Pourtant, au fil des ans et des évènements, il apparaît de plus en plus que le Rwanda pourrait avoir un agenda, occulte celui-là, et partant plus difficile à cerner, à déchiffrer. Et c'est fort probablement sur cet agenda-là que s'inscrivent ses actuelles manoeuvres avec la nouvelle rébellion du M23, bien qu'il continue, contre moult évidences, à nier tout rapport avec ce mouvement. Car si l'on s'en tient aux seules choses apparentes, on trouvera difficilement une raison pour laquelle le Rwanda est à nouveau impliqué dans la déstabilisation de la RDC : les relations politiques et économiques entre les deux pays s'étaient nettement améliorées et stabilisées depuis 2009, avec la mise le retrait de Laurent Nkunda par le Rwanda et, plus tard, le rétablissement de leurs relations diplomatiques; des efforts militaires sans précédents ont été fournis pour combattre les FDLR, et le Rwanda, qui y a collaboré, s'est ouvertement félicité de ce que leur capacité de nuisance a été fortement diminuée; la RDC a arrêté et transféré des personnes recherchées par le Tribunal pénal international pour le Rwanda; la RDC est devenue en 2010 le premier pays d'exportation des produits rwandais dans la région; etc.
Mais pourquoi donc le Rwanda persiste-t-il à déstabiliser la RDC ? A-t-il plus à gagner avec un Congo instable qu'en paix ? Qu'est-ce qu'il gagne(ra) justement ? Et pourquoi maintenant (2012) ? Ces questions et beaucoup d'autres, tout le monde se les pose, mais rares sont ceux qui peuvent y répondre, sans états d'âme, de manière raisonnable et objective. L'américain Steve Hege était, jusqu'au 30 novembre dernier, le Coordinateur du Groupe d'Experts sur la RDC, institué par le Conseil de Sécurité de l'ONU pour, entre autres, suivre l'application de l'embargo sur les armes aux acteurs non-étatiques en RDC; groupe qui a produit plusieurs rapports et documents sur, notamment, la rébellion du M23 et le soutien dont elle bénéficie de la part du Rwanda.
Le 11 décembre dernier, il était invité par le Sous-Comité pour l'Afrique, la santé mondiale et les droits de l'homme du Comité pour les Affaires africaines du Congrès américain, où il a fait un "témoignage" sur sa lecture et ses perspectives sur la "crise dévastatrice à l'Est de la RDC", au regard de son expérience personnelle sur le sujet. Sa présentation (un document de onze pages disponible en anglais sous format PDF sur http://foreignaffairs.house.gov/112/HHRG-112-FA16-WState-HegeS-20121211.pdf) est sans doute imparfaite - par exemple, il semble ramener entièrement la question de l'instabilité de la RDC aux velléeités rwandaises, sans plus, en épinglant à peine les problèmes internes. Si bien que certains ont même trouvé son analyse "excessive". Néanmoins, elle a le mérite de répondre de manière assez cohérente et plausible à la plupart des interrogations sur les motivations de l'implication du Rwanda dans la déstabilisation de l'Est de la RDC depuis tant d'années. La "stratégie régionale" du Rwanda n'explique pas à elle seule le chaos congolais, mais si elle se confirme, il est évident qu'elle constitue l'une des "causes profondes" de l'instabilité de l'Est de la RDC. Steve Hege nous démontre que les crises répétitives dans le Kivu ne sont finalement pas un problème congolo-congolais comme on l'entend si souvent, et que le Rwanda a un rôle qui dépasse celui d'un simple sponsor des rébellions. C'est à mon avis une perspective qui doit être prise au sérieux par les congolais s'ils veulent régler la situation.
