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lundi 7 janvier 2013

R.D.Congo - M23 : le dialogue aura-t-il jamais lieu ?

De g à d, l'abbé Malumalu et le ministre Raymond Tshibanda, à Munyonyo, en décembre 2012. Ph. MP
Les pourparlers entre le gouvernement congolais et la rébellion du M23 devaient "reprendre" vendredi 4 janvier dernier, après deux semaines d'interruption pour raison des fêtes de fin d'année. Officiellement, ils n'ont pas repris vendredi comme prévu du fait que la délégation congolaise n'était pas encore complète. Ce weekend, des tractations continuaient séparément entre le ministre ougandais de la défense Crispus Kiyonga et les chefs des deux délégations pour "régler les derniers détails" avant la tenue d'une séance plénière qui pourrait avoir lieu lundi 7 janvier.

En réalité, c'est à défaut de meilleur terme que l'on parle de "reprise des pourparlers" parce que depuis le lancement officiel du dialogue entre les deux belligérants (le 9 décembre) jusqu'au départ en congé des délégués (le 21 décembre), les pourparlers n'avaient pas encore commencé à proprement parler. En près de deux semaines de présence à Munyonyo près de Kampala, les délégués du gouvernement congolais (auxquels se sont joints quelques soi-disant représentants de la société civile et de l'opposition politique) et ceux du M23 avaient à peine convenu d'un règlement intérieur devant régir les travaux. A l'époque déjà, les deux parties n'avaient pas pu s'entendre ni sur un agenda précis, ni sur un véritable ordre du jour (ou l'objet des pourparlers), ni même sur la périlleuse question de la signature d'un cessez-le-feu qui resurgit encore aujourd'hui.

Et c'est à croire que la pause observée n'a pas permis aux uns ou aux autres de changer de position. Au contraire, la méfiance a quelque peu augmenté entre eux, si bien qu'à la veille du 4 janvier (jour initialement prévu pour la "reprise" des pourparlers", le président du M23 a ouvertement menacé que son mouvement allait se retirer de la table si le gouvernement refusait de signer un cessez-le-feu. "Nous allons prendre à témoin la communauté internationale et nous allons nous retirer [...]; s'il le faut, nous utiliserons l'unique voix que Kabila entend facilement, et cette fois nous irons loin", a déclaré en substance Jean-Marie Runiga devant la presse dans leur fief de Bunagana le 3 janvier. Il semble évident que c'est l'insistance du M23 à signer un cessez-le-feu qui retarde le début des pourparlers, les questions de la composition de la délégation congolaise et des accréditations n'étant que des prétextes.

Par ailleurs, le M23 accuse avec insistance le gouvernement congolais de rassembler des troupes (dont des milices Hutu rwandais des FDLR et des Maï-Maï de l'APCLS et Shetani) en prévision d'une offensive contre ses positions à Rutshuru et près de Goma. Dans le territoire de Masisi, les accusations du M23 sont confortés par l'exode depuis quelques semaines vers le Rwanda, via Goma, des populations Tutsi qui disent être pourchassés par les militaires congolais et des milices Hutu du fait de leur appartenance ethnique ou en les accusant d'être de connivence avec le M23. Sur le plan diplomatique, ces accusations - fondées ou infondées - ont pour but de fragiliser le gouvernement congolais dans la mesure où collaborer avec une milice génocidaire dont le Rwanda a toujours dit qu'elle présentait une menace sérieuse contre sa sécurité est quelque chose de grave.

