Deux semaines pour ça ?
L'abbé A. Malu-Malu et le ministre R. Tshibanda à Munyonyo. Photo M.P. |
L’ouverture officielle du « dialogue » entre le M23
et le gouvernement congolais a eu lieu voici six jours, le dimanche 9 décembre
dernier. La délégation congolaise, à la tête de laquelle se trouve le ministre
des affaires étrangères Raymond Tshibanda, venait alors de passer plusieurs
jours à Kampala, en attente des délégués du M23.
Le ton avait été donné par le chef de la délégation du M23,
François Rucogoza qui, dans son virulent discours de circonstance, n’avait pas
ménagé le gouvernement congolais, l’accusant entre autres choses de tolérer le
massacre et la discrimination des Tutsi. Le ministre congolais avait demandé et
obtenu de la « facilitation » une occasion de répondre à « la
calomnie » du M23, et de « mettre à nue sa vraie identité et ses
exactions ». La séance de lundi 7 décembre au cours de laquelle devait
être donnée la réaction du gouvernement congolais avait été boycottée par le
M23, qui se disait non-intéressé par ces « échanges stériles » (dixit
René Abandi, chargé de relations extérieures de la rébellion). Mais à la
demande (pression ?) personnelle du président ougandais Yoweri Museveni,
le M23 acceptera finalement de se présenter mardi soir, et d’écouter la
réplique détaillée (mais sans plus) du ministre Tshibanda.
L’incident était ainsi vite clos. Et les naïfs s’attendaient
à ce que les « choses sérieuses » commencent ; c’est-à-dire le
dialogue proprement-dit. Dans son discours d’ouverture dimanche, le ministre
ougandais de la défense et « facilitateur » du « dialogue,
Crispus Kiyonga, avait alors annoncé qu’un agenda et un règlement des
pourparlers seraient être adoptés dans les vingt-quatre heures. Il ne se
doutait pas encore à ce moment de la survenance de l’incident dont je parlais
tout à l’heure. Il n’a donc pu commencer la consultation des deux délégations
pour la fixation de l’agenda et du règlement que mercredi. Hélas, alors que le
compromis à ce sujet était annoncé hier (jeudi 13 décembre) dans la soirée, il
n’est toujours pas venu. Au moment où j’écris ce billet, les tractations
continuent entre les deux parties et la facilitation pour ce faire.
Entre-temps, la trentaine de membres de la délégation
congolaise s’ennuient dans le luxueux complexe hôtelier de Munyonyo où ils sont
logés. Les plus entreprenants enchaînent des réunions avec des diplomates, des
personnalités ougandaises, des journalistes, etc. D’autres essaient de
profiter de la vie (ballade au bord du lac Victoria, sorties à Matonge et autres
coins branchés de Kampala, shoppings, …). Sauf que Kampala n’a pas forcément la
même ambiance que Kin… Certains, comme le vice-Président de l’assemblée
nationale Charles Mwando Nsimba et l’élu de Goma Konde Vila-Kikanda, sont
carrément retournés à Kinshasa, officiellement pour répondre à d’autres charges
d’Etat (clôture de la session de septembre, discours du Chef de l’Etat devant
le Congrès, …). Le chef de la délégation congolaise devrait les suivre, pour
les mêmes raisons.
De côté, les délégués de la rébellion qui, friands de leur
intimité et pas intéressés à se familiariser avec leurs « adversaires »
–, ont choisi d’être logés dans un autre endroit loin de Munyonyo, il est
possible qu’il règne le même climat. En tout cas, eux n’ont pas autant à perdre :
en plus de l’avantage moral d’être les seuls à savoir ce qu’ils veulent
vraiment et de se trouver en position de force, les frais de leur logement,
transport, nourriture, et perdiems, sont entièrement pris en charge par le
gouvernement congolais. Bien plus, Kampala est sans doute mieux pour eux, le
froid et l’inconfort de Rutshuru ou du pied du Nyiragongo, ou (pour certains d’entre
eux) la monotonie de Gisenyi et Ruhengeri !
En attendant le « scoop »…
Ils sont nombreux, les diplomates, journalistes et
observateurs de tous ordres venus à Munyonyo être témoins de ce fameux « dialogue »
qui, hélas, se fait toujours attendre. Ils ont tous au moins deux choses en
commun : ils ne peuvent pas assister directement aux tractations en cours
pour trouver un compromis sur un agenda (il ne peut en être autrement), et ils
doivent rendre compte quotidiennement, voire plusieurs fois par jour, de l’ « évolution »
de la situation sur place. Que faire ? S’asseoir au hall ou au restaurant,
discuter entre eux ou avec des membres de la délégation congolaise, prendre une
tasse de café, … Au téléphone qui n’arrête de sonner, cette même phrase
laconique : « on est là, on attend de connaître l’évolution ».