Quant à la théorie d'un Etat fédéral, l'idée n'est pas mauvaise, au contraire. Steve Hege le rappelle : la constitution de février 2006 a consacré un Etat quasi-fédéral (fortement décentralisé), avec un nombre accru de provinces et d'importantes compétences laissées aux provinces et aux autres entités territoriales décentralisées. Mais le problème réside dans la mise en oeuvre de cette constitution, du fait de l'incompétence et/ou de la mauvaise volonté des dirigeants à Kinshasa, ainsi que du laxisme de la population. Ce qui est inacceptable, c'est une "cooptation" par le Rwanda d'un tel système d'Etat. Et les congolais doivent à tout prix défaire ce piège. Décentralisation, fédéralisme ou autre, ce doit avant tout être une affaire des Congolais eux-mêmes, au gré de leurs intérêts et de leurs aspirations, et non pas une entreprise étrangère. La question reste : est-ce parce que le Rwanda aurait une préférence pour le fédéralisme au Congo que les Congolais doivent le rejeter automatiquement ? Je ne le pense pas. Ce qui est important, c'est que tout ce qui sera fait le soit dans l'intérêt supérieur du Congo et des Congolais, que cela plaise ou déplaise au Rwanda ou à d'autres pays.
Etant donné la propagande que le Rwanda a conduite à son encontre en vue de discréditer les conclusions du Groupe d'Experts, il est fort à parier que certains trouvent dans cette analyse une raison de plus de croire que Steve Hege est un anti-rwandais, un anti-tutsi invétéré, sans nullement essayer de lire objectivement son analyse. C'est trop facile, les préjugés. Je pense pour ma part que l'on devrait s'efforcer de comprendre l'analyse et non l'analyste. Si objectivement on lui trouve quelque reproche, il vaut mieux formuler une antithèse. Autrement dit, donner d'autres réponses, au moins équivalentes en termes de cohérence et de vraisemblance, aux questions auxquelles lui s'est efforcé de répondre.
EXTRAITS :
La stratégie régionale du Rwanda
![]() |
Est de la RDC : se dirige-t-on vers la "solution finale" ? |
Maintenant,
si ce ne sont pas vraiment les réclamations et les demandes liées à l’accord du
23 mars 2009 ou la bonne gouvernance véritable, au développement, aux droits de
l'homme, aux FDLR, aux réfugiés, etc., alors que veut vraiment le Rwanda ?
Malgré
la paranoïa extrémiste de la « balkanisation » qui a été si répandue durant
beaucoup d'années parmi les Congolais traumatisés par des invasions étrangères
multiples, l’une seulement des demandes des rebelles est susceptible de donner
une explication consistance : c'est le fédéralisme.
L’implication
et l'orchestration rwandaises de la rébellion du M23 devient plus
compréhensible quand elles sont comprises comme une démarche déterminée et
calculée pour engendrer la création d'un Etat fédéral autonome à l’Est de la
RDC.
Il y
a eu des spéculations pour savoir si l’implication rwandaise était justifiée
par des intérêts d’ordre sécuritaire, ou ses intérêts économiques, ou des liens
ethniques et culturels, mais un Etat fédéral à l’Est de la RDC résumerait à lui
seul toutes ces questions.
Avant
les élections de novembre 2011, un des plus hauts officiers de renseignement
dans le gouvernement rwandais discutait avec moi plusieurs scénarios possibles
pour la sécession de l’Est du Congo. En reflétant la pensée de beaucoup de ses
collègues, il a affirmé que parce que le Congo était trop grand pour être
dirigé par Kinshasa, le Rwanda devrait soutenir l'apparition d'un Etat fédéral à
l’Est du Congo. « Goma devrait être lié à Kinshasa de la même façon que
Juba a été lié à Khartoum avant l'indépendance de Sud-Soudan », disait-il.
Il
apparaît que ce n'est pas un prétexte ou une justification inventée
postérieurement aux faits qui a causé cette guerre, mais plutôt les objectifs
stratégiques régionaux du Rwanda qui motivent son implication. Toutes négociations
devraient éviter d'autres questions distrayantes, et mettre l'accent sur cet
élément extrêmement important.
