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jeudi 16 août 2012

Insécurité à l’Est de la RDC : comme si Kinshasa n’avait rien appris de ses erreurs…

L’insécurité qui sévit actuellement à l’Est de la République Démocratique du Congo est le résultat d’une suite d’erreurs et de maladresses commises par les gouvernements successifs à Kinshasa, depuis l’époque de Mobutu : d’abord la mauvaise gestion des crises identitaires dans cette partie de la République (en particulier la question des Congolais d’expression Kinyarwanda, et des Tutsi plus particulièrement) ; ensuite l’entrée massive et permissive sur le territoire du Zaïre de l’époque des ex Forces armées rwandaises et des Interahamwe, avec leurs armes et munitions ; et enfin – comble des bêtises – l'intégration au sein des Forces Armées de la RDC (les FARDC) des miliciens issus d’une multitude de rébellions et de groupuscules armés, à travers des procédés ridicules comme le « brassage », « mixage », et que sais-je encore…

Au premier plan, le Général Bosco Ntaganda
Cette intégration qui s’est accompagnée de l’octroi désordonné et irrationnel de grades à des miliciens sans aucune formation militaire classique, parfois analphabètes, selon l’unique critère de leur degré de nuisance réelle ou supposée, ou à mesure de leur barbarie. Dans le cas des miliciens du CNDP dont l’actuel soi-disant Mouvement du 23 mars n’est que la régénérescence, les unités « intégrées » ont gardé une large autonomie à la fois financière (avec des réseaux d’exploitation de ressources minières et des recettes générées par des administrations parallèles dans leurs anciens fiefs) et de commandement. Elles ont été déployées dans les zones où elles ont éclos et sévi, et les crimes qu’elles avaient commis, y compris des crimes internationaux, sont restés impunis « au nom de la paix ».

Cet état des choses peut trouver diverses explications de tous ordres, mais les plus importantes me semblent être au nombre de trois, mais elles sont très imbriquées l’une l’autre :
1°.    La mauvaise gouvernance, les atteintes à la démocratie et le non-respect des engagements, ce qui donne souvent aux revendications des groupes armés une certaine légitimité, ne serait-ce qu’en apparence ;
2°.    L’incapacité des gouvernants, en tous temps, de faire un diagnostic des racines du problème afin d’y apporter les remèdes les mieux appropriés et qui soient pérennes ;
3°.    Et enfin la mauvaise négociation de la paix – qui est elle-même due à plusieurs facteurs dont l’incapacité d’anticiper ou prévenir les problèmes, le manque de maîtrise des enjeux nationaux et régionaux, voire internationaux, le report des solutions durables car difficiles (tentation de la facilité et vision court-termiste des choses), la faiblesse de l’armée ou du gouvernement, etc.          

Avec le M23, c’est reparti les erreurs !

Face à la crise sécuritaire générée par le M23, le gouvernement congolais ne semble pas avoir tiré quelque leçon que ce soit de ses erreurs du passé. Pour commencer, entre autres faits, il a obstinément refusé d’arrêter Bosco Ntaganda et de le transférer à la Cour pénale internationale où il est recherché depuis 2006 ; il l’a au contraire gratifié d’un grade d’officier de haut rang au sein des FARDC, ainsi que d’une fonction dans son fief du Kivu, au commandement de ses loyaux soldats et frères du CNDP. Il a géré avec beaucoup de légèreté l’affaire Laurent Nkunda, dont il disait pourtant vouloir l’extradition. Au début de la guerre, alors que tous les signaux étaient portés au rouge par les acteurs de la société civile, le gouvernement a minimisé, tenté de boucher les yeux et les oreilles : il parlait d’une vulgaire indiscipline de quelques officiers des FARDC, puis d’une mutinerie qui allait être vite maîtrisée, ... Et enfin, lorsque Human Rights Watch et la MONUSCO ont évoqué le soutien du Rwanda à cette « mutinerie », le gouvernement a mis des semaines avant de l’admettre. Il paraît que c’est sa stratégie à lui, la façon de faire d’un « gouvernement responsable », d’après son tonitruant porte-parole…  N’est-ce pas de bon aloi pour un fainéant de proclamer que son choix est de ne pas être brave !

