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dimanche 13 mai 2012

Ma lettre ouverte à Monsieur l'Ambassadeur Jean-Michel Dumond, Chef de Délégation de l'UE à Kinshasa au sujet du financement de la reconstruction des routes de Goma

                                                                                                          Goma, le 12 mai 2012


RECONSTRUIRE LES ROUTES DE GOMA, OUI.
MAIS A QUEL PRIX ?  

Lettre ouverte adressée à l’Ambassadeur Jean -DUMOND,
Représentant de l’Union Européenne en République Démocratique du Congo
Et à toutes les Missions diplomatiques européennes accréditées à Kinshasa


Excellence Monsieur l’Ambassadeur,

            En ma modeste qualité de citoyen, d’avocat et de militant engagé pour les causes de la démocratie, de la bonne gouvernance et des droits humains dans mon pays, la RDC, je me donne la liberté de vous adresser la présente, en vue de vous faire part d’une préoccupation que je tiens pour légitime et pertinente, au sujet du projet de reconstruction de la voirie urbaine de Goma ; préoccupations que je suis convaincu de partager avec des milliers de mes concitoyens silencieux, ou plutôt désorientés.

Mon but n’est autre que de vous interpeller, et à travers vous, interpeller l’ensemble des partenaires internationaux de la RDC, sur la nécessité de contribuer à mettre fin à la corruption et aux détournements qui gangrènent le pays et hypothèquent toute chance de son développement, et dont la victime principale est une population laissée pour compte, sans voix ni défense.

Lors de votre dernier séjour à Goma, au mois de mars, vous avez annoncé que l’Union européenne allait financer la reconstruction de quelque trente kilomètres de routes dans la ville de Goma, à partir de l’automne prochain. Votre annonce n’a pas manqué de satisfaire les habitants de Goma, dont moi-même, et à juste titre, parce que Goma est pratiquement une ville fantôme qui manque cruellement de routes – entre autres choses –, malgré son statut de capitale provinciale, son dynamisme économique, et le fulgurant accroissement de sa démographie au cours de la dernière décennie.

Cependant, comme vous le savez probablement, le gouvernement de la RDC avait déjà lancé les travaux de rénovation de la même voirie urbaine de Goma, il y a de cela plus d’une année. L’entreprise chinoise présentée comme devant exécuter lesdits travaux avait promis de les achever au mois de février 2012. Mais depuis, seuls deux ou trois kilomètres ont été refaits (abstraction faite de leur qualité). Goma est devenue invivable et sa population se meurt entre, selon les temps, une abominable nuée de poussière, la boue et les secousses des pistes qui n’ont plus rien de routes, hormis le nom. Les conséquences de cette situation sur le million d’habitants de Goma sont graves et irréversibles, sur le plan aussi bien économique que sanitaire.   

Maintenant que vous allez financer la réfection de ces routes, le calvaire de Goma va peut-être connaître son dénouement. Mais il n’en va pas de même des raisons qui ont poussé à l’enlisement des travaux entrepris par le gouvernement. Car tout gouvernement a bien un budget de ses dépenses et de tous ses revenus. Logiquement, s’il a lancé les travaux de la voirie urbaine de Goma, c’est qu’il y avait bien dans les caisses de l’Etat, de l’argent à cette fin. Et lorsque l’on sait ce qu’il en coûte d’asphalter un kilomètre de route, on est en droit d’induire que pour la première phase des travaux qui devait porter sur dix kilomètres (indication du Gouverneur de province du Nord-Kivu lors du lancement des travaux, en février 2011), il y avait quelque 10 millions de dollars de disponibles. D’ailleurs, des responsables gouvernementaux ont eu plusieurs fois à affirmer cette disponibilité des fonds.  

C’est bien louable de voler au secours de la population de Goma. Mais ce sera encore plus louable de votre part d’exiger et d’obtenir du gouvernement congolais (au niveau national ou provincial, peu importe) qu’il explique à la population de Goma ce qu’il est advenu des fonds préalablement destinés à ces travaux pour qu’aujourd’hui ils ne soient pas terminés, ne serait-ce que dans leur première phase. A plusieurs occasions, certaines gens (les étudiants, les motards, les commerçants, la société civile, ….) ont eu à poser la question. Mais lorsque le gouvernement ne répondait pas par la violence et des intimidations, l’on  a assisté à des rejets réciproques de responsabilité entre les exécutifs provincial et national, qui n’a fait qu’entretenir la confusion. Au mieux, la population a eu droit à des promesses répétées, mais toujours irréalisées, que les travaux seraient continués « incessamment ». Quant à l’entreprise TRAMENCO censée exécuter les travaux, il faut dire qu’elle n’a jamais semblé avoir les compétences matérielles et humaines nécessaires, et qu’elle a été sélectionnée on ne sait à la discrétion de qui et suivant quelle procédure de passation de marché public.  

Monsieur l’Ambassadeur,

Par expérience, il y a des raisons sérieuses de penser que l’argent du contribuable congolais destiné par le gouvernement à l’exécution de ces travaux de la voirie de Goma a tout simplement été détourné, comme cela est malheureusement fréquent en RDC. La population de Goma, dont je me fais l’agréable devoir d’être l’avocat a besoin de connaître toute la vérité dans cette affaire. L’opacité dans la gestion des fonds publics, la corruption, la prévarication et les détournements sont tellement courants et banalisés dans notre pays qu’il n’est guère exagéré de les soupçonner ici encore.

S’il a pu y avoir détournement ou corruption à quelque niveau que ce soit, il faut que le(s) responsable(s) en répondent devant le peuple, par le truchement de la justice.  

Je suis convaincu que vous ne voudrez pas donner à nos autorités l’impression qu’elles peuvent gérer comme bon leur semble l’argent du Trésor public, et que vous serez toujours là pour compenser leur irresponsabilité, avec l’argent du contribuable européen, lui-même soumis à de rudes épreuves par le temps qui passe.

            Nous avons, nous aussi, une aspiration légitime à la démocratie, à la bonne gouvernance, à la justice, et à toutes ces valeurs qui fondent les républiques modernes. Nous avons besoin de la solidarité internationale, mais d’une solidarité qui nous responsabilise et nous aide à demander des comptes à ceux qui nous gouvernent. Nous sommes reconnaissants de l’aide précieuse que nous prodiguent nos frères et nos sœurs de l’Europe et d’ailleurs, mais savent-ils vraiment combien de leur argent sert réellement les causes auxquelles ils croient, sans parachuter dans les poches de quelques individus qui n’ont pour leur peuple que le mépris et l’insouciance ?

            (Re)financer ces travaux en escamotant de faire toute la lumière sur le sort des fonds qui y étaient prédestinés serait comme danser sur la musique de ceux qui pourraient les avoir détournés ; ce serait comme cautionner, aux yeux des habitants de Goma, la mauvaise gouvernance et le manque de transparence des autorités, et en définitive être leurs complices ; ce serait enfin accepter de perdre des millions de dollars qui auraient pu servir à faire autre chose. Par contre, votre pression en faveur de la transparence dans ce dossier consolidera la prise de  conscience de la population et la responsabilisation des autorités.    
           
            Ne doutant pas de la sincérité de votre vœu à  accompagner la République Démocratique du Congo parvienne sur la voie de bonne gouvernance et du développement ; conscient aussi que vous soutenez le peuple Congolais, et non pas seulement ses dirigeants parfois immérités, j’ose croire que mon appel ne vous laissera pas indifférent.

            Je vous remercie d’avance de votre attention et de votre diligence et vous prie de croire, Excellence Monsieur l’Ambassadeur, à l’assurance de ma considération très distinguée.




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