Pendant
nos réunions officielles avec le gouvernement rwandais à Kigali en juillet, la
délégation rwandaise a constamment déclaré que notre rapport était simplement
une distraction qui aurait pour effet de ralentir le processus permettant d'atteindre
la solution définitive aux problèmes infinis du Congo. Poussant plus loin,
plusieurs représentants n'ont pas caché le fait que la seule solution qu'ils avaient
à l'esprit était en effet le fédéralisme. Ce n’est pas étonnant car le Rwanda a
ouvertement incité et aidé des sécessionnistes congolais auto-déclarés comme Jules
Mutebutsi, Akim Muhoza et Xavier Ciribanya afin de placer la barre assez haut
dans la démonstration que le fédéralisme est finalement un compromis
acceptable. Le jour où le M23 a pris Goma, les médias rwandais pro-gouvernementaux
ont immédiatement commencé à exiger le « droit à l’autodétermination ».
Pendant
plusieurs réunions internes du M23 pour la mobilisation, de hauts représentants
gouvernementaux, y compris l'assistant spécial du Ministre de la Défense du
Rwanda, ont ouvertement affirmé que l’établissement de cet Etat autonome était réalité
le but fondamental de la rébellion. Plusieurs commandants M23 et alliés me
l’ont aussi confirmé ouvertement, dans les entretiens que j'ai conduits avec
eux en ma qualité de membre du Groupe d'Experts. De nombreux journalistes ont
aussi confirmé que des commandants M23 mettent de plus en plus cet objectif au
sommet de leur ordre du jour. Un porte-parole a récemment exposé à New York
Times : « Nous voulons plus que la décentralisation ; nous
voulons le fédéralisme », ajoutant : « les intérêts de l’Est de
la RDC sont tournés vers l’Afrique de l’Est ».
Même
de hauts responsables de la sécurité ougandais ont reconnu que ceci était le
but des rwandais dans cette guerre du M23. Un officier qui a été impliqué dans
le soutien au M23 en coopération avec les rwandais a déclaré : « Ils
visent grand... Vous n’avez qu’à regarder le Sud-Soudan !». Le fédéralisme
comme objectif permet aussi d’expliquer en partie l’implication de certains individus
au sein du gouvernement ougandais. Si jamais le Rwanda atteignait son but, alors
les ougandais voudraient s’assurer que leurs propres intérêts culturels, sécuritaires
et économiques à l’Est de la RDC ne seront pas menacés.
La
vision fédéraliste profondément enracinée de la part du Rwanda fait partie de
la stratégie géopolitique régionale adoptée par les dirigeants à Kigali. Un Etat
fédéral autonome fédéral à l’Est du Congo cimenterait et garantirait
l'influence déjà vaste du Rwanda sur l'armée, ainsi que dans les aspects
d’ordre politique, économique et culturel, influence semblable à celle
qu’exerce la Syrie sur la partie Sud du Liban. A son grand avantage, depuis les
terribles événements du génocide de 1994, le gouvernement du Rwanda a démontré
une ambition inégalée et beaucoup de détermination à reconstruire son pays, et il
a réalisé des avancées remarquables en matière de développement humain.
Cependant, cette même ambition et cette détermination ont poussé les dirigeants
rwandais à adopter une stratégie géopolitique basée sur la déstabilisation sur
le long terme de l’Est du Congo, en sapant tous les efforts de reconstruction
et de stabilisation de cette région dans l’espoir qu’une instabilité
perpétuelle y engendrerait des réformes radicales de gouvernance.
Cet
objectif explique aussi pourquoi le Rwanda a cherché systématiquement à
dépeindre tous les groupes armés à l’Est de la RDC comme un front uni contre
Kinshasa. Bien que la construction de cette coalition soit beaucoup plus
difficile en pratique, dans nos réunions avec eux, le Ministre rwandais de la
Défense et le responsable de l'armée, ils tous les deux défendu et plaidé pour tous
les groupes armés actifs à l’Est de la RDC, y compris l’extrêmement brutal Raia
Mutomboki.