Une nouvelle recrue "de taille" : Roger Lumbala

Le député et leader du parti politique RCD-N, Roger Lumbala, a finalement assumé son appartenance, ou plutôt son "soutien" au M23, après avoir mis des mois à le nier et à accuser Kinshasa de chercher simplement à l'accabler. Après avoir fêté le nouvel an près de Sultani Makenga dans les collines de Rutshuru, il a obtenu le ticket de Kampala comme désormais membre (et chef-adjoint) de la délégation rebelle. Pourtant, il continue de soutenir mordicus qu'il n'a pas adhéré au M23 mais qu'il soutient simplement ce mouvement qui "fait entendre à Kabila le seul langage qu'il comprend (entendez la force) et qui exige la vérité des urnes et le fédéralisme". Bien sûr l'argument ne tient pas debout, car un simple admirateur ne peut pas figurer parmi les représentants d'un mouvement à des assises de ce genre. Heureusement pour le gouvernement congolais que Roger Lumbala ne risque d'apporter ni davantage de poids politique, ni plus de légitimité nationale au M23. Il est peu ou pas connu du tout à l'Est de la RDC où il ne dispose d'aucune base, et il a la sale réputation d'être plutôt inconstant et opportuniste, après ses tours dans quasiment tous de nombreux mouvements politico-militaires, dont l'AFDL et le RCD, qui étaient à l'époque soutenus par le Rwanda, le pays même qui téléguide  aujourd'hui le M23. C'aurait été Mbusa Nyamwisi du RCD-KML ou un autre "fils de l'Est" qu'on aurait eu affaire à un véritable évènement susceptible d'influer sur le cours des choses ! A moins qu'il ne soit derrière, lui aussi...

Le mirage de la Force internationale neutre : la cause véritable du blocage 

Si le gouvernement congolais cherche à gagner le temps; si le M23 exige avec autant d'insistance la signature d'un cessez-le-feu, c'est parce qu'il y a dans le vent le déploiement imminent des premiers contingents devant constituer la fameuse force internationale neutre, sous l'égide de la Conférence internationale sur la Région des Grands Lacs (CIRGL). Car le gouvernement se trouve à Kampala malgré lui, et voudrait vite s'appuyer sur cette force pour régler la crise, sans avoir à concéder quoique ce soit dans un nouvel accord. En face de lui, les rebelles savent que leurs revendications autour de l'accord dont ils portent le nom (du 23 mars 2009) ont très peu de pertinence, et avaient espéré imposer leur véritable à Kampala (fédéralisme, octroi de nouveaux grades, postes au sein des instances politiques et administratives au niveau provincial et national, hégémonie militaire dans le Kivu, etc.). Mais ils ont vu le piège que leur tend le gouvernement, et ils voudraient anticiper en obtenant un accord de cessez-le-feu qui aurait pour conséquence immédiate de les mettre à l'abri des attaques y compris en cas de déploiement effectif de cette force internationale neutre. Pendant ce temps, ils s'efforceraient de montrer qu'ils ne sont pas une force négative à combattre, mais que ceux qui doivent être combattus sont les seules FDLR et différents groupes Maï-Maï, et ils pousseraient sur le plan politique pour signer un accord sur le fond.

Le gouvernement n'a pas de plan B, contrairement aux rebelles, qui sont en position de force sur le plan militaire et qui, malgré les pressions, peuvent toujours compter sur leur parrain rwandais, sur leurs alliances avec d'autres groupes congolais, sur les divisions de la classe politique congolaise et le peu d'empathie que montrent les congolais vis-à-vis de leur gouvernement, et sur les mécontentements et la démotivation au sein de l'armée congolaise. En plus, ils savent que la force neutre, même si elle était déployée, aurait elle même des difficultés à les combattre efficacement, étant donné sa structure et les soucis d'ordre à la fois technique et logistique.

Si donc le gouvernement persiste à prendre les rebelles pour des idiots, il est fort probable que les hostilités reprennent avant même que la fameuse force neutre n'ait eu le temps de se déployer. Et les rebelles l'ont dit, cette fois ils pourraient aller bien plus loin que Goma ou Sake. Dieu sait qu'ils en ont la capacité !

Mais que faire ? Leur concéder ce qu'ils demandent, avec le risque pour Joseph Kabila et son gouvernement de creuser plus profond leur tombe politique à l'intérieur du Congo ? La force neutre a été envisagée principalement pour éradiquer le M23, entre autres. Comment peut-on raisonnablement négocier avec le M23 et se mettre à combattre des groupes rebelles infiniment moins nuisibles que ce M23, et dont certains seraient ses alliés ou ses ramifications stratégiques d'après les rapports du Groupe d'Experts de l'ONU ?

