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lundi 25 mars 2013

Bosco Ntaganda à la disposition de la Cour pénale internationale : indifférence et méfiance de la population dans l’Est de la RD Congo


La reddition, lundi le 18 mars 2013 à l’ambassade des Etats-Unis d’Amérique à Kigali, de celui que l’on surnomme le « Terminator » a surpris plus d’une personne, autant qu’elle a suscité des réactions tous azimuts de réjouissance et de soulagement de part le monde. Les Nations-Unies, les Etats, les organisations de défense des droits de l’Homme, la Cour pénale internationale, …tout le monde a salué une « bonne nouvelle » pour les victimes de ses crimes, un « pas vers la fin de l’impunité », une « victoire de la justice », un « message fort envers ceux qui commettent des crimes dans cette région », et que sais-je encore. Même le gouvernement Congolais, responsable en grande partie de la grossière impunité dont Bosco Ntaganda a bénéficiée a joint sans remords sa voix au concert de réjouissances pour la circonstance.

Mais la mise à la disposition de la Cour pénale internationale du Général Bosco Ntaganda représente-t-elle réellement un évènement qu’il faille célébrer autant pour les populations meurtries de l’Est de la République Démocratique du Congo qui aspirent effectivement à la restauration de la paix et de la stabilité dans leur contrée ? Ou alors, s’il est vrai que l’impunité des criminels notoires est l’un des principales articulations du cycle des guerres et des violences dans l’Est du Congo, en quoi la reddition et le transfert de Bosco Ntaganda procèdent-ils d’une dynamique de mettre effectivement fin à l’impunité ? La réponse à ces interrogations – parmi tant d’autres – explique le sentiment d’indifférence et de méfiance qui anime la majorité de la population de l’Est de la RD Congo face un développement dont, logiquement, elle était censée être la première à se réjouir. 
  
La turpitude et l’impuissance du gouvernement congolais 

Mettre fin à l’impunité, cela suppose une volonté manifeste de la part des autorités intéressées, et la mise en œuvre effective de leurs pouvoirs pour rechercher, arrêter, juger et condamner les auteurs de crimes commis. En l’occurrence, les autorités congolaises savaient que Bosco Ntaganda avait commis des crimes odieux en Ituri – en tout cas qu’il en était soupçonné par la Cour pénale internationale, qui avait lancé un mandat d’arrêt contre lui en 2006. Mais plutôt que de le rechercher, de l’arrêter et de le transférer à La Haye (faute de pouvoir le juger elles-mêmes), elles ont trouvé plus commode de transiger avec lui…au nom de la paix ! 

Bosco Ntaganda, a été publiquement défendu et protégé par le président Joseph Kabila, soi-disant garant de la justice et des lois. Promu au grade de Général au sein de l’armée nationale (en dépit de sa nationalité rwandaise d’après les documents officiels de la Cour pénale internationale), « Terminator » a été chargé de diriger les « opérations Amani » censées pacifier son abattoir de région. Quelle ironie ! Quel mépris pour la paix et la justice, et pour ses innombrables victimes congolaises ! Le comble, c’est que ni le Parlement, ni le pouvoir judiciaire n’ont eu, en tant qu’institutions, le courage de dénoncer cette situation.

Même ainsi, Bosco Ntaganda et ses acolytes ont continué de commettre des crimes de sang et des crimes économiques au Nord-Kivu, voire au-delà : meurtres, enlèvements, viols, tortures, pillages, mafias diverses … Ils sont restés déployés dans l’Est du Congo envers et contre tout, entretenant une armée, et parfois une administration parallèles, et gérant des réseaux d’exploitation et de commerce illicites des minerais. Les autorités congolaises étaient conscientes de cela, et la société civile congolaise comme différentes organisations de défense des droits de l’Homme n’ont jamais eu de cesse à documenter ces crimes et à exiger que Bosco Ntaganda fût arrêté. Mais Bosco Ntaganda a continué de vivre et de circuler paisiblement à Goma, aux yeux de tous.

Au début de l’année 2012, la pression était devenue de plus en plus grande sur les autorités congolaises, et spécialement sur le président Joseph Kabila, pour que Bosco Ntaganda soit arrêté et jugé. Là encore, tout en feignant vouloir l’arrêter, les autorités congolaises semblent avoir tout fait pour lui permettre de s’enfuir. Le M23 est né : les autorités congolaises l’ont vu prendre de l’importance et s’affirmer comme rébellion, sans nullement sembler être pressé ou sérieusement préoccupés d’en finir. En l’espace d’une année, de nombreux autres crimes ont été commis sous ce nouveau label sur lequel planait l’ombre de Bosco Ntaganda, ou indirectement par ses effets (naissance de nouveaux groupes armés, et résurgence d’anciens partout dans le Kivu).

