêts personnels, ont trouvé là objet d’applaudissements et de louanges, saluant « le courage » du gouverneur !

Je ne vais pas m’attarder à décortiquer une à une ces questions, tellement les réponses sont évidentes pour qui sait tourner (et bien) son méninge. En ce qui concerne l’ultimatum, par exemple, je parie ma main que c’est un leurre destiné à faire croire aux crédules (malheureusement nombreux au Congo) que le gouverneur a la maîtrise de la situation, qu’il est superpuissant, et qu’il ne ménage même pas ses tuteurs de Kinshasa. Il n’y a qu’à voir l’opportunité de son intervention : un mémorandum adressé à la direction du FONER, menace de fermer les stations d’essence, grogne grandissante au sein de l’opinion publique sur sa gestion du dossier, …

C’est sur le FONER qu’il y aurait plus à dire...

Vue aérienne du centre-ville de Goma. Photo radio Okapi
Le FONER (Fonds d’Entretien Routier) est un établissement public à caractère administratif et financier qui, comme son nom l’indique, a pour mission de collecter et d’administrer les fonds destinés à l’entretien et à la gestion des réseaux routiers du territoire national (confer article 3 du décret n°08/27 du 24 décembre 2008 portant création et statuts d’un établissement public dénommé Fonds National d’Entretien Routier, en sigle « FONER »).  

L’article 4 du décret précité est encore plus explicite : « Le financement des opérations de construction et de réhabilitation des routes est exclu du champ d’intervention du FONER ». Son directeur national, de passage à Goma, l’a d’ailleurs rappelé. En ce qui concerne Goma, c’est bien de construction/réhabilitation qu’il s’agit, non pas d’entretien… Et ce n’est pas Monsieur le Gouverneur qui peut prouver le contraire ! D’où vient-il alors, si ce n’est pas de la moquerie (ou, moins grave, de l’ignorance), que c’est au FONER qu’on demande de payer la facture de la réhabilitation de la voirie urbaine de Goma ? 

L'association des « pétroliers » a indiqué, dans son mémorandum adressé au directeur du FONER, qu’ils avaient versé vingt-quatre millions de dollars au FONER depuis sa création en 2008, et se sont plaints que l’argent n’a servi à rien. C’est bien dommage ! Je suppose que pour eux, l’établissement aurait dû investir cet argent dans l’arrosage et le nivellement réguliers des routes de Goma afin d’atténuer la poussière et les secousses, puisque c’est tout ce que les routes en terre et en pierres de Goma nécessitent comme entretien…

Je ne défends pas le FONER, je suis convaincu qu’il s’y passe des choses comme on n’en connaît qu’en RDC, en matière de gestion de ressources et de fonds publics. Je suis certain que la majeure partie de ces millions de dollars engrangés au joli prétexte de l’entretien routier finissent au même endroit que les recettes des douances, des impôts, des contrats miniers, des redevances administratives, etc. Je veux dire dans le « Trésor public », entendez : « là où tout le public des privilégiés et des « tréseurs » s’alimentent en argent accumulé par le peuple qu’ils méprisent ».

Je ne défends pas cela. Je considère seulement que mentir au peuple de cette manière n’est nullement plus noble que de détourner son argent. En plus, le gouverneur a parlé de bloquer les transferts des fonds du FONER de sa province à Kinshasa. Encore de l’imposture! Sauf erreur de ma part, le gouverneur n’a pas ce pouvoir sur un établissement public national dont la direction provinciale n’est qu’une représentation. Le FONER est placé sous la tutelle des ministères ayant les finances, les travaux publics et les transports dans leurs attributions (confer article 2 alinéa 2 du décret précité).

