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vendredi 12 octobre 2012

Goma : le Maire couve le feu !…



Le maire de la ville de Goma a annoncé dans la soirée de ce mardi 9 octobre 2012 sa décision, avec effet immédiat, d’interdire la circulation des motos dans la ville à partir de 18h30. Pour M. Kubuya Ndoole – c’est son nom – les hors-la-loi qui sèment la terreur à Goma se circuleraient principalement sur des motos. Ces engins leur permettraient d’agir furtivement et rapidement, de sorte qu’il serait quasiment impossible de les appréhender après leur forfait. 

L’annonce de ce couvre-feu arrive au moment où la ville de Goma connaît, depuis quelques semaines, une recrudescence grave de l’insécurité qui se caractérise par des attentats à la grenade (dont le dernier, survenu dans le quartier populaire de Birere, la veille, a fait un mort et une vingtaine de blessés), des assassinats ciblés, des meurtres, des enlèvements, des cambriolages spectaculaires, etc. En plus ou moins trois semaines, plus de vingt personnes ont été lâchement abattues, et plusieurs véhicules volés.

Il y a une semaine, la situation avait obligé leur ministre national de l’intérieur et sécurité à séjourner pendant quelques jours dans la capitale provinciale du Nord-Kivu pour « trouver », avec les autorités provinciales et urbaines, une solution adéquate. A la fin de sa visite, et pour « rassurer la population », quelques individus avaient été présentés à la presse comme étant les responsables des actes de terreur enregistrés dans la ville. Certains noms de dignitaires qui travailleraient de connivence avec ces bandits avaient même été cités, dont celui du Mwami de la chefferie de Bukumu, M. Jean-Bosco Butsitsi, qui s’était empressé de démentir tout lien avec ses dénonciateurs. Mais depuis, aucune amélioration n’a été constatée ; les bourreaux des Gomatraciens poursuivent leur besogne, sans merci. 

Une décision irréfléchie et inutile 

La décision du maire de Goma a suscité un tollé de critiques et de protestations dans le chef des observateurs avertis de la vie socio-économique de la ville et des citoyens ordinaires, et ce pour plusieurs raisons. En effet, les quelque les constituent le principal moyen de déplacement pour le million d’habitants de la ville de Goma, qui se trouve être sans routes viables et sans service public de transport. La moto est pour ainsi dire un outil absolument indispensable pour la vie socio-économique de Goma. On compte à ce jour quelque cinq mille taxis-motos dans cette seule ville, un record en République Démocratique du Congo, et peut-être même en Afrique centrale. 

Au-delà de leur utilité pratique, les taxis-motos font partie intégrante du décor de la ville, et participent à son animation et à son…charme ! Eve, une jeune étudiante, explique bien cette réalité : « les motos causent pas mal de problèmes dans la ville, mais elles entretiennent l’ambiance et la vivacité en même temps. Maintenant qu’on les a interdites, la ville est terne à partir de dix-huit heures trente ; on a l’impression que la vie s’arrête à cette heure-là. Ceci nous insécurise davantage ». 

Maman Cubaka, une quadragénaire qui fait du petit commerce ambulant d’ajouter : « Je comprends que nous avons des autorités qui se foutent trop de notre vie. En interdisant la circulation des motos, c’est comme si on nous interdisait à nous de circuler, alors que c’est l’heure où nous avons des clients qui rentrent des dures journées de travail et de débrouille ». Pascal, lui, jeune motard, est encore plus incisif : «Je crois que ce Monsieur a perdu la tête. Au lieu de nous assurer la sécurité et d’appréhender les criminels qui sèment la terreur, il préfère asphyxier davantage la paisible population en interdisant la circulation. Il ferait mieux de démissionner s’il est incapable de tenir la ville au lieu de tâtonner bêtement comme il le fait là ».  

Je leur donne raison, à ces habitants. Car une autorité responsable cherche des vraies solutions aux problèmes, au lieu de les esquiver. A Goma, certes les motos pourraient être le moyen de transport prisé par les malfrats pour commettre leurs forfaits, mais interdire purement et simplement leur circulation alors qu’elles sont aussi utilisées par 90% de la population, qui par ailleurs n’a pas d’autre alternative, c’est irresponsable pour une autorité. Il faut dire que comme on pouvait s’y attendre, les motards ont vivement protesté contre la décision du maire de la ville, dès ce mercredi 10 octobre. Ils ont sillonné la ville en klaxonnant, avant de faire un sit-in de quelques heures devant la mairie.

Les facteurs de l’insécurité dans la ville de Goma sont nombreux : prolifération d’armes et d’engins explosifs, banalisation de la drogue, mouvement incontrôlé de militaires et policiers armés (dont on sait qu’ils sont souvent impayés, et qu’ils vivent dans des conditions déplorables), … A quoi s’ajoute singulièrement l’anarchie dans les constructions (certaines avenues sont obstruées ou inaccessibles, et du coup des bandits peuvent opérer sans qu’aucune intervention policière ne soit possible de les y poursuivre). Qu’ont fait les autorités urbaines et provinciales pour juguler ces problèmes, avant de décréter instinctivement un couvre-feu visant les motos ? Je me rappelle qu’il y a un temps, à l’époque de Mobutu, où des bouclages étaient improvisés, et où des fouilles systématiques des maisons et des habitants étaient effectuées pour dénicher les bandits et trouver des armes et autres objets dangereux. Pourquoi ne pas essayer ce genre d’actions, par exemple ? 

