La route principale de Goma (route de Sake), après nivellement et arrosage. Septembre 2012 |
Harcelé par l’association des détenteurs de stations-service
de Goma, qui ont menacé de fermer leurs pompes si une les travaux de
reconstruction des principaux axes routiers de la ville ne reprenaient pas
rapidement, le Gouverneur de province du Nord-Kivu, Julien Paluku Kahongya, a
annoncé une série de « mesures ».
Au sortir de l’audience marathon qu’il a accordée à ces
détenteurs de stations, samedi dernier, le gouverneur a annoncé qu’il venait de
donner un ultimatum d’une semaine au ministre national des infrastructures pour
que les travaux de réhabilitation des routes de la province du Nord-Kivu soient
relancés et accélérés. Il a déclaré : « Si aucune suite n’est donnée
dans ce délai, je vais ordonner la suspension pendant trois mois de tout
transfert de fonds des comptes du Fonds d’Entretien Routier (FONER, ndlr) à
Kinshasa. Dans ce cas, je vais aussi suspendre le contrat de l’entreprise
TRAMINCO à qui le gouvernement a attribué les travaux, et avec les fonds
bloqués du FONER et la collaboration des opérateurs économiques de Goma, nous
allons trouver une autre entreprise à même de mieux faire ces travaux et de les
terminer rapidement ».
A la suite de cette sortie, les « pétroliers »,
comme on les appelle ici, ont annulé leur action de fermeture de stations qui était
prévue pour mardi 23 octobre. Et pour calmer davantage les esprits des
gomatraciens, le gouverneur s’est arrangé pour que des engins des entreprises
publiques spécialisées se remettent à niveler les innombrables trous creusés
par la pluie sur le principal axe routier de la ville. Ce qui devrait éviter
aux motards et aux automobilistes les secousses jusqu’à la prochaine pluie…
Si tout le monde à Goma sait que niveler la route et l’arroser,
comme cette fois, est un remède d’une poignée de jours à l’enfer des secousses et
de la poussière – en plus d’être trop coûteux (2000 dollars dépensées chaque
semaine) –, il n’en est pas de même de la perception de ces
« mesures » prises par le gouverneur.
Imposture, diversion et…moquerie de mauvais goût !
Julien Paluku Kahongya, gouverneur du Nord-Kivu Photo Internet |
Il faut être à mesure de répondre correctement à ces
questions pour avoir ce que valent exactement les « mesures » prises
ou annoncées par ce gouverneur. D’ores et déjà, tout esprit éclairé sait que
c’est du pur mensonge, de la diversion, voire de la moquerie à l’égard de cette
population qui souffre tant de l’état de routes de la ville, et qui a peut-être
tort de se croire gouvernée. N’en déplaise à ceux qui, par fanatisme, par
ignorance, ou pour de mesquins intérêts personnels, ont trouvé là objet d’applaudissements
et de louanges, saluant « le courage » du gouverneur !
Je ne vais pas m’attarder à décortiquer une à une ces
questions, tellement les réponses sont évidentes pour qui sait tourner (et
bien) son méninge. En ce qui concerne l’ultimatum, par exemple, je parie ma
main que c’est un leurre destiné à faire croire aux crédules (malheureusement nombreux
au Congo) que le gouverneur a la maîtrise de la situation, qu’il est
superpuissant, et qu’il ne ménage même pas ses tuteurs de Kinshasa. Il n’y a
qu’à voir l’opportunité de son intervention : un mémorandum adressé à la
direction du FONER, menace de fermer les stations d’essence, grogne grandissante
au sein de l’opinion publique sur sa gestion du dossier, …
C’est sur le FONER qu’il y aurait plus à dire...
Vue aérienne du centre-ville de Goma. Photo radio Okapi |
Le FONER (Fonds d’Entretien Routier) est un établissement
public à caractère administratif et financier qui, comme son nom l’indique, a
pour mission de collecter et d’administrer les fonds destinés à l’entretien et à la gestion des
réseaux routiers du territoire national (confer article 3 du décret
n°08/27 du 24 décembre 2008 portant création et statuts d’un établissement
public dénommé Fonds National d’Entretien Routier, en sigle « FONER »).
L’article 4 du décret précité est encore plus
explicite : « Le financement
des opérations de construction et de réhabilitation des routes est exclu du
champ d’intervention du FONER ». Son directeur national, de passage à
Goma, l’a d’ailleurs rappelé. En ce qui concerne Goma, c’est bien de
construction/réhabilitation qu’il s’agit, non pas d’entretien… Et ce n’est pas
Monsieur le Gouverneur qui peut prouver le contraire ! D’où vient-il
alors, si ce n’est pas de la moquerie (ou, moins grave, de l’ignorance), que
c’est au FONER qu’on demande de payer la facture de la réhabilitation de la
voirie urbaine de Goma ?
