A l'initiative du CREDDHO (Centre de Recherche sur l'Environnement, la Démocratie et les Droits Humains) et CIVIS CONGO (une organisation citoyenne basée à Goma), quelque 32 organisations de la société de toute la République Démocratique du Congo viennent d'adresser au Président Joseph Kabila une lettre intitulée "La République est agressée : on n'a pas à être "neutre" pour défendre sa souveraineté et son intégrité". Ces organisations expriment leur rejet du schéma de la CIRGL qui consiste à déployer à l'Est de la RDC une force internationale "neutre" pour combattre la rébellion du M23 et les autres groupes armés actifs dans cette région congolaise.
Les signataires de la lettre ouverte reprochent au schéma de la CIRGL, notamment :
- D’être truffé d’incohérences et d’hypocrisie ;
- D’être ambigu et irrationnel ;
- D’être à la fois incertain et inefficace pour résoudre le problème ;
- D’être humiliant pour la Nation congolaise.
La société civile congolaise propose donc au Président de la République, à travers cette lettre ouverte, de renoncer purement et simplement au schéma de la CIRGL concernant la « force internationale neutre » à déployer à l’Est de la RDC.
A la place, la société civile lui suggère :
- De mettre ensemble toutes les unités militaires formées par différents partenaires de la RDC et leur doter de moyens matériels et financiers suffisants pour que, avec l’appui des meilleurs des autres soldats et, éventuellement, un appui technique et logistique de pays amis de la RDC, ils puissent préparer et mener l’offensive contre le » M23 », et ensuite contre les autres groupes rebelles locaux ou étrangers qui n’accepteraient pas un appel ultime à déposer les armes et à se rendre ;
- De persister à demander le renforcement du mandat de la MONUSCO et son application effective afin qu’elle contribue substantiellement au rétablissement rapide de la paix et de la stabilité dans la partie Est de la RDC.
ElEntre autres propositions que la société civile formule, il y a le gel des avoirs domiciliés en RDC de toutes les personnes liées directement ou indirectement au M23 et aux autres groupes armés qui sévissent à l'Est de la RDC; l'assainissement de la chaîne de commandement des FARDC; l'assistance aux déplacés de guerre par le gouvernement; etc.
Cette prise de position de la société civile intervient au moment où les Chefs d'Etats et de gouvernements de la CIRGL doivent se réunir une fois encore à Kampala, cette semaine, pour tabler sur les propositions sur l' "opérationnalisation" de la fameuse "force neutre" du sous-comité interministériel des ministres de la Défense de la sous-région, qui s'était réuni à Goma les 15 et 16 août dernier.
Je vous propose le contenu de cette lettre ouverte dans son intégralité.
LA REPUBLIQUE EST AGRESSEE : ON N’A PAS A ETRE « NEUTRE » POUR DEFENDRE SA SOUVERAINETE ET SON INTEGRITE !
Lettre ouverte adressée à Son Excellence Monsieur Joseph Kabila Kabange, Président de la République Démocratique du Congo, au sujet de la résolution de la crise sécuritaire qui secoue le pays
Palais de la Nation, Kinshasa/Gombe
Goma, le 31 août 2012
Excellence Monsieur le Président de la République,
Avec l’expression de nos hommages les plus déférents,
1 – Par la présente, nous, organisations de la Société civile de la République Démocratique du Congo, du Nord et Sud-Kivu plus particulièrement, tenons à vous faire part de notre vigoureux désaveu de la prétendue « neutralité » de la Force internationale telle qu’envisagée dans les tractations diplomatiques en cours dans le cadre de la Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs (CIRGL). Nous voulons en même temps exposer à votre intention une solution alternative qu’à tous égards nous considérons comme étant la plus appropriée, la plus légitime, la plus efficace, la plus durable, et la plus à même d’emporter l’adhésion de la population et des forces vives que nous sommes.
2 – Vous êtes le Garant de la Constitution, et en tant que tel vous avez, l’obligation de défendre la souveraineté et l’indépendance de la République (article 69 alinéa 3), en particulier au moment comme celui-ci où cette souveraineté et cette indépendance sont mises en mal par une vicieuse rébellion et de nombreux groupes armés qui tuent, violent, et dépouillent la population, ou la contraignent à l’exil. Nous ne pouvons pas toujours tout attendre des autres, nous plaindre sans cesse, comme si nous avions renoncé à notre autonomie et notre souveraineté en tant qu’Etat, et à notre dignité en tant que Nation.