En
outre, les rwandais ont entrepris des efforts tous azimuts pour dépeindre le
Congo comme « un grand trou noir », jouant sur les représentations coloniales
reprises dans Au Coeur des Ténèbres de
Joseph Conrad, qui traitait l'État congolais de « factice ». Des diplomates
rwandais ont incessamment déclaré que « le Congo était toujours un
désordre, une cause perdue », et insinué qu’un changement structurel
radical était indispensable pour le sauver.
Le choix du moment de la rébellion
La
question suivante serait alors : pourquoi maintenant ?
En
effet, le début de l’année 2012 était un moment propice pour faire une poussée
définitive vers l'objectif stratégique du Rwanda, et ce pour plusieurs raisons.
D'abord,
presque tout le monde, y compris les rwandais, s'attendait à ce qu'après le
processus électoral discrédité de 2011, le chaos et la protestation se
répandraient, non seulement à Kinshasa, mais aussi dans d'autres parties de la
RDC, présentant ainsi une brèche pour l'apparition d’un soulèvement de l’Est
contre Kinshasa.
Comme
Kabila avait tissé des liens avec le Rwanda dans l'intérêt de la paix, il était
devenu dramatiquement impopulaire à l’Est de la RDC, sa base d’autrefois. Le
défi était pour le Rwanda de trouver un moyen de retourner vers Kinshasa l’animosité
envers Kigali, en jouant sur des décennies d’un leadership gouvernemental faible
à l’Est de la RDC. Par-dessus ceci, il y avait un rival politique sérieux en la
personne de Vital Kamerhe, le premier véritable leader d'opposition encré à
l’Est. Kabila faisait maintenant face à deux fronts d'opposition, du fait que l'ouest
lingalaphone qui s’était déjà montré extrêmement hostile à lui, le traitant d’
« imposteur rwandais ». Même dans ce qui restait de bastion de
Kabila, le soutien populaire, dans la période préélectorale, à des mouvements
sécessionnistes, avait augmenté dans la province riche en ressources minières
du Katanga ainsi que dans le Sud-Kivu.
Deuxièmement,
une plus grande stabilité de l’Est de la RDC, après un deuxième mandat présidentiel,
pourrait accélérer le développement des capacités de l’Etat et des institutions
à l’Est du Congo, ce qui aurait pour effet de diminuer progressivement les chances
d'une poussée dans le sens de la réforme radicale de la gouvernance. En outre,
les rwandais redoutent que les Congolais n’adoptent des mesures d'indépendance
économique de l’Est de la RDC par, par exemple, l'établissement d'une fonderie de
minerais à Kisangani, qui orienterait radicalement loin du Rwanda le commerce des
minerais du Kivu.
"La
lassitude vis-à-vis du Congo" parmi la communauté des donateurs, qui
paient annuellement une lourde facture pour MONUSCO, est aussi l’une des raisons
pouvant justifier la proposition de solutions radicales et définitives pour
l’Est du Congo. En reflétant ce sentiment, un diplomate occidental m'a demandé
sincèrement, au milieu de la crise : « Après tant d'années de
violence, l’Est du Congo est-il vraiment une entité viable ? Peut-être devrions-nous
commencer à penser à des solutions plus radicales et durables pour cette région
». Ce sentiment de désespoir pour le Congo atteint de tels niveaux que récemment,
le New York Times a publié une libre tribune préconisant de « laisser ce
pays se disloquer ».