Soldats de la MONUSCO embarquant
à bord d'un hélicoptère
A présent, le pire est entrain d’être commis avec l’idée aussi fantastique qu’insensée de mettre en place une « force internationale neutre » qui mettrait fin à la rébellion du M23 ainsi qu’à tous les autres groupes armés qui pullulent à l’Est de la RDC. Erreur dans la conception-même de l’idée, dans sa mise en œuvre, et dans les résultats qu’on dit en attendre.

En effet, le gouvernement congolais clame haut et fort que le M23 n’est autre chose que la manifestation d’une Nième agression étrangère (rwandaise spécialement, mais aussi ougandaise), et que la RDC est victime d’un complot ourdi de balkanisation, de pillage de ses ressources, et que sais-je encore. Il s’appuie pour ce faire sur le rapport du panel des experts des Nations Unies ainsi que sur différents rapports des organisations de la société civile. Même si la communauté internationale ne semble pas approuver la thèse d’un quelconque projet de balkanisation ou d’annexion, elle a néanmoins reconnu plus ou moins explicitement l’implication du Rwanda dans cette rébellion, et certains pays ont posé des gestes concrets dans le sens de décourager les ardeurs du Rwanda.

En même temps, pourtant, Joseph Kabila et son gouvernement semblent comme obsédés par la volonté de collaborer coûte que coûte avec leurs agresseurs désignés pour juguler la rébellion qu’ils sont censés soutenir : A Addis-Abeba c’étaient Kabila et Kagame pour entériner la décision de déployer une « force internationale neutre »à l’Est de la RDC ; à Kampala, c’étaient encore eux, sous l’égide d’un certain Yoweri Museveni, pour discuter de la matérialisation de leur absurde projet ; à Goma, c’est Kabarebe et ses collègues ougandais, congolais et autres qui discutent de l’opérationnalisation de la fameuse force. Et alors que le Rwanda est farouchement opposé à ce que MONUSCO fasse office de cette force neutre, ou même à ce qu’elle y participe, le Secrétaire Exécutif de la CIRGL, Monsieur Ntumba Luaba (un Congolais !) a annoncé hier qu’il avait été acquis que la « force internationale neutre » serait composée essentiellement de pays des grands-lacs et de pays africains. Probablement une manière de préparer l’opinion à s’accommoder déjà à l’adoption des desiderata du Rwanda qui allaient plutôt dans ce sens.

Incohérences et illogismes

Militaires rwandais et congolais
lors de la clôture des opérations Umoja Wetu en 2009
La RDC est le seul Etat du monde qui formule à l’endroit d’un autre Etat des accusations aussi graves que celles d’agression (« Nième agression » !) et de d’une « tentative de balkanisation », mais maintient intacts ses relations diplomatiques avec cet Etat. A Kinshasa on a beau tirer à boulets rouges sur le Rwanda, sur Kagame, …le drapeau rwandais flotte encore ostensiblement à Gombe, et celui de la RDC à Kiyovu. Et le Rwanda ose presque montrer à la RDC les choix à faire et ceux à éviter. C’est un peu comme loger votre ennemi dans votre chambre, manger à la même table que lui, et même lui demander où et comment il accepterait que vous le frappiez, pendant que lui fait tout à sa guise...    

Mais bon sang ! Y a-t-il quelque logique dans tout ceci ? Ou bien est-ce moi qui ne suis pas assez…politiquement mature pour comprendre ! En premier lieu, c’est la RDC qui est attaquée (par des Congolais ou des étrangers, peu importe) : c’est son intégrité territoriale et sa souveraineté qui sont en jeu. Ce qui signifie qu’il revient avant tout aux Congolais de se défendre de la meilleure manière qu’il leur convient. En second lieu, officiellement, le Rwanda (et l’Ouganda) ne sont pas parties à ce conflit « congolo-congolais » : en tout cas ces pays ne sont pas officiellement en guerre contre la RDC. Dès lors, pourquoi une « force neutre » ? Les FARDC ne sont pas pour le moment à mesure de mettre fin à cette rébellion. Mais si elles l’avaient été, auraient-elles eu besoin d’être neutres ? Je ne le pense pas.

