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vendredi 23 novembre 2012

"James Kabarebe à la tête de la chaîne de commandement du M23". Résumé du rapport final du Groupe d'Experts de l'ONU, rendu public le 21 novembre 2012

Le Conseil de sécurité a des responsabilités dans ce qui arrive/ra en RDC
Le rapport final du groupe des experts des Nations unies a été finalement publié officiellement (sur le site Internet du Conseil de sécurité) le mercredi 21 novembre 2012. Auparavant, il avait fait l'objet de fuite dans la presse, peu avant l'élection du Rwanda comme membre non permanent du Conseil de sécurité des Nations unies.
 
Mis en place pour surveiller le respect de l’embargo sur les armes, le Groupe des Experts a été chargé par le Comité des sanctions des Nations Unies, d’enquêter sur l’achat de matériel militaire par les groupes armés opérant en République Démocratique du Congo, sur les réseaux financiers qui y sont associés, ainsi que sur leur participation à l’exploitation et au commerce des ressources naturelles. Le Groupe a aussi pour mandat de collecter des données à ce sujet. 

Le 18 mai 2012, le Groupe a saisi le Comité des sanctions d’un rapport intérimaire; suivi, le 26 juin 2012, d’un additif sur les violations par le Gouvernement rwandais de l’embargo sur les armes et du régime des sanctions. Il a également présenté au Comité la réponse circonstanciée qu’il a apportée aux réfutations que le gouvernement rwandais avait formulées à cet égard. 

Son rapport final, transmis au président du Conseil de sécurité depuis le 12 novembre dernier, mais qui n'a été rendu public qu'au lendemain de la prise de la ville de Goma par le M23 (hasard de calendrier ?) met en évidence le soutien constant et substentiel du Rwanda et de l’Ouganda à la rébellion du M23. En toute logique, l’on devait donc s’attendre à des sanctions du Conseil de sécurité des Nations unies contre toutes les parties mises en cause dans ce rapport. Sauf que la logique n'est pas le fort des Nations unies et de la diplomatie internationale.

La Charte des Nations unies confère au Conseil de sécurité l charge principale du mintien de la paix et de la sécurité internationales. La communauté internationale est de nouveau placée devant ses responsabilités. Elle peut décider, pour une fois, d'anticiper les événements et d'empêcher que le sang des congolais continue de couler; que la sécurité et la stabilité de la RDC et de la région soient assurées. Elle peut aussi, par contre, faire comme elle a toujours fait, et laisser pourrir la situation, pour faire semblant de le regretter plus tard (souvenez-vous du Rwanda, en 1994). Le fait pour elle de continuer à éviter d'évoquer clairement et explicitement le Rwanda (ne serait-ce que cela !) me fait craindre que le monde, en particulier les nations puissantes, ne veulent pas admettre la gravité de ce qui se passe en RDC et agir en conséquence. Lors de la récente réunion du Comité des sanctions, celui-ci s'est contenté de condamner formellement Sultani Makenga, une décision aussi impertinente que ridicule, qui est loin d'influer sur le cours des choses. D'ailleurs, il n'a pas mis deux semaines, après ces soi-disant sanctions, pour marcher sur Goma. Aujourd'hui encore, j'entends avec agacement des personnalités demander au M23 de se retirer de Goma et de "déposer les armes de façon permanente", comme on s'adresserait à un enfant docile. Où est la raison ? Où est donc l'humanité ?

Ci-après, le résumé officiel de ce rapport. (Les mises en évedence sont le fait de l'auteur du blog): 

L’Est de la République démocratique du Congo demeure la proie de dizaines de groupes armés congolais et étrangers. L’instabilité s’est accentuée depuis la mutinerie d’anciens membres du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) et la création subséquente, cette année, du Mouvement du 23 mars (M23). Les rebelles ont, en juillet 2012 et avec une aide considérable de l’étranger, étendu leur emprise sur le territoire de Rutshuru et ils ont récemment profité d’un cessez-le-feu informel pour consolider leurs alliances et pour faire mener par des supplétifs des opérations dans d’autres zones.