Quatrièmement,
avant le M23, il y avait eu de plus en plus de volonté de ne plus tolérer les
abus et l’impunité de Bosco Ntaganda, ainsi qu’une pression plus grande pour
limiter la chaîne de commandement parallèle des ex-CNDP. Si Ntaganda venait jamais
à être arrêté, comme l’exigé par des organisations de défense des droits de
l'homme, cela aurait significativement diminué l'influence rwandaise et sa
puissance militaire à l’Est de la RDC. En outre, après que quinze ans, les cycles
infinis d'intégration d'anciens rebelles sont de moins en moins acceptables,
rendant ainsi plus essentiel la réalisation plus tôt que plus tard, de l'ultime
objectif.
De
plus, beaucoup d'anciens officiers CNDP résistent avec véhémence à tout effort
de la part gouvernement congolais à les redéployer en dehors du Kivu, et règnent
sur des mafias et des réseaux de rançonnage. Ceci a inévitablement concilié les
divisions latentes parmi les commandants Tutsi formant un front commun désirant
marcher avec le Rwanda pour protéger leurs propres intérêts personnels
d'affaires, malgré les dispositions précédentes de certains d’entre eux à
soutenir des dissidents rwandais comme le Général Kayumba Nyamwasa.
Finalement,
le rôle des Rwandais dans le processus d'intégration de l'ex-CNDP leur a fourni
une occasion particulière de se placer comme des faiseurs de paix dans une
telle crise, de sorte qu’ils pourraient insister pour l'adoption d'une solution
préconçue, comme le fédéralisme. Dès le début de cette crise, le Rwanda a
réclamé à cor et à cri « des négociations politiques sur la gouvernance »,
je pense pour ces raisons-ci.
Implications sur les négociations
Alors,
qu'est-ce que tout ceci peut bien signifier pour les négociations en
cours ? Si les aspirations
géopolitiques du Rwanda sont si ambitieuses, que peut-on donc attendre des
négociations, particulièrement quand il a manifesté ces dernières semaines
qu'il avait le dessus sur le champ de bataille ? Si l’on aborde pas la question
du fédéralisme, toutes les autres questions pourraient être résolues, mais la
probabilité que la guerre baisserait semble être très insignifiante, si le
fédéralisme est réellement l'objectif principal du Rwanda. Beaucoup
d'observateurs n’ont de cesse d’appeler à identifier et résoudre les causes profondes
des cycles de violence à l’Est de la RDC, mais font peu mention des objectifs
stratégiques du Rwanda à l’Est de la RDC, en eux-mêmes, comme constituant une cause
première. Pour sa part, Kabila se sent en position de force s’il s’agit de
négocier juste l’accord du 23 mars, mais les pourparlers vont inévitablement
échouer tant que la question du fédéralisme n’est pas placée au centre de l’agenda.
Le
Rwanda a soutenu que ses intérêts nationaux sont mieux servis par la stabilité
régionale et à travers le commerce frontalier avec l’Est de la RDC. C’est certainement
le cas à long terme, mais s'ils parviennent vraiment à réaliser un Etat fédéral
autonome à l’Est du Congo à court terme, malgré la grande instabilité, d'un point
de vue stratégique, ceci vaudra plus qu'une indemnisation pour la perte d'un
peu d'aide de la part de donateurs.
Cette
conclusion suscite plusieurs questions. Le fédéralisme sera-t-il vraiment
négociable à Kampala, ou jamais ? Les Etats-Unis d’Amérique et d’autres
Etats au sein de la communauté internationale vont-ils soutenir la solution du
fédéralisme pour l’Est de la RDC, sachant bien que cela est en premier lieu l’objectif
du Rwanda ?
Le
Rwanda sera-t-il récompensé pour sa persistance ? Comment la naissance d’un
Etat fédéral conduite de l’étranger, s’arrêtant juste au bord d’une sécession
pure et simple, pourrait-elle être considérée internationalement comme légitime
? Des négociations objectives peuvent-elles se pencher sur pareille question,
pendant qu’elles sont conduites par le Rwanda et l’Ouganda ? Les exemples
du Sud-Soudan et du nord du Mali peuvent-ils avoir un impact sur les
discussions ? En général, des diplomates soutiennent que le Rwanda peut et
doit faire partie d’une solution. Les rwandais aussi se plaignent incessamment d’être
pointés du doigt et soutiennent qu’ils font partie, non pas du problème, mais de
la solution à la crise actuelle. Encore faut-il connaître la solution en
question !
