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lundi 16 juillet 2012

Nkosazana Dlamini-Zuma fait-elle peur à Kagame ?













La Commission de l'Union africaine a une nouvelle présidente: la sud-africaine Nkosazana Dlamini-Zuma. Le duel qui l'a opposée au président sortant, le gabonais Jean Ping, aura duré six mois. 

Le poste de Président de la Commission africaine est très important, de part la structure et les textes qui régissent l'Union africaine depuis sa réforme, bien que trop souvent son travail est entravé ou freiné par des jeux politiciens qui se passent de toute raison. 

Pour la région des Grands Lacs, le mandat de la nouvelle Présidente sera d'autant plus important qu'il est amorcé au moment où la région traverse une situations aux contours explosifs  et imprévisibles, marquée par la résurgence à l'Est de la RDC d'une rébellion soutenue, si pas commanditée par le Rwanda. 

Dans ce contexte, l'élection de Madame Nkosazana Dlamini-Zuma à la tête de la Commission africaine est tout sauf une bonne nouvelle pour Kigali, et pour cause : le courant ne passe plus entre Kigali et Prétoria, depuis qu'a éclaté en 2010 l'affaire Kayumba Nyamwasa. Ce dernier est, vous vous en souvenez, un Général de l'armée rwandaise, compagnon d'armes du Général Paul Kagame, qui était devenu ambassadeur du Rwanda en Inde avant de tomber en disgrâce et de fuir le Rwanda. Après avoir trouvé refuge en Afrique du Sud, il a survécu à une double tentative d'assassinat, et le procès de ses assaillants poursuit encore son cours. Cet attentat a été attribué par le concerné et ses proches à Paul Kagame en personne, et bien que l'Afrique du Sud n'ait pas publiquement mis en cause le Rwanda, il a insinué l'implication des services secrets rwandais et a réagi en rappelant son High Commissionner (l'équivalent de l'ambassadeur pour les pays du Common Wealth dont fait partie le Rwanda depuis 2009), et en expulsant celui du Rwanda à Prétoria.

Le Rwanda a tenté de minimiser cet incident (jugé pourtant gravissime par les autorités sud-africaines), et au jour d'aujourd'hui les relations entre les deux pays ont repris très timidement, mais la tension est toujours dans l'air. Le procès qui se poursuit pourrait révéler des choses que Kigali ne voudrait pas voir éclater au grand jour. Le Rwanda a d'ailleurs tenté de faire échec à ce procès, mais sans succès. Tout comme il a tenté de se faire remettre Monsieur Kayumba et son compagnon Karegeya (ancien Chef des renseignements extérieurs du Rwanda, lui aussi tombé en disgrâce), mais a fait face au refus catégorique des Sud-Africains. 

Le Rwanda a donc publiquement soutenu la candidature de Monsieur Jean Ping qui, tout au long de son mandat, a su tisser de bonnes relations avec Kigali, où il était invité un nombre incalculable de fois, tant dans un cadre officiel que privé. Non seulement Madame Nkosazana représente l'Afrique du Sud, mais elle est Ministre de l'Intérieur dans son pays, ce qui indique qu'elle est l'autorité de tutelle de cette police qui a osé humilier le Rwanda et son redoutable Président. Qui sait si son ascension à la tête de la Commission de l'Union africaine va la faire oublier ce dossier brûlant ? Qui sait si elle ne s'est pas déjà fait une idée fixe, un préjugé négatif sur le Rwanda et ses dirigeants ? Vraisemblablement, ça c'est des questions que Kagame aurait aimé ne pas avoir à se poser. 

Kagame, c'est la "real politique"

Ceux qui pensent que la politique de Kagame obéit à des dogmes se trompent sur toute la ligne. Cette opposition à Madame Nkosazana est l'une de nombreuses illustrations de la vérité que le régime du FPR défend avant tout ses intérêts, ses projets, sa réputation. Les considérations d'ordre cosmétique (comme le genre !) viennent en dernier lieu. Sinon, Madame Nkosazana aurait eu toutes les faveurs de Kigali : elle est une femme, et Kagame est passé pour champion dans l'art de promouvoir le genre (le Rwanda est à ce jour le pays où l'on trouve plus de femmes parlementaires que d'hommes, et où les femmes sont les plus représentées au sein des institutions publiques). Bien plus, elle est anglophone (contrairement à Jean Ping), et l'Afrique du Sud est, comme le Rwanda, un "domaine" de sa Majesté la Reine d'Angleterre (membre du Commonwealth). 

La real politique de Kagame a encore récemment fait ses preuves, avec le soutien public (voire tonitruant) du Rwanda au candidat américain à la Banque mondiale, Monsieur Jim Young Kim, qui était opposé à la nigériane Ngozi Okonjo-Lweala, pourtant plébiscitée par la quasi-totalité des pays africains. Le fait que le Rwanda ait récemment ouvert une représentation diplomatique à Abudja et ait annoncé son intention de renforcer ses relations politiques et commerciales avec le Nigéria n'a rien changé à la donne. Entre, d'une part les Etats-Unis d'Amériques et la Corée du Sur (patries de Jim Young Kim), et d'autre part le Nigéria (géant africain soit-il), le chois de l'ambiteux Rwanda était really clair ! 

Mais on voit bien que ces recettes n'ont pas beaucoup impressionné Monsieur Kagame, qui sait bien ce qu'il veut, ce qui est plus important. Il n'a pas eu de chance cette fois-ci certes, mais il aura quand même fait son pari. Et certainement qu'il ne manquera pas de faire jouer ses redoutables lobby afin de subir le moins de traumatisme possible de ce revers, au cas où la Dame de Prétoria serait tenté de nuire à ses intérêts.

Kagame a perdu, mais la RDC a-t-elle gagné pour autant ?  

Je crois que je n'exagère rien en affirmant que Monsieur Kagame a perdu, bien que je ne puisse parier si cet échec sera de courte ou de longue durée, ni s'il aura de réelles conséquences sur la politiques de l'UA à l'égard du Rwanda. 

La vraie question est de savoir si la RDC pourrait tirer quelques dividendes politiques de l'avènement de Madame Nkosazana à la tête de la Commission de l'Union africaine. En tout cas, ce n'est pas évident. 

Certes l'Afrique du Sud a infiniment plus d'intérêts en RDC qu'au Rwanda, et toutes les deux sont membres de la SADC (Communauté de Développement de l'Afrique Australe), mais cela ne suffit guère. La RDC reste maîtresse de son destin. C'est donc à Kabila de savoir lire les signes du temps comme on dit, et de les exploiter pour autant qu'ils sont favorables. L'arrivée de Madame Nkosazana est peut-être une belle opportunité pour la RDC de bouster sa diplomatie africaine afin de trouver des appuis dans l'affrontement des défis qui se posent à l'Est. 

Par exemple, elle pourrait faire accélérer la mise en place et le déploiement de cette force internationale qui viendrait rétablir la sécurité au Nord-Kivu, et faire en sorte que cette énième tentative de solution soit la bonne. 

Hélas, je doute qu'elle en soit capable. Je verrais si l'avenir proche démentira mon pessimisme... 




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