3 – La rébellion du soi-disant « Mouvement du 23 mars » occupe actuellement la quasi-totalité du territoire de Rutshuru, et a installé son administration. Elle vient même de se doter, depuis quelques jours, d’une structure politique quasi-gouvernementale. Les affrontements dont il est à la base à Masisi d’abord, et dans les territoires de Rutshuru, Lubero et Nyiragongo ensuite, ont causé le déplacement de plusieurs dizaines de milliers de civils à l’intérieur de la province du Nord-Kivu et dans les pays limitrophes. Ces déplacés et réfugiés vivent depuis des mois dans des conditions parfois inhumaines. Plusieurs enfants et jeunes ont été enrôlés de force dans les rangs de cette rébellion. Des tueries sont commises, des femmes violées, des maisons incendiées, des récoltes pillées, des taxes imposées, etc. La ville de Goma connaît aujourd’hui des difficultés majeures d’approvisionnement en denrées alimentaires et autres produits qui transitent normalement par la frontière de Bunagana ou qui proviennent des territoires de Beni et Lubero.
4 – Les groupes armés locaux et étrangers qui pullulent à l’Est de la RDC ont redoublé d’activisme ces derniers mois, profitant de la monopolisation de l’attention sur la nouvelle rébellion du « M23 ». Selon divers témoignages, nos braves frères et sœurs militaires des Forces armées de la République Démocratique du Congo envoyés sur les champs de bataille sont mal entretenus, sous-équipés, et souvent commandés par des officiers à la solde de l’ennemi qu’ils sont censés combattre, ce qui leur cause mort, blessures, échecs et humiliation.
5 – Les revendications du « M23 » sont variables au gré du temps, et à mesure qu’ils se croient avoir un certain avantage militaire. Le gouvernement a rejeté catégoriquement l’option de la négociation, ce que nous trouvons juste et convenable.
Les mêmes erreurs stratégiques produiront les mêmes conséquences
Excellence Monsieur le Président de la République,
6 – Ceux qui mènent le « M23 » n’en sont pas à leur premier essai. Par le passé, le gouvernement a choisi des raccourcis qui assuraient un semblant de paix et de stabilité éphémères, plutôt que de prendre des décisions difficiles mais susceptibles de régler définitivement le fond du problème : à la répression des criminels notoires, vous avez préféré l’amnistie, le dialogue, voire la collaboration ; à la fermeté et la rigueur, vous avez préféré la largesse et la tolérance à outrance ; à la justice, vous avez privilégié « la paix ». Vous avez procédé au « mixage », au « brassage », à l’ « intégration », … ; vous avez initié, parfois sans l’avis des représentants du peuple, les opérations « Umoja Wetu », « Amani Leo », « Kimia I », « Kimia II », « Hatuwa ya Maana », … Aujourd’hui, il est évident que vous n’avez pas fait les choix qu’il fallait. Mais pire que cela, ce serait de commettre aujourd’hui les mêmes erreurs de choix politiques et stratégiques face à des situations notablement similaires. Hélas, à l’allure où vont les choses, nous craignons que ce ne soit le cas.
L’absurdité de l’idée de la « neutralité » de la Force internationale
Excellence Monsieur le Président de la République,
7 – Depuis quelques semaines, l’idée qu’une force internationale « neutre » qui serait déployée à l’Est de notre pays constituerait l’antidote à la rébellion du « M23 » et des autres groupes armés qui y sont actifs semble faire son chemin. La réunion du « sous-Comité » des ministres de la défense à l’institution duquel vous avez participé à Kampala au début de ce mois s’est tenue à Goma, et a suggéré que cette Force serait composée d’ « au moins quatre mille hommes », que certains pays – dont le nôtre – n’en feraient pas partie, et que sa mise en place prendrait plus ou moins trois mois à compter du prochain sommet de la CIRGL à Kampala.
8 – Comme vous pouvez vous y attendre, c’est une question que nous suivons avec beaucoup d’intérêt, étant donné que si ce qui en résulte est bon, nous en serons les premiers bénéficiaires, tout comme si ce qui en résulte est dommageable, nous en serons les premières victimes. Notre inquiétude réside en plusieurs points, dont les principaux sont les suivants :
- Que faire de la souveraineté de la République, lorsque, pour résoudre une crise comme celle créée par cette rébellion du « M23 », sur le territoire de la RDC, contre des Congolais, et – prétendument – par des Congolais, le gouvernement semble demander l’avis, l’accord, l’autorisation d’autres pays, dont certains sont les mêmes qui nous agressent ;
- Pourquoi tendre l’oreille à un pays comme le Rwanda qui, officiellement, soutient mordicus ne pas être impliqué dans l’actuelle rébellion, pour s’entendre dire qu’il ne veut pas d’un tel ou tel pour intervenir dans le conflit de l’Est de la RDC ? Comment un agresseur peut-il persister dans la dénégation et la mauvaise foi, et être accepté en même temps comme un interlocuteur crédible pour trouver une solution à la crise dont il est l’instigateur ?