Le Gouvernement rwandais continue de violer l’embargo sur les armes; il fournit directement une aide militaire aux rebelles du M23, facilite le recrutement de combattants pour le compte du Mouvement, incite et facilite la désertion de soldats des forces armées congolaises, fournit au M23 des armes, des munitions et des renseignements, et le conseille sur le plan politique. La chaîne de commandement de facto dont fait partie le général Bosco Ntaganda a à sa tête le général James Kabarebe, ministre rwandais de la Défense.

Après la publication de l’additif à son rapport intérimaire (S/2012/348/Add.1), le Groupe s’est entretenu avec le Gouvernement rwandais et a pris en considération sa réponse écrite, mais il juge qu’aucun élément fondamental des constatations qu’il a faites antérieurement ne mérite d’être modifié.

De hauts responsables ougandais ont également prêté appui au M23 : renforts militaires en RDC, livraison d’armes, assistance technique, planification commune, conseils d’ordre politique et appui dans les relations extérieures. Des unités des forces armées ougandaises et des forces armées rwandaises ont conjointement porté appui au M23 lors de la série d’attaques que le Mouvement a lancées en juillet 2012 pour s’emparer des principales villes du Rutshuru et bouter les forces armées congolaises hors du camp de Rumangabo. Les deux États, qui ont toujours défendu la cause des rebelles, ont également coopéré pour favoriser la création et l’expansion de la branche politique du M23. Le M23 et ses alliés comptent six personnes faisant l’objet de sanctions internationales, dont certaines résident en Ouganda ou au Rwanda, ou s’y rendent régulièrement.

Profitant d’une accalmie sur les lignes de front officielles, le M23 a cherché à constituer des coalitions avec d’autres groupes armés dans les deux provinces du Kivu ainsi que dans le district d’Ituri et au Kasaï Occidental. Le colonel Sultani Makenga s’est affirmé comme étant le « coordonnateur » des groupes armés alliés du Mouvement. En août et septembre, il a donné l’ordre aux Raia Mutomboki de lancer des attaques meurtrières motivées par des considérations d’ordre ethnique, qui se sont soldées par l’incendie de plus de 800 habitations et la mort de centaines de civils issus des communautés hutues congolaises de Masisi, dont les milices avaient refusé de s’allier au M23.

L’exploitation et le recrutement d’enfants soldats par des groupes armés, notamment le M23, se sont amplifiés. En particulier, plusieurs commandants du M23 connus pour avoir déjà recruté des enfants ont supervisé le recrutement et la formation de centaines de jeunes garçons et de jeunes filles. En outre, certains commandants du M23 ont ordonné l’exécution sommaire de dizaines de recrues et de prisonniers de guerre.

Les nombreuses tentatives du M23 de forger un front commun avec les groupes armés des ethnies hema et lendu, en Ituri, ainsi qu’avec les Banyamulenge du Sud-Kivu se sont heurtées à une forte résistance. Pour contrer les alliances souhaitées par le M23, le Gouvernement congolais s’est employé à favoriser l’intégration de groupes armés, notamment en Ituri et au Masisi.

Alors que leurs effectifs sont au plus bas, les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), qui continuent cependant à commettre des exactions contre les populations civiles, reçoivent encore moins d’appui de l’extérieur qu’auparavant. Elles s’emploient essentiellement à résister aux attaques des forces armées congolaises et des alliés du M23. Des officiers subalternes des FDLR ont cherché à s’allier avec le gouvernement congolais contre le M23 et certains réseaux criminels des forces armées congolaises continuent de leur vendre des munitions en petites quantités. Cependant, il n’existe pas de preuve d’une coopération stratégique entre les FDLR et le Gouvernement congolais.