Jusqu’à ce qu’un ministre ou un député vienne leur faire un briefing sur les
derniers éléments d’une « évolution » des discussions qui n’en est
pas une…
Les uns et les autres sont pourtant unanimes (ou presque) sur
le point de dire que ce qui se passe à Munyonyo est une bonne farce, qui n’aboutira
à rien. C’est juste comme si on se tenait là, devant des ouvriers entrain d’ériger
une tour de Babel, non pas pour admirer son inauguration, mais pour être
témoins de son inéluctable effondrement, dont on n’y ignore que l’instant de
survenance. A moins d’un miracle !
Un « dialogue » sans objet !
Pour que les pourparlers proprement-dits puissent commencer,
les deux parties doivent convenir d’un agenda des discussions ;
autrement-dit leur objet. Or, c’est justement sur l’agenda que la partie
congolaise et les rebelles ont du mal à trouver un compromis. Côté
gouvernement, on veut circonscrire les pourparlers à l’évaluation du fameux
accord du 23 mars 2009 que le M23 revendiquait originellement, jusqu’à en
porter le nom. Côté M23, on voudrait absolument étendre les négociations sur
des questions d’ordre général comme la démocratie et les élections (celle de
Joseph Kabila en particulier), la gouvernance (décentralisation, peut-être même
fédéralisme), armée et sécurité, droits humains (et retour des réfugiés), etc. Deux
axes radicalement parallèles, dont il est pénible pour le « facilitateur »
de trouver un point d’intersection.
Mais il se pose également d’autres problèmes, comme celui du
pouvoir des délégués de part et d’autre. Le M23 a notamment justifié l’absence
de son président Jean-Marie Runiga par le fait que Joseph Kabila lui-même était
représenté, tandis que Sultani Makenga, commandant apparent de la rébellion,
aurait « mieux à faire » sur terrain. En outre, le « dialogue »
de Kampala est boycotté par l’ensemble des groupes parlementaires de l’opposition
politique congolaise, critiqué ou remis en cause par une grande partie de la
société civile, et généralement désapprouvé par la majorité des congolais
ordinaires. A supposer qu’un compromis sur l’agenda soit trouvé, malgré tout,
et que ce dialogue ait finalement lieu, que peut-il bien en sortir ? Une
solution aux crises à répétition qui secouent le Kivu depuis tant d’années ?
Un processus mort-né
Quelle que soit la conclusion des assises de Kampala, l’échec
est assuré. La question reste de savoir s’il sera immédiat, ou s’il apparaîtra
plus tard, au terme d’une nouvelle trêve d’on ne sait combien de temps. En d’autres
termes, soit que Kampala va aboutir à un sursis à la guerre (comme c’était le
cas avec l’accord de mars 2009), soit qu’il va tout simplement se terminer en
queue de poisson. Parce qu’il y a trop d’incohérences de part et d’autres,
parce que le rapport de force est trop déséquilibré entre les parties en
présence, et parce que la cause profonde de l’instabilité du Kivu n’a pas
encore été mise sur la table.
L’analyse faite par Steve Hege devant le Comité pour l’Afrique
du Congrès américain mardi dernier est peut-être trop radicale pour faire l’unanimité
– chose impossible sur un sujet aussi complexe que le sien – mais lui au moins
tente de répondre aux questions fondamentales que tout le monde se pose. A-t-il
tort ou raison, ce n’est pas cela l’important à mes yeux. L’important ce serait
d’apporter une antithèse au moins aussi cohérente que sa thèse à lui, sur le
point de connaître l’intérêt qu’a le Rwanda à brouiller en permanence la région
du Kivu, et sur les méthodes qui sont les siennes. Car, s’il est vrai que le
problème à la situation est avant tout à rechercher dans la structure et le
fonctionnement de l’Etat congolais en tant que tel, il est aussi vrai que le
rôle des pays de la région, principalement le Rwanda, est trop prépondérant pour
être ignoré ou minimisé.
Attendons voir ce que sera la lecture, et surtout l’issue
que préconisera ce samedi 15 décembre le président Kabila, dans son adresse au
parlement congolais réuni en congrès, à l’occasion de la clôture officielle de
sa session ordinaire de septembre. D’ores et déjà, je peux parier que ce sera
du déjà entendu, genre « option militaire, option politique, option
diplomatique, ou le tout à la fois » !