Ainsi donc, jusqu’à sa reddition – libre ou téléguidée, peu importe – Bosco Ntaganda aura maîtrisé les autorités congolaises, plutôt que le contraire. Il a nargué tout le monde (sauf peut-être ses parrains rwandais). Les autorités congolaises n’ont absolument rien fait pour qu’il soit arrêté et traduit devant la justice. Lorsqu’elles l’avaient à leur disposition, elles n’avaient aucune intention de l’arrêter ; et lorsqu’il leur est venu un semblant d’intention de l’arrêter, elles l’ont laissé s’enfuir avec la certitude de ne pas pouvoir le rattraper (puisqu’elles ne peuvent même pas affronter la rébellion qu’il a créée).

Dans ces conditions je trouve absurde, voire insultant, que les gens osent voir dans la remise de Bosco Ntaganda à la Cour pénale internationale, via Kigali et l’ambassade américaine, un quelconque signe de la fin de l’impunité des crimes internationaux en RDC. Là où l’Etat ne peut pas ou ne veut pas arrêter les criminels (à commencer par ceux qu’il côtoie), il n’y a franchement aucun espoir de justice. Vue du Congo, la remise de Bosco Ntaganda est purement et simplement un accident, un fait inattendu et non-souhaitable qui n’a rien à faire avec une volonté (et une capacité) de mettre fin à l’impunité de la part des autorités congolaises. On ne peut pas prétendre aller dans le sens de mettre fin à l’impunité quand on attend des criminels qu’ils décident eux-mêmes, au moment et dans les conditions qu’ils veulent, d’accepter ou non de se mettre à la disposition de la justice.  

Tant d’autres « Terminator » au Congo : on attendra qu’ils se rendent…

Bosco Ntaganda était certes une épine dans l’Est de la RDC, et a dû jouer un rôle important dans les guerres et les violences qui s’y sont produites ces dix dernières années. Mais de là à penser que son extirpation suffit à marquer la fin de l’impunité, ou que c’est « un tournent majeur » dans la recherche de la paix et de la stabilité dans cette région, il y a un pas que seuls les naïfs sont peuvent se permettre de franchir. En tout cas, les populations de l’Est de la RDC ne se fait aucune illusion : l’absence de Ntaganda ne va rien changer à leur situation, pas même à celle de ses victimes directes, plus spécialement.

L’une des raisons de ce scepticisme – j’allais dire ce réalisme –, c’est le fait qu’il y a bien plus de « Terminator » dans l’Est de la RDC qu’on ne le dit. Pas qu’on ne le sait pas, mais parce que ce n’est pas politiquement « opportun », ou urgent, ou tout simplement parce que les médias et la communauté internationale préfèrent regarder ailleurs. Depuis 1993 jusqu’à ce jour, ce sont des millions de congolais qui ont été tués dans différentes guerres et violences successives. Mais la justice nationale est trop limitée, il n’y a pas eu de tribunal international spécial pour le Congo comme certains le souhaiteraient, et la Cour pénale internationale titube encore sur ses pas.

Laurent Nkunda, Jules Mutebutsi, Sultani Makenga, Séraphin Mirindi, Innocent Kaina, Baudouin Ngaruye sont-ils moins « Terminator » que leur frère d’armes et maître Bosco Ntaganda ? Qu’en est-ils de ceux qui sont cités, par exemple, dans le rapport Mapping des Nations-Unies sorti en 2010 mais resté lettre-morte jusqu’à ce jour ? (En particulier l’armée rwandaise, avec à sa tête le président Paul Kagame et les officiers supérieurs comme James Kabarebe, Faustin Kayumba, Charles Kayonga, Jack Nziza, et d’autres). C’est sans citer les commandants des forces démocratiques pour la libération du Rwanda, les innombrables chefs rebelles Mayi-Mayi, les officiers de l’armée congolaise, etc.
Tous ces sinistres criminels, se rendront-ils jamais, eux aussi, pour que les populations de l’Est de la RDC espèrent enfin obtenir la justice ? Ce n’est pas pensable. Il faut bien qu’il y ait un Etat (dont ils ne font pas partie) qui soit à mesure de les soumettre, et non pas à couvrir de galons leurs lamentables épaules.