- Si le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi sont indignes de contribuer en hommes et en moyens à cette force internationale, pourquoi seraient-ils dignes de participer à sa définition et à son opérationnalisation ? N’est-ce pas là un piège de la CIRGL dans lequel la RDC est entrain de tomber ?
- Dix-neuf mille Casques Bleus onusiens sont déployés dans notre pays depuis plus de dix ans, avec pour mandat de contribuer à sa pacification et sa stabilisation. A-t-on besoin d’une autre force internationale qui viendrait s’ajouter à eux, sans aucune chance qu’elle dispose des mêmes moyens d’action matériels, financiers, et même politiques ?
- Les FARDC sont-elles une force neutre, ou l’armée de la RDC ? Pourquoi alors ceux qui viendraient les soutenir dans leur mission naturelle devraient-ils être neutres ? Officiellement, notre pays n’est en guerre ni contre le Rwanda, ni contre aucun autre Etat. Pourquoi alors cette force internationale devrait-elle être neutre, au lieu d’être une force qui s’engage aux côtés de la RDC, qui prend fait et cause des FARDC, l’armée nationale ?
9 – Voilà autant de préoccupations que nous avons, et qui nous poussent à penser qu’il y a de la part du gouvernement une certaine complaisance difficilement explicable ; que toutes les démarches en cours au niveau de la CIRGL sont pleines d’hypocrisie et d’incohérence à tel point que la population ne peut rien en attendre de crédible et de durable. Hélas, nous sommes, dans ce jeu de dupes, ceux qui ont le plus à perdre. D’où notre opposition à ce schéma d’une force internationale qui serait « neutre », et qui de surcroît est négociée au sein d’une structure politique régionale où la RDC est réduite à sa plus simple expression, malmenée et humiliée par ses propres agresseurs arrogants et impénitents. Le gouvernement semble tâtonner ou être à court d’inspiration. Chacun de ceux qui le représentent semble agir à sa manière, si bien que les quelques efforts positifs qui sont faits isolément par certaines personnalités sont souvent dilués dans un manque criant de coordination.
Solution alternative
Excellence Monsieur le Président de la République,
10 – Eu égard à tout ce qui précède, nous, organisations de la Société civile de la République Démocratique du Congo, vous exhortons solennellement, devant le peuple congolais, devant la communauté internationale et devant l’histoire : à renoncer purement et simplement au schéma de la CIRGL concernant la « force internationale neutre » à déployer à l’Est de la RDC.
A la place, nous vous suggérons :
- De mettre ensemble toutes les unités militaires formées par différents partenaires de la RDC et leur doter de moyens matériels et financiers suffisants pour que, avec l’appui des meilleurs des autres soldats et, éventuellement, un appui technique et logistique de pays amis de la RDC, ils puissent préparer et mener l’offensive contre le » M23 », et ensuite contre les autres groupes rebelles locaux ou étrangers qui n’accepteraient pas un appel ultime à déposer les armes et à se rendre ;
- De persister à demander le renforcement du mandat de la MONUSCO et son application effective afin qu’elle contribue substantiellement au rétablissement rapide de la paix et de la stabilité dans la partie Est de la RDC.
Autres recommandations
Nous vous exhortons en outre, Excellence Monsieur le Président de la République :
- A vous abstenir de toute recherche de solution concertée avec le Rwanda tant qu’il ne fait pas montre de sincérité et de bonne foi ;
- A faire le ménage à tous les niveaux de commandement de l’armée, de la police et des services d’intelligence de la République, afin d’écarter, même à titre conservatoire, tous les officiers et agents qui ont posé des actes compromettants ou contre qui il existe des indices sérieux d’implication dans des activités de nature à compromettre les intérêts de la nation. Attraire en justice ceux contre qui il existe des preuves de culpabilité ;
- A prendre des sanctions économiques contre toutes les personnes, civiles ou militaires, liées directement ou indirectement au « M23 » et à tous les autres groupes armés actifs à l’Est de la RDC : saisie de leurs avoirs qui se trouvent sur le territoire de la RDC (biens meubles et immeubles, comptes en banque, …), et inviter les autres Etats où ils ont des avoirs à faire de même ;
- A commanditer une enquête sur l’éventuelle violation de la constitution, de la loi sur les partis politiques par le Congrès national pour la Défense du Peuple, en tant que parti politique, et en cas de violation avérée, ordonner sa dissolution ;
- A engager la justice civile et militaire pour que des mandats d’arrêt nationaux et internationaux soient lancés contre toutes les personnes, civiles ou militaires, qui sont liées de prêt ou de loin à la rébellion du « M23 », et dont la plupart résident tranquillement dans les pays limitrophes dont le Rwanda, et exiger leur extradition ;
- A enjoindre, avec l’aide de la communauté internationale, le Rwanda, l’Ouganda et les autres pays limitrophes de la RDC de surveiller leurs frontières afin que leur territoire ne serve ni de base arrière, ni de lieu de transit, et encore moins de lieu de refuge à ceux qui mènent ou participent à la guerre à l’Est de la RDC ;
- A mobiliser tous les moyens nécessaires pour venir en aide aux personnes déplacées qui se trouvent actuellement dans une situation précaire, sans attendre passivement l’intervention des « Humanitaires ».