Par ailleurs, est-il simplement possible de mettre en œuvre cette mesure ? L’autorité a-t-elle réfléchi sur son efficacité à régler le problème de l’insécurité ? A-t-elle seulement pensé au fait que sa décision pourrait rajouter de la psychose dans la population ; à ses répercussions économiques sur les ménages des débrouillards ? Que feront les motards chez eux, après dix-huit heures trente, dans des quartiers pas d’électricité ? A-t-il pensé aux tracasseries militaires et policières qui risquent de s’accroître à l’égard des personnes qui seront trouvées entrain de circuler (peut-être à moto) après son heure fatidique ? 

Des patrouilles pour rien, ou presque…

Les patrouilles de la police et de l’armée, auxquelles se joignent les Casques bleus de la Monusco, sont toujours effectuées à Goma, de jour, mais surtout de nuit.  Ces derniers temps, ces patrouilles ont même été « renforcées ». A partir de 17h, des dizaines de chars de la Monusco déferlent sur toute la ville, pour « sécuriser la population ». L’air sérieux, ils prennent position sur des points dits stratégiques de la ville, ou font des va-et-vient dans les principales avenues, toujours la main sur la gâchette de leurs armes sophistiquées. Des militaires et policiers congolais patrouillent dans des pick-up, ou à pied, formant d’interminables files, armes et torches à la main. Parfois, des hélicoptères sont mis à contribution. 

Pourtant les assassinats, les attentats, les vols et les enlèvements ne cessent pas. L’insécurité ne faiblit pas ; elle augmente chaque jour, au contraire. On dirait que tous ces militaires patrouillent juste pour de la « visibilité ». Ceux qui les cotent doivent se contenter de compter le nombre de mouvements effectués, les litres d’essence consommée, …plutôt que le nombre de bandits tués ou arrêtés, le nombre de vies épargnées ou de biens sauvés. A part peut-être que concernant les « biens sauvés », les unités de l’armée et de la police congolaises ne manqueraient pas de faire un bon bilan si l’on comptait leurs prises et extorsions, au préjudice, non pas des malfrats, mais de citoyens « imprudents » ou « malchanceux » qu’elles ont le bonheur de croiser sur leur parcours de « sécurisation »…

Et quand, dans ces conditions, l’armée congolaise et la Monusco affirment haut et fort que Goma est « sécurisée », « encadrée », et complètement à l’abri des attaques du M23, comment ne pas en rire ? La population de Goma qui, heureusement, ne croit pas cette propagande, pas moins écœurante que celle d’un Kazarama ou d’un Makenga, se moque éperdument de l’omniprésence des chars et des troupes. Elle sait que dormir et se réveiller sain et sauf le lendemain relève de la seule providence. Elle travaille, circule, survit à ses dépens. Mais voilà que même cela, une autorité mal inspirée se met soudain à le lui interdire… 

Tapez du poing sur la tête, Monsieur le Maire !

Plutôt que de « taper du poing » sur la ville pour secouer davantage les paisibles citoyens, je crois que Monsieur le Maire (ainsi que tous ceux qui, au niveau de la province, ont dû cautionner cette stupide décision), ferait mieux de « secouer » son méninge. Il y a peut-être un peu de chance qu’il y trouve une solution plus adaptée au défi de la sécurisation de la ville et de ses habitants. Et s’il ne peut la trouver ; s’il se sent impuissant ou incapable d’adresser le problème, nombreux sont les Gomatraciens qui trouveraient plus raisonnable et plus sage sa démission.

Hélas, à Goma comme ailleurs en République Démocratique du Congo, on exerce et on s’accroche au pouvoir, non pas parce qu’on a des solutions aux problèmes de la population, ou parce qu’on poursuit un idéal, mais parce que c’est un gagne-pain (gagne-villas, gagne-millions, …chacun dira comme il lui convient !). Je ne m’y trompe donc pas : mon conseil ne sera pas entendu. 

Une chose est sûre : le Maire va revenir à la raison et lever sa mesure (ou alors avancer l’heure de son couvre-feu). S’il n’y arrive pas de gré, Dieu sait que les motards sont capables de plus qu’un sit-in pour faire entendre leur voix. Je ne suis pas de ceux qui prêchent ou croient aux méthodes fortes des motards (casses, émeutes, …), mais c’est un risque réel, et Goma en a de douloureuses expériences.
Entretemps, le problème de la recrudescence de l’insécurité à Goma est suffisamment grave pour que les autorités provinciales et nationales s’investissent à en identifier les causes et les acteurs, et à y mettre fin une fois pour toutes. La Monusco, qui dépense près de quatre millions de dollars par jour, et dont les principaux moyens matériels et humains sont déployés au Nord-Kivu, devrait avoir honte de ne mener que des patrouilles qui ne permettent autre chose que le « monitoring » des attentats, des assassinats et des enlèvements. 

Si toutes ces autorités prennent quelque temps pour penser autrement la meilleure stratégie de sécurisation de la ville de Goma, au lieu d’improviser des demi-solutions grossièrement inutiles, il y a une chance qu’elles parviennent à atténuer l’angoisse et la psychose qui assaillent la population. Je croise les doigts…