La justice internationale et ses aberrations

D’emblée, il est évident qu’aucun châtiment ne peut réparer ce que Bosco Ntaganda et ses acolytes ont commis comme crimes dans l’Est de la RD Congo. Mais au-delà de cela, combien d’années durera son procès ? De combien d’avocats bénéficiera-t-il, dans quel luxe relatif vivra-t-il, et combien de millions de dollars engloutira ce procès, pendant que ses victimes continueront de vivoter dans le dénuement, l’insécurité et la misère ? Le Bureau du procureur ne commettra-t-il pas de ces bourdes qui aboutiront à son acquittement ou à sa condamnation à une peine dérisoire ? Quelle sera la place des victimes dans ce procès ? Seront-elles dédommagées un tant soit peu ? Connaîtront-elles jamais toute la vérité sur les faits, sur les leurs disparus, sur les éventuels commanditaires de ces guerres et ces violences atroces dont Bosco Ntaganda ne pourrait être que l’un des exécutants ?

Ce sont autant de questions que les populations de l’Est de la RDC se posent légitimement. Elles ont l’expérience pas très reluisante des précédents procès des Congolais Thomas Lubanga, Matthieu Ngudjolo et Germain Katanga. Mais on leur a dit aussi que Bosco ne serait poursuivi « dans un premier temps » que pour les crimes commis entre 2002 et 2003 en Ituri. Au Nord-Kivu, on peut encore attendre. Mais combien de temps ? Et pour quel résultat ? Autant d’interrogations et de doutes qui ne laissent que trop peu de place à l’espoir d’une véritable justice, aux antipodes de l’impunité et à la croisée de la paix.

Justice, l’autre nom de la paix 

Les autorités congolaises se sont jusqu’ici comportées en prédateurs, autant que les milliers de criminels qui versent sans vergogne le sang des Congolais innocents. Elles choisissent des raccourcis (intégration des miliciens, promotion des seigneurs de guerre, accords compromettants avec certains groupes et Etats, bradage de la justice au nom d’une paix qui s’avère toujours imparfaite et éphémère, etc.).

La paix a un prix. Ce n’est pas la lâcheté, la facilité, la compromission, l’entente avec des criminels. C’est au contraire oser la justice, faire des réformes pour déraciner les causes profondes des conflits au nombre desquelles se trouve l’impunité. Ce courage manque cruellement aux autorités congolaises, qui, hélas, s’obstinent à ne rien apprendre des expériences du passé et répètent bêtement les mêmes erreurs.  

Avec la reddition de Bosco Ntaganda, on a au moins deux gagnants : le Rwanda, qui essaie de démentir, non sans succès, les appréhensions de la communauté internationale sur son rôle dans la déstabilisation de la RDC en se faisant mine d’être partie de la solution plutôt que du problème. En l’occurrence, que Bosco Ntaganda se soit rendu au Rwanda ; que le Rwanda ne se soit pas opposé à son transfert à la CPI, quoique n’étant pas signataire du statut de Rome, ce ne sont pas des faits anodins. Si Bosco Ntaganda avait une mission à accomplir pour le Rwanda, il l’a accomplie. Il peut donc passer le témoin. Et Dieu sait si, avant sa remise à l’ambassade américaine, Bosco Ntaganda n’a pas été conditionné pour ce qu’il devra dire ou ne pas dire à La Haye !

L’autre gagnant s’appelle Sultani Makenga, l’autre « Terminator » de l’Est de la RDC, contre qui il n’existe pas (encore) de mandat d’arrêt international. Il est désormais sans véritable challenger à la tête du M23. Ce n’est pas pour rien qu’aussitôt Bosco Ntaganda mis hors-jeu, le médiateur ougandais a annoncé la reconnaissance de la délégation de l’aile Makenga à Kampala, et que la reprise des pourparlers a été annoncée pour cette semaine. Un accord avec le camp Makenga n’est plus donc qu’une question de jours. Un accord qui devrait consacrer de nouveau l’intégration des éléments du M23 (à Kinshasa on ne parle plus de « l’agression »), à l’attribution de grades, à l’insertion à des postes politiques, à l’amnistie, etc. Presqu’exactement comme il y a quatre ans, à la faveur de l’accord du 23 mars 2009. Le gouvernement congolais semble résolu à signer un tel accord. Son rapprochement avec Sultani Makenga est évident. Qui parlera de justice pour les crimes commis pas Sultani Makenga et ses troupes ? Qui rappellera que Makenga et Laurent Nkunda, la personna non grata d’il y a quelques années, sont comme un seul homme ? Aura-t-on supprimé les raisons à la base de la naissance du M23 et arrêté les « causes profondes » du cycle de guerres et de violences ? Absolument non.     

En somme, la reddition de Bosco Ntaganda va servir de prétexte à ménager d’autres criminels à signer la paix pour encore un mois, un an, en attendant le prochain couaque et la résurgence d’une autre rébellion. La solution aux crises sécuritaires persistantes en RDC est encore très loin de portée. Et tant que les Congolais auront un Joseph Kabila comme président, des parlementaires cupides, une armée d’affairistes et d’amateurs, une population naïve et attentiste, on peut oublier tout changement significatif.   




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