"La
solution" à cette crise semble avoir été identifiée avant que les
premières balles n'aient été tirées. Le Rwanda savait quelle solution il voulait
proposer et avait besoin pour cela d'orchestrer une crise qui serait assez étendue
pour justifier une telle solution. Lorsque l'Etat congolais et ses forces de
sécurité se sont bien défendus et ont battu l’originel ex-CNDP, les rwandais
ont dû intervenir ouvertement pour conduire plus directement la crise, défiant
la pression internationale au moment où leur implication devenait extrêmement
évidente.
En
prenant un peu de recul par rapport aux dynamiques actuelles, le fédéralisme en
lui-même est plutôt une bonne proposition, mais lorsqu’il est téléguidé par un
Etat voisin qui devrait en profiter énormément, le moins qu'on puisse dire c’est
que le fédéralisme peut être problématique. Il devrait naître à partir d’un débat
politique démocratique à l’intérieur de la RDC et exclusivement entre les Congolais,
et non pas à travers des négociations politiques orchestrées et facilitées par
le Rwanda et certains de ses alliés en Ouganda.
La
communauté internationale semble vouloir escamoter l’implication du Rwanda et
les terribles charges de violation de droits de l’homme de la part de certains
de commandants du M23 en vue d’aider à l’obtention d’une solution hâtive de « cessez-le-feu »
et interrompre immédiatement l’énorme coût humanitaire de cette guerre. Surtout
maintenant que le Rwanda a montré qu'il déploiera constamment ses troupes de l’autre
côté de sa frontière pour s’assurer que le M23 garde un avantage militaire sur
le front. Sur le plan militaire, l’armée congolaise a prouvé être plus que
capable de défaire les véritables mutins, mais depuis que le Rwanda a établi le
M23 et a déployé de façon répétitive sa propre armée aux côtés des mutins, la
solution militaire semble être exclue. Bien plus, la MONUSCO a montré qu’elle
ne voulait pas déployer ses troupes pour affronter des armées étrangères.
Maintenant
que le M23 s’est repositionné au nord de Goma dans le but de peser sur les
négociations, il est à douter que le Rwanda acceptera à nouveau une stratégie du
genre « sortir pour sauver la face » comme en 2009. Le Rwanda est
déterminé à gagner. Ils sont conscients que ceci pourrait bien être leur
dernière chance. Ainsi, le Rwanda pourrait poursuivre sa guerre jusqu’à ce qu’il
ait obtenu ce qu’il désire réaliser. Les coûts sont déjà trop importants pour
le Rwanda pour qu’aujourd’hui il se contente de quoi que ce soit d’inférieur à
son ultime objectif.
CONCLUSION
Au tournant
actuel, la question clé devrait être ce que sera la solution que le Rwanda considérera
comme suffisante pour accomplir son objectif stratégique, et qui pourrait
laisser une fenêtre ouverte pour renverser progressivement ses progrès vers
ledit objectif qui passent par le renforcement de l'indépendance de l'Etat à l’Est
de la RDC.
Plus
d'intégration économique régionale pourrait-elle satisfaire le Rwanda à court
terme ? L'intégration régionale est objectivement très positive, mais il doit
être basé sur des États en position égale et se respectant mutuellement.