En ce qui concerne les groupes rebelles burundais, les Forces nationales de libération (FNL) restent divisées et font appel à des groupes armés congolais sur le terrain, tandis que le Front national pour la révolution au Burundi se dénomme désormais Front du peuple murundi (FPM) et s’est allié au M23 dans le Sud-Kivu.
Les Forces démocratiques alliées (FDA), sous contrôle ougandais, ont renforcé leurs moyens militaires en coopérant avec la mouvance Al-Chabab en Afrique de l’Est.

Les forces armées congolaises continuent d’être la proie de réseaux criminels qui permettent aux officiers supérieurs de s’enrichir par l’emprise sur les ressources naturelles et la contrebande, notamment par le trafic d’ivoire mené par des groupes armés. Le général Gabriel Amisi, chef d’état-major des forces terrestres, contrôle un réseau de distribution de munitions de chasse à des braconniers et des groupes armés, dont les Raia Mutomboki. 
Le désarmement et la gestion des stocks d’armes sont également entravés par la progression de la demande d’armes en rapport avec le M23 : sur le marché des armes légères, les prix ont été multipliés par quatre.

L’application des directives du Gouvernement congolais enjoignant aux exportateurs de minerai d’exercer leur devoir de diligence conformément aux lignes directrices de l’ONU et de l’Organisation de coopération et de développement économiques a quasiment mis un terme aux exportations d’étain, de tantale et de tungstène en provenance de l’est de la RDC; seules les exportations en provenance du nord du Katanga, où l’origine des minerais est certifiée depuis 2011, se poursuivent.

La contrebande vers le Rwanda et le Burundi est en progression. La crédibilité du système rwandais de certification des minerais est menacée par le blanchiment de produits miniers congolais, les certificats d’origine étant couramment vendus par les coopératives minières. Plusieurs négociants ont financé le M23 au moyen des bénéfices qu’ils tirent de la contrebande de minerais d’origine congolaise au Rwanda. Alors que la production de minerai d’étain a régressé dans les Kivus, celle de minerai de tantale et de tungstène se poursuit malgré la certification exigée par la communauté internationale, ces deux produits étant plus faciles à exporter en contrebande. Les exportations rwandaises de tantale et de tungstène ont donc progressé d’autant en 2012, tandis que celles d’étain ont reculé.

La baisse des cours et le recul de la production ont eu, dans certains bassins miniers, des incidences préjudiciables sur le plan socioéconomique. Toutefois, de nouveaux débouchés sont apparus là où ces bassins se sont adaptés à d’autres secteurs de l’économie. La sécurité s’est améliorée dans la plupart des grands bassins d’extraction de l’étain et du tantale, de sorte que le financement des conflits s’y est amenuisé, et la surveillance ainsi que les contrôles exercés par les autorités civiles et les organisations non gouvernementales s’y sont approfondis.

Les groupes armés, les réseaux criminels des forces armées congolaises et les mineurs se déplacent aisément vers les bassins aurifères, où le devoir de diligence n’a pas eu d’incidences sur les échanges. Le minerai d’or extrait dans l’Est de la RDC est en quasi-totalité exporté en contrebande; quelques grands négociants de Kampala et de Bujumbura en réexportent ainsi plusieurs tonnes par an, qui représentent des centaines de millions de dollars des États-Unis. La plus grande partie de l’or d’origine congolaise qui se retrouve dans les Émirats arabes unis est fondu et revendu à des bijoutiers. Le gel des avoirs imposé par le Conseil de sécurité n’a en rien entravé les opérations de l’ancien propriétaire de l’entreprise Machanga Ltd.; en effet, bien que visé par les sanctions, il continue d’exporter sa marchandise par le biais de sociétés-écrans, et à transférer d’importantes sommes d’argent à ses fournisseurs en RDC.


L'intégralité de ce rapport peut être trouvé sur le site internet du Conseil de sécurité : http://www.un.org/sc