Excellence Monsieur le Président de la République,
13 – L’Est de la RDC a suffisamment souffert des conflits à répétition qu’on lui impose. Le reste du pays en subit à coup sûr les effets, d’une manière ou d’une autre. Les solutions préconisées ci-haut doivent être mises en œuvre en mode d’urgence. Nous pensons qu’en trois mois tout au plus vous aurez pacifié le Nord et le Sud Kivu, ainsi que toute la partie orientale de notre pays. Il vous suffirait d’une bonne volonté, et de beaucoup d’énergie, et nous sommes disposés à vous apporter tout notre soutien. Une fois que la paix aura été ramenée, il faudra songer à la pérenniser en attaquant progressivement les causes profondes de ces conflits et en les éliminant une à une.
En espérant que la présente retiendra votre particulière attention, nous vous prions de bien vouloir agréer, Excellence Monsieur le Président de la République, l’expression de notre parfaite considération.
Les structures et organisations signataires :
1. Action Contre l’Impunité pour les Droits de l’Homme (ACIDH), Kasaï Oriental
2. Action contre l’Impunité pour les Droits de l’Homme (ACIDH), Nationale
3. Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture au Nord-Kivu (ACAT/NK)
4. Action Sociale pour la Paix et le Développement (ASPD), Nord-Kivu
5. Association Africaine des Droits de l’Homme (ASADHO), nationale ;
6. Association pour le Développement des initiatives paysannes (ASSODIP), Nord-Kivu
7. Campagne pour la Paix (CPP), Nord-Kivu
8. Centre d’Etude Juridique Appliquée (CEJA), Nord-Kivu
9. Centre de Recherche sur l’Environnement, la Démocratie et les Droits de l’Homme (CREDDHO), Nord-Kivu ;
10. CIVIS CONGO, Nord-Kivu ;
11. Collectif des Jeunes Solidaires du Congo-Kinshasa (COJESKI), nationale ;
12. CONGO PEACE NETWORK (CPN), Nord-Kivu ;
13. Coordination de la société civile du Sud-Kivu
14. Coordination provinciale de la société civile du Nord-Kivu ;
15. Coordination provinciale de la société civile du Sud-Kivu ;
16. Fédération des Organisations de Défense des Droits de l’Homme (FODDHO), Nord-Kivu
17. Groupe d’Associations de Défenses des Droits de l’Homme et de la Paix (GADHOP), Nord-Kivu
18. Groupe Lotus, Province Orientale
19. RESCUE-DRC, Nationale
20. Réseau d’Initiatives Locales pour un Développement Durable (REID), Nord-Kivu
21. Réseau National des ONGs des Droits de l’Homme de la République Démocratique du Congo (RENADHOC), nationale ;
22. Réseau Provincial des Organisations de Droit de l’Homme au Congo/Nord-Kivu (REPRODHOC/NK)
23. Save Our Souls Africa (SOS Africa), Nord-Kivu
24. Solidarité pour la Promotion de la Paix sociale (SOPROP), Nord-Kivu ;
25. Synergie des Femmes pour les Victimes des Violences Sexuelles (SFVS), nationale
26. Voix des Sans Voix pour les Droits de l’Homme (VSV), nationale
27. Association des Femmes Avocates du Barreau du Nord-Kivu (AFAB/NK), Nord-Kivu
28. Barreau de Goma, Nord-Kivu
29. Association des Jeunes Avocats pour un Leadership Intégral (AJALSI), Nord-Kivu
30. Association des Volontaires du Congo (ASVOCO), Nord-Kivu
31. Collectif des Associations Féminines pour le Développement (CAFED), Nord-Kivu
32. Fondation Point de Vue des Jeunes Africains pour le Développement (FPJAD), Nord-Kivu