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samedi 25 août 2012

Conflit à l’Est de la RDC : Reynders sur la bonne piste ?

Monsieur Didier Reynders devant la presse à Kinshasa, le 20/8/2012
Photo radio Okapi

Le vice-premier ministre et ministre belge des affaires étrangères, Didier Reynders, arrive ce weekend à Kigali, la capitale rwandaise, après six jours passés en République Démocratique du Congo, où il a eu des entretiens avec plusieurs hautes autorités, autour notamment de l’épineuse question de la rébellion du M23 qui sévit au Nord-Kivu.

Monsieur Reynders, qui a eu une rencontre avec le Président Joseph Kabila  à Lubumbashi au milieu de la semaine écoulée, a tenu à souligner l’importance que l’ancienne métropole attachait au respect de l’intégrité et à la souveraineté de la RDC. Dans un langage on ne peut plus franc, le chef de la diplomatie belge a épinglé la question cruciale de la réforme des forces armées de la RDC comme l’une des voies par lesquelles passera la résolution durable des conflits armés récurrents en RDC, et à l’Est en particulier. Il a reconnu au passage l’erreur grossière commise dans le passé par le gouvernement congolais – et encouragée en son temps par la communauté internationale – d’intégrer de manière quasiment brute des rebelles au sein des FARDC. « Cela n’a peut-être pas été la bonne solution », a-t-il confessé.

Pour résorber la rébellion du M23 : prendre le Rwanda au mot, et le placer devant ses responsabilités

Au sujet de l’implication du Rwanda dans la rébellion du M23, Didier Reynders a très subtilement évité de porter des accusations directes souvent inutiles et contreproductives à l’encontre du minuscule voisin de la RDC, préférant présumer sa bonne foi et en tirer le meilleur parti : « Le Rwanda prétend ne pas être une part du problème, ce que nous souhaitons c’est que le Rwanda devienne une part de la solution », a-t-il déclaré. Et de renchérir : « Il faut que le Rwanda participe activement à la fin de la rébellion et garantisse l’étanchéité de la frontière».

En procédant ainsi, l’objectif de la diplomatie belge est clair : prendre le Rwanda au mot et, au lieu de chercher désespérément à lui extorquer des aveux – ce qui ne résout aucun problème réellement –, le placer devant ses responsabilités ; l’engager dans la résolution de la crise, en tant que pays voisin affecté d’une manière ou d’une autre par ce qui se passe à un jet de pierre de sa propre frontière (où sévit un certain groupe dénommé FDLR ; où vit une certaine communauté Tutsi ; et d’où proviennent quelques dizaines de milliers de réfugiés installés depuis des années au Rwanda : autant de questions à l’égard desquelles ce dernier ne peut pas se dire vraiment étranger).  

L’approche belge a au moins le mérite d’être pragmatique : d’abord parce qu’accuser le Rwanda, comme le fait depuis plusieurs mois le gouvernement congolais n’est pas en tant que tel une panacée au vrai défi qui est celui de mettre fin à la rébellion et d’opérer le retour durable de la paix et de la sécurité à l’Est de la RDC. Ensuite parce que, dans l’état actuel des choses, la résolution durable du conflit de l’Est de la RDC passe ipso facto par l’implication du Rwanda, et que l’isoler ou l’invectiver, alors que la RDC n’a ni un leadership politique et diplomatique aptes à le défier, ni une force armée capable de l’affronter, ne fera que retarder l’issue du conflit, sinon l’amplifier. Bien plus, en s’abstenant de prononcer inutilement des sentences contre le Rwanda, Monsieur Reynders n’a-t-il pas augmenté ses chances d’être reçu et entendu à Kigali ! Il faut peut-être rappeler ici que contrairement à aux autres grands partenaires bilatéraux du Rwanda, le Belgique s’est abstenue de suspendre son aide au Rwanda. Certains préfèrent y voir une sorte de complaisance, mais à mes yeux c’est une attitude tout à fait cohérente et compréhensible de la part de l’ancienne Colonie à l’égard de sa progéniture d’Etats passés pour ennemis.  