L'association des « pétroliers » a indiqué, dans son
mémorandum adressé au directeur du FONER, qu’ils avaient versé vingt-quatre
millions de dollars au FONER depuis sa création en 2008, et se sont plaints que
l’argent n’a servi à rien. C’est bien dommage ! Je suppose que pour eux,
l’établissement aurait dû investir cet argent dans l’arrosage et le nivellement
réguliers des routes de Goma afin d’atténuer la poussière et les secousses,
puisque c’est tout ce que les routes en terre et en pierres de Goma nécessitent
comme entretien…
Je ne défends pas le FONER, je suis convaincu qu’il s’y
passe des choses comme on n’en connaît qu’en RDC, en matière de gestion de
ressources et de fonds publics. Je suis certain que la majeure partie de ces
millions de dollars engrangés au joli prétexte de l’entretien routier finissent
au même endroit que les recettes des douances, des impôts, des contrats
miniers, des redevances administratives, etc. Je veux dire dans le
« Trésor public », entendez : « là où tout le public des privilégiés
et des « tréseurs » s’alimentent en argent accumulé par le peuple
qu’ils méprisent ».
Je ne défends pas cela. Je considère seulement que mentir au
peuple de cette manière n’est nullement plus noble que de détourner son argent.
En plus, le gouverneur a parlé de bloquer les transferts des fonds du FONER de
sa province à Kinshasa. Encore de l’imposture! Sauf erreur de ma part, le
gouverneur n’a pas ce pouvoir sur un établissement public national dont la
direction provinciale n’est qu’une représentation. Le FONER est placé sous la
tutelle des ministères ayant les finances, les travaux publics et les
transports dans leurs attributions (confer
article 2 alinéa 2 du décret précité).
Comment peut-on se moquer ainsi d’une population qui paie
cher l’état des routes, tant en termes de santé (avortements, hémorroïdes, maladies
respiratoires) et d’hygiène (corps, vêtements, aliments, …), qu’en termes économiques
(véhicules désarticulés, marchandises abîmes sur les étales des magasins, etc.) ?
Au lieu de s’en prendre au FONER, le gouverneur Julien
Paluku ferait mieux de lire la constitution et de l’appliquer scrupuleusement.
Il serait alors surpris d’apprendre que la question de la voirie urbaine fait
partie des attributions exclusives de l’Exécutif provincial qu’il
dirige, et qu’il en est donc le premier (voire le seul) répondant (confer article 204, points 11 et 24, de
la constitution).
On évite le vrai sujet ?
Comme je viens de le dire, la construction et la
réhabilitation de la voirie urbaine (ainsi que des autres infrastructures et
équipements « d’intérêt provincial ou local ») est,
constitutionnellement, de la compétence exclusive des provinces.
Mais il y a questions plus pertinentes encore : comment
les travaux de la voirie de Goma, que l’Union européenne s’était engagée à
financer, ont-ils fini par être récupérés par le gouvernement central, à la
veille des élections ? Y avait-il un budget prévu à cet effet ?
Quel est le coût de ces travaux et où est parti l’argent que le gouvernement
aurait alors destiné à ces travaux ? Comment l’entreprise TRAMINCO, qui
n’a aucune expertise en matière de travaux publics et d’ingénierie, a-t-elle
obtenu ce marché ? Depuis deux ans, qui a fait quoi ? Pourquoi les
travaux se sont-ils enlisés ?
Je voudrais tant que le gouverneur me réponde. Mais bien sûr
il ne le fera pas. Il a son temps pour imaginer d’autres impostures, d’autres
diversions, d’autres parades. Entretemps, le peuple s’est rendormi, avec ses
kilos de poussière collée au poumon, son corps supplicié, ses yeux aveuglés, sa
fortune ruinée ... Vive la République Démocratique du Congo !
Note : Au
moment où je rédige ce billet (mercredi 25 octobre), le FONER vient d’annoncer
qu’il met à la disposition du gouvernement provincial toute la somme d’argent
qui se trouve dans ses comptes à Goma, soit trois millions quatre-cent mille
dollars. L’argent est destiné, dit-on, à la réhabilitation d’un tronçon de plus
ou moins 10km, allant de l’aéroport de Goma au quartier Mugunga. Il reviendrait
au gouverneur de décider si cet argent sera remis à l’entreprise TRAMINCO,
entrepreneur avec le gouvernement central des travaux dont on déplore l’enlisement,
ou si c’est une autre entreprise qui doit être trouvée pour continuer le
travail. Mais non seulement cette somme est très insignifiante pour réaliser ce
travail – et on n’indique pas clairement comment et quand le reste de l’enveloppe
sera rendue disponible – on rajoute aussi à la confusion. C’est comme si la
gestion de l’Etat et de l’argent du contribuable congolais n’obéissait à aucune
règle, mais aux seules humeurs des autorités. Jugez vous-même du respect et de
la considération que l’on donne aux congolais !