D'aucuns parlent de blocage à Kampala, mais en réalité c'est un train qui de toutes façons ne va nulle part. Pour le gouvernement congolais, il vaudrait mieux que le blocage persiste, tant que cela lui permet de gagner du temps tout en faisant semblant de pousser, de bricoler pour décanter le blocage. Cela le soulage, mais bêtement car le temps finira bien par s'épuiser, et la solution n'est pas là où il le croit. Encore que le M23 semble avoir déniché ce jeu mesquin.

La solution existe. Mais c'est sans compter avec Joseph Kabila...

De nombreuses voix se sont élevées pour demander la tenue d'un dialogue national, auquel le M23 serait associé, et où toutes les forces-vives passeraient au peigne fin les problèmes qui gangrènent le pays (car ils existent, plus nombreux que le M23 croit le dire). Faute de légitimité et étant donné sa faiblesse militaire, Joseph Kabila pourrait ainsi constituer la cohésion nationale qu'il a tant clamée, et obtenir que les questions légitimes posées par la rébellion du M23 trouvent une réponse dans un cadre plus globalisant, de sorte à éviter les règlements au cas par cas et la répétition des erreurs du passé. Il ne s'agirait pas d'une redistribution de postes ou de la mise en place d'un gouvernement de transition comme ce fût le cas en 2003, et de ce point de vue là Kabila n'aurait pas à perdre son poste, et il n'y aurait pas non plus de grands bouleversement au niveau des acteurs institutionnels actuels, hormis quelques nécessaires ajustements et corrections (comme par exemple au sein de l'armée et de l'appareil judiciaire).

L'autre solution - ou plutôt l'autre manière de détendre la situation - consisterait à anticiper certaines revendications du M23 en les mettant en oeuvre ou en amorçant leur mise en oeuvre avant même la signature d'un quelconque accord avec ce mouvement. Par exemple, le M23 réclamera le fédéralisme, et à défaut l'effectivité de la décentralisation telle que prévue par l'actuelle constitution. Joseph Kabila a la possibilité de faire appliquer la constitution dès demain matin à cet égard, en décidant que désormais chaque province retiendra 40% de ses recettes à la source et en renonçant aux transferts systématiques de toutes les recettes des provinces à Kinshasa.

Il est possible de programmer rapidement la tenue des élections provinciales, sénatoriales et locales; de lâcher les verrous imposés par la majorité présidentielle au sein de la Commission nationale électorale et qui font craindre aux opposants des scénarios comme celui du simulacre d'élections de novembre 2011. Il y a moyen d'assainir l'armée, de montrer quelques gestes de bonne volonté en ce qui concerne la lutte contre la corruption et les détournements, dont les principaux responsables mangent à la même table que Joseph Kabila, qui les tolère ou les soutient selon les cas. Il y a moyen de poser des gestes de bonne volonté à l'égard de l'opposition politique, et, si l'on ne peut satisfaire le M23 et ses maîtres connus ou occultés, au moins l'isoler au niveau national. Des choses à faire dans ce sens, il y en a beaucoup.

Pourtant, au lieu de trouver des solutions à la crise, le président de la République se complaît dans des discours aussi creux que pathétiques, alternant aberrations et contradictions, sans jamais une quelconque direction. Il préfère condamner les Nations-Unies comme si les manquements de ces dernières l'exonéraient de sa propre responsabilité, et continuer de compter sur des solutions qui tomberont des pays voisins ou de l'Afrique australe.

La solution à la crise actuelle dans le Kivu ne va pas être militaire, Joseph Kabila devrait le savoir une fois pour toutes. Encore qu'on ne peut pas s'entêter à préconiser des solutions militaires alors qu'on est incapable de constituer sa propre armée. La solution passe inexorablement par le dialogue, mais un dialogue qui pose les vrais problèmes, avec les bons acteurs (ce qui n'est nullement le cas dans le cirque de Munyonyo en Ouganda, où l'on est entrain de dépenser inutilement des centaines de milliers de dollars).