A la rigueur, la communauté internationale – et en particulier la Belgique – doit maintenir une pression mesurée sur le Rwanda, afin d’établir un certain équilibre dont la RDC n’est pas en mesure de s’assurer lui-même, et je pense que Monsieur Reynders est bien conscient de cela. En effet, le Rwanda doit comprendre que ses intérêts directs ou indirects en RDC – économiques notamment – ne sauraient être garantis, de façon pérenne, par la force ; qu’il a davantage à gagner dans le cadre de la coopération équitable avec son grand et riche voisin, dans un climat de stabilité et de paix de part et d’autre de leur frontière commune, et dans le respect mutuel, plutôt que dans des confrontations sans fin, des immixtions incessantes, des croisades de déstabilisation, de prédation et de pillage à répétition, ou des manœuvres à visées hégémoniques. Le Rwanda doit laisser la RDC résoudre ses problèmes internes, et cesser d’instrumentaliser la question des Tutsi congolais et autres congolais d’expression Kinyarwanda, ou encore celle des ex Forces armées rwandaises et Interahamwe pour justifier toutes sortes de digressions et d’immixtions de sa part.

Si c’est le message que le ministre Reynders va faire passer à Kigali, alors on peut dire que la Belgique est sur la bonne piste. Reste à espérer que ce message soit entendu et soit suivi d’effets concrets. La Belgique devrait en même temps convaincre ses pairs occidentaux de la pertinence de son approche, afin de les engager à l’appuyer, et à la parfaire si besoin est.

Aider à faire le ménage dans la case congolaise

Didier Reynders a eu raison de le rappeler, la RDC a le plus gros d’efforts à fournir pour se doter d’une armée véritablement républicaine et professionnelle, pour asseoir la démocratie, la bonne gouvernance et l’Etat de droit, et pour opérer un certain nombre de réformes indispensables à sa stabilité et son développement. L’implication du Rwanda et des autres puissances dans les conflits en RDC a beau être dénoncée, elle n’est que secondaire, et traduit profondément une quasi-absence de gouvernement responsable à la hauteur des défis du pays et des attentes légitimes de ses citoyens. Le Rwanda lui-même, ou tout autre pays, n’irait pas s’aventurer à sa guise dans un Etat organisé, effectivement administré et gouverné. Tous les maux de la RDC se justifient principalement  par la faiblesse, voire l’inexistence d’un Etat au sens moderne du terme, un état des choses dû à l’absence d’un vrai leadership politique, à l’incompétence manifeste des gouvernants actuels, à l’absence de vraies alternatives de la part de la classe politique dans son ensemble et de la société civile, ainsi qu’à l’attentisme coupable des Congolais.

La Belgique connaît parfaitement la RDC, et a avec elle des liens historiques forts, bien plus que n’importe quelle autre puissance étrangère. Elle peut très bien influencer un changement positif de la situation, tant à l’intérieur de la RDC qu’à travers ses relations avec les nations puissantes de ce monde, sans nécessairement apparaître comme voulant revenir aux vieux temps coloniaux. Certes, le risque que certains interprètent ses interventions comme un zèle paternaliste ou néocolonialiste est évident, mais il lui revient de prendre la précaution nécessaire pour le minimiser, et je pense qu’elle le peut. Par ailleurs, il n'est guère impossible que certains comportements reprochés aux congolais, et qui empêche le pays de progresser soient l’héritage, au moins en partie, de la colonisation et ses méthodes. Dès lors, la Belgique choisit-elle de se réfugier derrière la crainte d’être accusée de visées néocolonialistes et de laisser la RDC sombrer, ou choisit-elle d’oser aider les Congolais à se relever et à se mettre sur le rail ? Je crois que la Belgique devrait abandonner le complexe du colonisateur, et devenir celle qui se tient aux côtés du peuple congolais, non plus comme puissance ascendante et « civilisatrice », mais comme partenaire sincère. Ce serait pour le Royaume le meilleur choix, alliant réconciliation, dignité et grandeur, et les deux peuples (belge et congolais) y gagneraient également !