Comment peut-on se moquer ainsi d’une population qui paie cher l’état des routes, tant en termes de santé (avortements, hémorroïdes, maladies respiratoires) et d’hygiène (corps, vêtements, aliments, …), qu’en termes économiques (véhicules désarticulés, marchandises abîmes sur les étales des magasins, etc.) ?
Au lieu de s’en prendre au FONER, le gouverneur Julien Paluku ferait mieux de lire la constitution et de l’appliquer scrupuleusement. Il serait alors surpris d’apprendre que la question de la voirie urbaine fait partie des attributions exclusives de l’Exécutif provincial qu’il dirige, et qu’il en est donc le premier (voire le seul) répondant (confer article 204, points 11 et 24, de la constitution).

On évite le vrai sujet ?

Comme je viens de le dire, la construction et la réhabilitation de la voirie urbaine (ainsi que des autres infrastructures et équipements « d’intérêt provincial ou local ») est, constitutionnellement, de la compétence exclusive des provinces.

Message des jeunes révoltés de Goma, à l'adresse du Gouverneur. Traduction : "Goma, 20 mois dans la poussière, les trous et la boue : Ca suffit ! Monsieur le gouverneur, construis les routes ou dégage !"
Le problème est et  celui des ressources dont disposent les provinces à cette fin, auquel il faut ajouter celui de la mauvaise gouvernance qui les gangrène. A titre d’exemple, la retenue à la source de 40% des recettes à caractère national réalisées en province n’est pas appliquée. Tout l’argent est envoyé au gouvernement central, et celui-ci décide souverainement de ce qu’il rétrocède à qui il veut. Le gouverneur a-t-il jamais osé évoquer le problème devant la population ? A-t-il jamais eu le culot de défier publiquement le pouvoir central, comme il donne l’impression de le faire maintenant, en retenant à la source les 40% des recettes du Nord-Kivu ? Pas à ma connaissance. Comment se fait-il que c’est le ministre national des travaux publics qui répond de la question de la voirie urbaine de Goma, alors que c’est un travail qui incombe exclusivement à la province ?

Mais il y a questions plus pertinentes encore : comment les travaux de la voirie de Goma, que l’Union européenne s’était engagée à financer, ont-ils fini par être récupérés par le gouvernement central, à la veille des élections ? Y avait-il un budget prévu à cet effet ? Quel est le coût de ces travaux et où est parti l’argent que le gouvernement aurait alors destiné à ces travaux ? Comment l’entreprise TRAMINCO, qui n’a aucune expertise en matière de travaux publics et d’ingénierie, a-t-elle obtenu ce marché ? Depuis deux ans, qui a fait quoi ? Pourquoi les travaux se sont-ils enlisés ?

Je voudrais tant que le gouverneur me réponde. Mais bien sûr il ne le fera pas. Il a son temps pour imaginer d’autres impostures, d’autres diversions, d’autres parades. Entretemps, le peuple s’est rendormi, avec ses kilos de poussière collée au poumon, son corps supplicié, ses yeux aveuglés, sa fortune ruinée ... Vive la République Démocratique du Congo !

Note : Au moment où je rédige ce billet (mercredi 25 octobre), le FONER vient d’annoncer qu’il met à la disposition du gouvernement provincial toute la somme d’argent qui se trouve dans ses comptes à Goma, soit trois millions quatre-cent mille dollars. L’argent est destiné, dit-on, à la réhabilitation d’un tronçon de plus ou moins 10km, allant de l’aéroport de Goma au quartier Mugunga. Il reviendrait au gouverneur de décider si cet argent sera remis à l’entreprise TRAMINCO, entrepreneur avec le gouvernement central des travaux dont on déplore l’enlisement, ou si c’est une autre entreprise qui doit être trouvée pour continuer le travail. Mais non seulement cette somme est très insignifiante pour réaliser ce travail – et on n’indique pas clairement comment et quand le reste de l’enveloppe sera rendue disponible – on rajoute aussi à la confusion. C’est comme si la gestion de l’Etat et de l’argent du contribuable congolais n’obéissait à aucune règle, mais aux seules humeurs des autorités. Jugez vous-même du respect et de la considération que l’on donne aux congolais !