L'histoire récente prouve que tenir compte de l'intégration économique sans commencer
par construire l’Etat congolais, dont les dirigeants ont la première responsabilité,
ne dissuadera pas le Rwanda de poursuivre son but stratégique. Le "rapprochement"
en 2009 entre la RDC et le Rwanda a été internationalement loué parce qu'il a
ouvertement reconnu et accepté la réalité de l'influence rwandaise dans les
Kivus. La logique était que si le Rwanda était autorisé d'établir, à travers la
frontière, des projets économiques de manière ouverte et transparente
(au-dessus de la table), il ne devrait plus manœuvrer dans l’ombre (sous la
table). Cependant, les stratèges rwandais ont probablement vu ces initiatives
comme des tremplins vers l'accomplissement de leur objectif ultime et non comme
son aboutissent.
Par
conséquent, si le fédéralisme est en effet l’enjeu majeur, alors il y a un
besoin clair d'un processus qui examine la décentralisation comme une
alternative. La décentralisation est prévue dans la Constitution congolaise, qui
prévoit aussi l'extension du nombre des provinces. Potentiellement, un accord
négocié qui accélérait le processus de décentralisation en faisant apparaître cette
dernière comme menant au vrai fédéralisme pourrait constituer un compromis
raisonnable. C’est cela, si nous sommes enclins à accepter qu'il n'y a aucune
option réelle militaire qui dissuadera définitivement la détermination du
Rwanda à parvenir à ses buts. Cependant, un processus par lequel l'État congolais
n'est pas créé d'abord et ensuite déconcentré en ses diverses provinces avec
des institutions autonomes pourrait produire des résultats désastreux. Ainsi,
le défi majeur, dans un tel compromis serait l'accompagnement proche d'un tel
processus de décentralisation par les donateurs, en vue d’isoler des
institutions locales initialement faibles d’une quelconque influence externe ou
d’une cooptation.
En
outre, en RDC n'importe quel processus de décentralisation doit également
prioriser le renforcement de l’effectivité du gouvernement dans tout le pays.
La grande majorité des Congolais à l’Est de la RDC s’identifient fortement au Congo
comme seule nation. La plupart ne veulent pas que leur propre gouvernance soit une
affaire des Etats voisins. Ils veulent que Kinshasa dirige l’Est du Congo de
façon proactif, impartiale, efficace et avec un équilibre respectueux.
Un
autre aspect important de la dissuasion contre la cooptation rwandaise d'un
processus congolais de décentralisation serait de mettre progressivement en
place à grande échelle des projets d’infrastructures et des projets industriels
devant, à court terme, améliorer à l’indépendance économique de la RDC vis-à-vis
de ses voisins. Un exemple de ce type de projets serait la rénovation de
l'aéroport de Goma et sa mise aux standards internationaux, de sorte à permettre
un mouvement libre et direct des marchandises et des personnes de l’Est de la
RDC vers les principaux centres commerciaux du globe.
Avec
le temps, le Rwanda pourrait atteindre un point de basculement où ses
motivations économiques commenceraient à favoriser un traitement de la RDC sur
un même pied d’égalité, comme c’est le cas avec ses autres voisins tels que le Kenya
ou la Tanzanie. Bien que cela ne résoudrait pas les préoccupations du Rwanda
sur les aspects culturels et sécuritaires, aborder le problème d’un point de
vue économique pourrait permettre, à terme, de remodeler la stratégie géopolitique
du Rwanda dans la région des grands-lacs.
En somme,
le meilleur scénario possible pour la situation délétère actuelle c’est, pour
la RDC, de saisir les négociations en cours pour adresser de front le désir du
Rwanda d'un Etat fédéral à l’Est du Congo en convainquant Kigali qu'il peut
réaliser cela en se servant de la législation congolaise préexistence en
matière de décentralisation. Alors, la communauté internationale doit soutenir solidement
les institutions centrales et provinciales et l'infrastructure économique de la
RDC en vue d’atténuer lentement l’encombrant contrôle et l’intervention externes.
Les élections locales, qui avaient été prévues pour cette année, pourraient
fournir le cadre pour de telles discussions (...)".