La RDC a une intégrité et une souveraineté à défendre, et elle est libre de faire recours à qui elle veut ; d’utiliser tous les moyens possibles (dans les seules limites définies par le droit international) pour arriver à ses fins. La RDC n’a pas à quémander la permission de ses voisins (ni celle de toute autre puissance) ; elle n’a pas besoin de se plier à leurs caprices, surtout lorsque ces voisins sont aussi ses agresseurs, réels ou présumés. Ce dont la RDC a besoin, c’est d’un engagement quelconque mais loyal à ses côtés (non pas un engagement neutre, cela n’a aucun sens en l’espèce) ; c’est d’un appui humain, logistique, matériel et technique l’aider à en terminer une fois pour toutes avec cette sinistre aventure.    

Mais à Kinshasa, a-t-on une tête pour penser, ou des oreilles pour entendre ?   

Des personnalités politiques congolaises (parlementaires de la majorité comme ceux de l’opposition, présidents de formations politiques, …), des diplomates, des personnalités de la société civile, et même certains membres du gouvernement sont opposés à la manière dont le gouvernement se comporte face à la problématique M23, et sceptiques quant à l’efficacité de l’option d’une « force internationale neutre ». Les plus courageux d’entre eux le disent ouvertement, et certains (plus rares, c’est vrai) vont jusqu’à proposer des solutions alternatives concrètes.

La manifestation des jeunes mercredi à Goma, quoiqu’isolée, est elle-aussi symptomatique de l’opposition  de l’opinion publique à cette perspective. Pourtant le gouvernement s’entête. Entre temps des sources de la société civile à Rutshuru font état de nouvelles incursions rwandaises « pour renforcer le M23 ». Les déplacés de guerre entassés près de Goma vivent dans des conditions inhumaines, malgré les promesses de la CIRGL (et de l’Ouganda, comble d’ironie !) de leur venir en aide.

Qui est-ce qui gagne de ce temps qui court ? Bien malin serait qui répondrait que c’est la RDC…   

Quelle issue ?

Il y a quelques jours, sur ce blog, j’avais formulé quelques propositions comme solution alternative à l’option d’une « force internationale neutre » (voir http://congo-revolution.blogspot.com/2012/08/kampala-de-la-bassesse-au-sommet.html ). Je les crois toujours valables, bien que certainement imparfaites. Un parlementaire qui fait partie d’un panel de 11 députés nationaux élus du Nord-Kivu et chargés par le Bureau de l’assemblée nationale de suivre la question m’a soufflé qu’ils abondaient dans le même sens, à ceci près que pour eux la RDC devrait faire recours à un seul pays, au lieu de deux ou plusieurs, pour une meilleure coordination, et pour éviter la cacophonie comme celle qui avait failli enliser les militaires zimbabwéens engagés contre la rébellion du RCD. Ce qui me semble pertinent. Pourvu qu’au gouvernement, et surtout à la tête de l’exécutif, quelqu’un veuille bien les suivre !
Prêtres et acolytes catholiques lors
de la Marche des Chrétiens en juillet 2012

C’est des idées qui peuvent être mûries par des spécialistes, et être mises en œuvre rapidement. La RDC devrait geler carrément les discussions en court au niveau de la CIRGL, car aboutiront au mieux au report de la solution, au pire à l’enlisement de la crise. Elle devrait ensuite inviter les personnes qui ont des propositions alternatives et s’asseoir avec eux autour d’une table pour en choisir les meilleures (en termes d’efficacité et de réalisme), avant de chercher l’expertise nécessaire pour planifier leur opérationnalisation.

La solution définitive et durable à cette crise ne sera ni régionale, ni internationale : elle sera congolaise, ou elle ne sera pas du tout. En reprenant ses responsabilités (ce qui ne me semble pas être le cas actuellement), le gouvernement congolais gagnera confiance, considération et respect, et rétablira la souveraineté bafouée de ce grand pays.

Joseph Kabila a encore le temps et les moyens d’éviter à la RDC le scénario malien, qui lui serait défavorable à lui, et à tous les congolais d’ailleurs. J’espère de tout cœur qu’il entendra raison avant qu’il ne soit trop tard !